Enseignement supérieur

Université et recherche : quand le dénigrement remplace les financements

économiste

Arc-bouté sur le dogme de la baisse des dépenses publiques, Emmanuel Macron condamne l’enseignement supérieur à la privatisation, les étudiants à la précarisation, la société à une dégradation de son idéal de promotion sociale et à la neutralisation de son modèle de pacification de l’espace social et démocratique.

Avec l’automne, en dépit du dérèglement climatique, viennent les feuilles mortes, les champignons, les premières tempêtes … et les débats sur le PLF (le Projet de loi de finances) et le PLFSS (celui sur la sécurité sociale).

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Cette année toutefois, comme nous le craignions, ces débats n’ont pas eu lieu. Les textes à peine introduits dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, les 49.3 étaient dégainés par une Première ministre qui, non seulement savait qu’elle ne disposait pas de majorité, mais redoutait jusqu’aux amendements des députés des groupes qui la soutiennent. Étouffant ainsi toutes les voix qui tentaient d’interroger la pertinence de sa politique économique, le gouvernement a pourtant opéré un choix macroéconomique qui risque de peser lourdement sur l’avenir de notre pays : celui du « redressement des comptes publics », alors même que la croissance est atone.

Arc-bouté sur son dogme quasi religieux de « refus de toute hausse d’impôt », fût-ce sur les super-profits et les milliardaires, et reprenant en chœur les antiennes les plus éculées d’un libéralisme incapable de saisir les enjeux considérables de l’époque (écologiques, sociaux, géopolitiques, technologiques, démocratiques) et leurs conséquences en termes de dépenses et d’investissement publics, il a annoncé une réduction du déficit public[1] et donc une baisse des dépenses de l’État de 3,6 % en volume[2].

Puisqu’on parle d’avenir, on pouvait donc craindre le pire pour le financement de la recherche et de l’enseignement supérieur publics, secteur clé dans sa préparation via, d’une part, la formation des jeunes, d’autre part, les retombées de la science pour faire face aux défis écologiques et climatiques notamment et, enfin, son rôle dans la compréhension et l’analyse d’un monde chaque jour plus complexe, face aux intoxs, à la désinformation et aux lobbys. Là encore, ces craintes étaient parfaitement justifiées.

Mais, diront peut-être certains, comment pouvez-vous faire une telle affirmation alors que les crédits de la MIRES (Mission recherche et enseignement supérieur), qui représentent l’essentiel des financements publics consacrés à ce secteur, s’élèveront pour 2024 à 31,8 milliards, c’est-à-dire en hausse de 3,2% ?

Alors en premier lieu, contextualisons quelque peu. Ce budget s’inscrit en effet dans le cadre d’un sous-financement structurel de la recherche et de l’enseignement supérieur français qui dure depuis plusieurs décennies désormais et que nous avons déjà exposé dans les colonnes d’AOC (ici, et notamment). Deux indicateurs principaux permettent sur ce point les évaluations et les comparaisons internationales. Le premier est ce que l’on appelle l’« effort de recherche », c’est-à-dire la Dépense Intérieure de Recherche et Développement Expérimental (DIRD) rapportée au PIB; en d’autres termes, la part du PIB consacrée à ces dépenses. Or, il était de 2,28% en 2020, 2,22 % en 2021 et 2,18 % en 2022 ; après la hausse de 2020 (lié mécaniquement à l’effondrement du PIB lors de la crise sanitaire), il décroît donc à nouveau pour retrouver le niveau qui est le sien depuis maintenant plusieurs décennies, en dépit des déclarations triomphalistes des ministres successifs et de l’objectif maintes et maintes fois réaffirmé depuis 2000 de 3%. Mais surtout, le poids de la France recule peu à peu dans le paysage international, et depuis 2014, l’écart ne cesse de se creuser avec la moyenne des pays de l’OCDE.

Non seulement notre pays ne tient pas son rang de septième puissance économique mondiale, mais il décroche.

La situation est tout aussi préoccupante en ce qui concerne le second indicateur : celui de la dépense par étudiant. Si la dépense d’éducation pour l’enseignement supérieur (en euros 2021) a été multipliée par 3 environ depuis 1980, les effectifs étudiants se sont accrus pratiquement d’autant, mais à un rythme différent ; aussi la dépense moyenne par étudiant qui avait augmenté de 40% entre 1980 et 2010 (c’est-à-dire environ jusqu’à la fameuse loi LRU) a depuis nettement diminué passant de 12 970 à 11 630 euros (prix 2021). Les universités bénéficient ici d’un « traitement de faveur » puisque la baisse est particulièrement marquée et continue depuis 2013 pour ces établissements, dont on connaît pourtant le rôle dans la démocratisation de l’enseignement supérieur comme dans la recherche. Lorsqu’on regarde les comparatifs internationaux concernant la dépense annuelle moyenne par étudiant, on constate en outre que la France se classe en 12ème position des pays de l’OCDE en 2019 et que cet indicateur diminue entre 2012 et 2019 en France (-0,4%), quand elle augmente dans la moyenne des pays de l’OCDE (+1,2%). Là encore, non seulement notre pays ne tient pas son rang de septième puissance économique mondiale, mais il décroche. Affligeant !

En second lieu, il faut tenir compte d’un certain nombre de facteurs aggravants de nature conjoncturelle. La liste est longue et sans prétendre à l’exhaustivité, citons ceux dont l’impact négatif sur les financements est le plus important. L’inflation, tout d’abord, anticipée à 2,6% pour 2024 par la Banque de France, vient réduire d’autant la hausse de 3,2% des financements (en euros courants) pour la plupart des dépenses hors salaires. Concernant ces dernières, et en raison précisément de l’inflation, le ministre de la Transformation et de la Fonction publique a annoncé un certain nombre de mesures salariales (hausse du point d’indice et prime de pouvoir d’achat notamment) qui, bien que loin de compenser la perte de pouvoir d’achat pour le personnel, pèsent lourdement sur les établissements publics (en particulier les universités et les organismes de recherche) puisque la masse salariale représente 70% des dépenses des établissements d’enseignement supérieur en 2021. Or, leur financement n’a pas été compensé en 2022 et l’a été seulement partiellement en 2023, comme il le sera en 2024, ainsi que l’avait annoncé la ministre fin août au congrès de France Universités (FU), l’association des président.e.s de ces universités.

Selon eux, « cela signifie [que ces dernières] devront financer 120 millions d’euros, soit par prélèvement sur leurs fonds de roulement, soit par réduction de leur campagne d’emplois ». Et selon son président, auditionné en septembre par la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, ce coût viendra s’ajouter « aux 200 millions d’euros de 2022 et aux 130 millions de 2023 non compensés ». Cette non-compensation est d’autant plus problématique qu’elle s’ajoute à celles que subissent quasi-systématiquement les établissements depuis, en gros, la loi LRU de 2007, en particulier en ce qui concerne ce que l’on appelle le GVT (Glissement-Vieillesse-Technicité) et qui correspond par exemple à 45 millions d’euros pour 2023.

À cela s’ajoute également l’accroissement des factures énergétiques, elles aussi non-prises en charge par l’État ; leur coût pour 2024 n’est pas disponible mais il a été estimé à 100 millions en 2022 et à plus de 300 millions d’euros pour 2023.

En outre, une nouvelle augmentation du nombre d’étudiants est prévue pour la prochaine rentrée universitaire (+0,2%, après un léger tassement en 2023/2024 de -0,5%) qui vient après un accroissement considérable (+25%) des effectifs depuis plus de 10 ans. Si pour les universités les effectifs devraient baisser légèrement (-0,3%), cela s’explique par les baisses observées les deux années universitaires antérieures, alors que les nouveaux inscrits à la rentrée 2023 sont repartis à la hausse.

Ce budget s’inscrit également dans un contexte de forte dégradation des conditions financières et matérielles des étudiants qui affecte leur réussite et même leur santé ? Certes, les étudiants ne forment pas une entité socialement homogène, loin s’en faut, et tout comme il y a des jeunesses, il y a des jeunesses étudiantes. Certes, ceux dont les parents appartiennent aux catégories sociales les plus favorisées continuent à être fortement surreprésentés. Toutefois, la massification de l’enseignement supérieur a conduit de très nombreux étudiants à ne pas pouvoir compter sur leur famille pour financer leurs études et à subir de profondes difficultés économiques. Nous faisions le point sur cette question dans une analyse plus générale consacrée à la situation socio-économiques des jeunes il y a quelques mois, rappelant notamment que la crise sanitaire avait encore aggravé la situation puisque, par exemple, en 2020, 56 % des étudiants affirmaient que leurs difficultés financières étaient telles qu’ils réduisaient leur alimentation et 40 % exerçaient une activité rémunérée pendant l’année universitaire (dont près des trois quarts parce que cela leur était « indispensable pour vivre », près de la moitié estimant que cela avait des effets négatifs sur leurs études ou leur bien-être).

Même la Cour des comptes (pourtant peu réputée pour sa nature dispendieuse), jugeait dans son rapport de 2022 que l’action du gouvernement contre la précarité étudiante avait été « décevante » et « pas à la hauteur des enjeux ». Depuis la crise inflationniste, la situation s’était encore dégradée. L’augmentation des bourses à la rentrée 2022 avait été inférieure à l’inflation et le nombre d’étudiants percevant au moins une aide avait très fortement diminué (70 000 étudiants ayant ainsi été sortis du système d’aides en deux ans en raison notamment de l’absence de revalorisation des plafonds de revenus des parents utilisés pour calculer les différents échelons des bourses). On comprend donc que le gouvernement pouvait difficilement éviter une revalorisation des bourses et des aides et l’intégration de 35 000 boursiers supplémentaires à la rentrée, ce qui correspond à une enveloppe de 500 millions[3].

Pour autant cet effort est notoirement insuffisant face à l’ampleur de la précarité étudiante. Aussi, sommes-nous de plus en plus nombreux à plaider pour une allocation d’étude universelle (voire même un revenu de base ouvert à 18 ans, dégressif avec le revenu d’activité et inconditionnel), récemment rejoints par plusieurs président.e.s d’université. Ce ne sera malheureusement pas la piste suivie par Emmanuel Macron et sa ministre dans la réforme des bourses qu’ils annoncent depuis un moment et que nous attendons toujours.

Si fin 2022 une vingtaine d’universités étaient en déficit, on peut ainsi craindre que la grande majorité ne le soit fin 2023.

Enfin, comment ne pas parler de la vétusté ou de l’insuffisance de bon nombre de locaux, d’équipements d’enseignement (meubles, micros, équipement numériques, achat d’ouvrages et abonnements, etc.) et d’infrastructures dédiées à la vie étudiante (bibliothèques, restauration, équipements sportifs, etc.) ? Comment ne pas mentionner l’impératif de la réhabilitation énergétique des bâtiments ? Pour les seules universités (qui représentent 20 % du patrimoine immobilier de l’État), les besoins sont ici estimés à 7 milliards d’euros au minimum par l’État lui-même, quand dans le PLF de cette année, 550 millions sont budgétés. Comment oublier les coûts croissants des équipements scientifiques indispensables pour être à la pointe de la recherche ?

Arrêtons là cette triste litanie au risque de lasser le lecteur et parce qu’elle permet déjà très largement de comprendre que ce budget, en dépit de la hausse annoncée, viendra en réalité aggraver la situation financière de la recherche et de l’enseignement supérieur public. Si fin 2022 une vingtaine d’universités étaient en déficit, on peut ainsi craindre que la grande majorité ne le soit fin 2023. Contraintes et forcées, elles continueront donc à sabrer dans leurs dépenses, en réduisant notamment le volume horaire de certaines formations au détriment de la réussite étudiante et en en fermant d’autres. Les établissements seront incapables de mener les campagnes de recrutement qui permettraient enfin de sortir de la crise de l’emploi scientifique et académique dans laquelle nous sommes plongés depuis le début des années 2000 et qui s’est aggravée année après année en raison notamment de la baisse considérable des départs à la retraite (-27,7% entre 2010 et 2019) qui jointe aux contraintes financières des établissements s’était traduite par un effondrement des recrutement et par une précarisation galopante des personnels de la recherche et des universités.

Cela est d’autant plus préoccupant que le secteur voit désormais des départs à la retraite qui s’accélèrent. Ainsi, en 2021 et 2022, ils ont augmenté successivement de +9,5 % et +10,8 % pour les enseignants titulaires en université et dans les organismes de recherche. Selon une note produite par les services du ministère de la Recherche et de L’enseignement supérieur en 2020, ce mouvement devrait encore s’accélérer dans les années à venir (même si la réforme sur les retraites viendra freiner le processus) et tout particulièrement dans les disciplines des « sciences ». Ce serait une excellente nouvelle pour les jeunes qui souhaitent embrasser des carrières universitaires et de la recherche publique et pour l’ensemble du secteur… pour autant que les établissements en aient les moyens. Ce qui malheureusement ne sera pas le cas avec ce budget, vous l’avez compris.

La « précarisation » se poursuivra pour les jeunes, en dépit des mouvements de protestation, accompagnant les surcharges d’enseignement pour les titulaires. La perte d’attractivité des métiers de la recherche et de l’enseignement supérieur public continuera donc, nullement freinée par les revalorisations des salaires et encore moins par la création des « chaires de professeur-junior » de la très insuffisante loi de programmation de la recherche du 24 décembre 2020 (LPR). Pour preuve, la crise des vocations commence à se faire durement sentir puisque « l’effectif de primo-inscrits en doctorat au cours de l’année universitaire 2022-2023 diminue de 4 % par rapport à celui de l’année précédente ». Et, autre signe des difficultés majeures que traverse le secteur de l’enseignement supérieur, la privatisation progressive à laquelle on assiste médusé se poursuivra inéluctablement ; depuis le début des années 2010, les inscriptions dans le privé ont crû de 46 % quand celles dans le public n’augmentaient que de 16 %, les premières représentant désormais une inscription sur quatre.

Comment dès lors ne pas voir une véritable provocation dans les propos tenus par Emmanuel Macron lors d’un échange avec le Youtubeur Hugo Travers début septembre ? En effet, interrogé par ce dernier sur la baisse de la dépense par étudiant depuis plusieurs années, il répondait qu’« [o]n n’est pas un pays qui sous-investit sur son enseignement supérieur », expliquant qu’il n’y avait «pas de problème de moyens». « Avec les moyens qu’on met, on doit faire beaucoup mieux » poursuivait-il, dénonçant une forme de « gâchis collectif » avec « des formations qui ne diplôment pas depuis des années » et d’autres qui perdurent « simplement pour préserver des postes d’enseignants »[4]. Les personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche qui, on l’a vu, portent à bout de bras ce secteur essentiel pour notre pays dans des conditions souvent indignes, avaient gardé un très vif souvenir des propos insultants de Nicolas Sarkozy alors président de la République sur La Princesse de Clèves ou son fameux « il y a de la lumière et c’est chauffé » lors de son discours sur la recherche de 2009. Probablement, n’oublieront-ils pas cette nouvelle injure.


[1] Qui passe de 4,9 % à 4,4 % du PIB.

[2] Il s’inscrit ainsi dans la trajectoire fixée par la loi de programmation des finances publiques (LPFP 2023-2027) ramenant le déficit public à 3 % et la dette publique à 108 % en 2027, votée elle aussi à coups de 49.3.

[3] Le programme « Vie étudiante » de la MIRES s’accroit ainsi de +6,28%.

[4]Concernant cette critique, vieille rengaine inepte dans le dénigrement systématique des universités, nous avions fait le point sur les Masters, en général particulièrement ciblés.

Isabelle This Saint-Jean

économiste, Professeure à l'université Sorbonne Paris-Nord

Notes

[1] Qui passe de 4,9 % à 4,4 % du PIB.

[2] Il s’inscrit ainsi dans la trajectoire fixée par la loi de programmation des finances publiques (LPFP 2023-2027) ramenant le déficit public à 3 % et la dette publique à 108 % en 2027, votée elle aussi à coups de 49.3.

[3] Le programme « Vie étudiante » de la MIRES s’accroit ainsi de +6,28%.

[4]Concernant cette critique, vieille rengaine inepte dans le dénigrement systématique des universités, nous avions fait le point sur les Masters, en général particulièrement ciblés.