Le prince et l’honnête homme face à la Singularité
Parmi les faits les plus curieux entourant l’explosion de l’intelligence artificielle sous la forme des grands modèles de langage tel ChatGPT, se trouve cette opinion largement répandue parmi les profanes mais également présente chez une fraction de professionnels, qu’une intelligence supérieure à la nôtre aurait pour souci premier de se débarrasser du genre humain.

Cette croyance pourrait refléter une crainte enracinée dans le conservatisme foncier de l’espèce : que le neuf est dangereux par essence, mais elle exprime surtout ce sentiment implicite foncièrement pessimiste qu’une intelligence supérieure tirera immanquablement la conclusion que l’espèce humaine est une vermine dont il est impératif de débarrasser la Planète bleue.
L’origine de cette vue pourrait banalement être la lucidité, mais la chose serait inattendue, la lucidité étant une qualité tout particulièrement mal représentée au sein des opinions les plus répandues. Il est plus probable qu’il s’agit d’un effet collatéral du tempérament sombre imprégnant globalement une espèce n’ayant jamais véritablement retrouvé le moral depuis qu’elle a pris conscience un jour que la vie individuelle connait un terme.
Nous sommes en effet accros à l’observation du monde tout comme nos cousins gibbons qui, enfermés dans une cage au volet coulissant, soulèvent celui-ci aussitôt qu’il s’est rabaissé sous son poids : de notre premier jour au dernier, nous souffrons d’une fringale de savoir ce qui va se passer ensuite, la pensée que le spectacle pourrait un jour s’arrêter nous est insupportable, ici réside la source première de notre angoisse.
Le fait que l’être humain a cessé d’être la créature la plus intelligente de notre planète et, selon l’état présent de notre information, de l’univers tout entier, est la cause aujourd’hui d’une seconde prise de conscience mélancolique, succédant à celle de notre finitude. « Si nous ne vivons pas ici-bas pour toujours, au moins aurons-nous été les plus malins aussi longtemp