Politique

Derrière le tirage au sort, un reflet plus juste de la société

Essayiste

Loin d’empêcher la montée en puissance de l’extrême droite, les institutions politiques fondées uniquement sur l’élection contribuent, par un effet « miroir déformant », à réfuter l’hétérogénéisation du social. Le tirage au sort pour la désignation d’une partie des représentants est une piste à creuser afin que la société se parle telle qu’en elle-même et soit vue d’elle-même se parlant.

Figurons-nous la société, comme un seul individu, devant le miroir qu’elle a elle-même conçu – et fabriqué, par manque de savoir-faire, légèrement concave ou convexe. Au premier regard, et bien que jamais auparavant elle n’ait eu l’occasion de se voir, elle se reconnaît sur la glace polie. Satisfaite de son travail, jouissant du spectacle d’un reflet dont elle est encore incapable de percevoir les grossiers défauts, elle n’en est pas moins taraudée par le caractère artificiel du procédé par elle imaginé, et gagnée par le scrupule perfectionniste de l’artisan. Alors, à l’aide du toucher, elle vérifie la conformité de l’image qui lui fait face à la conformation de son enveloppe corporelle. Frappée, au terme de son examen, par le contraste entre l’une et l’autre, elle brise le miroir, et entreprend d’en réaliser un nouveau.

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De fait, si la société, de nos jours, pouvait se livrer à cet exercice fictif de décentration qui consisterait à comparer la réalité observable dans la plupart de ses propres sphères à l’interprétation qu’en produit, à l’extérieur d’elle-même, sa sphère politique[1], nul doute qu’elle serait saisie, peut-être jusqu’au vertige, par un sentiment aigu de dissonance. Probablement aussi s’efforcerait-elle de corriger cette dissonance en travaillant à l’amélioration technique de la sphère à l’origine de la déformation, afin que celle-ci donne à voir une représentation plus fidèle de sa propre matérialité.

Cette image, et cette proposition impossible, dont chaque terme est problématique, n’ont pas seulement pour objet de pointer le contraste entre les faits sociaux et les représentations produites par certaines institutions sociales, qui sera le point d’entrée de notre réflexion. Elles suggèrent incidemment deux idées utiles pour son développement, à savoir que : la société est affectée et, dans une large mesure, déterminée, par ses propres représentations ; et ces représentations, ou en tout cas certaines d’entre elles, étant produites, ou à tou


[1] Bien que cette étude se limite à la sphère politique, il convient de la comprendre dans un cadre incluant les sphères des médias et des réseaux socionumériques, dont l’impact est immense.

[2] Toutes ensemble cependant demeurent tributaires de cette part d’invisibilité, d’intangibilité, d’imperceptibilité due à l’état incomplet des connaissances sociales. Toutes également demeurent prisonnières des innombrables biais qui structurent nos représentations du débat politique.

[3] Ce n’est pas un petit paradoxe que les entreprises politiques qui s’emploient à donner l’image la plus déformée de la réalité sociale sont celles-là même qui revendiquent de dévoiler le mensonge et de proclamer la vérité. En vérité, tout discours se revendiquant de « la vérité » devrait être suspecté de maltraiter « la vérité » comme se mettant par là même dans l’incapacité de faire œuvre de la nuance et du doute indispensables à la recherche de la vérité.

[4] Comme il est possible de le constater dans la plupart des régimes dits démocratiques, cette montée en puissance agit y compris sur des partis historiquement non classés à l’extrême droite, mais incités, par une vigoureuse concurrence, à réévaluer leur stratégie et leur idéologie et à réajuster leur « offre ». Si donc la présente réflexion porte plus spécifiquement sur l’extrême droite organique, comme la plus efficace sur le marché car la plus à même de développer des propositions radicales, sa portée dépasse de loin les limites partidaires de ce bloc qui a tout de même rassemblé, en France, aux deux scrutins majeurs de 2022, entre un gros tiers et une courte moitié des votants. Les enseignements qu’il est possible d’en tirer ne devraient en être que plus révélateurs.

[5] Albert Memmi, Le Racisme, Gallimard, « Idées », 1982, p.114.

[6] Notons au passage que les mutations de l’extrême droite française au cours des dix à quinze dernières années sont riches d’enseignement. Au moment où, pour la première fois, il s’approche sérieusement du

Mots-clés

Démocratie

Notes

[1] Bien que cette étude se limite à la sphère politique, il convient de la comprendre dans un cadre incluant les sphères des médias et des réseaux socionumériques, dont l’impact est immense.

[2] Toutes ensemble cependant demeurent tributaires de cette part d’invisibilité, d’intangibilité, d’imperceptibilité due à l’état incomplet des connaissances sociales. Toutes également demeurent prisonnières des innombrables biais qui structurent nos représentations du débat politique.

[3] Ce n’est pas un petit paradoxe que les entreprises politiques qui s’emploient à donner l’image la plus déformée de la réalité sociale sont celles-là même qui revendiquent de dévoiler le mensonge et de proclamer la vérité. En vérité, tout discours se revendiquant de « la vérité » devrait être suspecté de maltraiter « la vérité » comme se mettant par là même dans l’incapacité de faire œuvre de la nuance et du doute indispensables à la recherche de la vérité.

[4] Comme il est possible de le constater dans la plupart des régimes dits démocratiques, cette montée en puissance agit y compris sur des partis historiquement non classés à l’extrême droite, mais incités, par une vigoureuse concurrence, à réévaluer leur stratégie et leur idéologie et à réajuster leur « offre ». Si donc la présente réflexion porte plus spécifiquement sur l’extrême droite organique, comme la plus efficace sur le marché car la plus à même de développer des propositions radicales, sa portée dépasse de loin les limites partidaires de ce bloc qui a tout de même rassemblé, en France, aux deux scrutins majeurs de 2022, entre un gros tiers et une courte moitié des votants. Les enseignements qu’il est possible d’en tirer ne devraient en être que plus révélateurs.

[5] Albert Memmi, Le Racisme, Gallimard, « Idées », 1982, p.114.

[6] Notons au passage que les mutations de l’extrême droite française au cours des dix à quinze dernières années sont riches d’enseignement. Au moment où, pour la première fois, il s’approche sérieusement du