Derrière le tirage au sort, un reflet plus juste de la société
Figurons-nous la société, comme un seul individu, devant le miroir qu’elle a elle-même conçu – et fabriqué, par manque de savoir-faire, légèrement concave ou convexe. Au premier regard, et bien que jamais auparavant elle n’ait eu l’occasion de se voir, elle se reconnaît sur la glace polie. Satisfaite de son travail, jouissant du spectacle d’un reflet dont elle est encore incapable de percevoir les grossiers défauts, elle n’en est pas moins taraudée par le caractère artificiel du procédé par elle imaginé, et gagnée par le scrupule perfectionniste de l’artisan. Alors, à l’aide du toucher, elle vérifie la conformité de l’image qui lui fait face à la conformation de son enveloppe corporelle. Frappée, au terme de son examen, par le contraste entre l’une et l’autre, elle brise le miroir, et entreprend d’en réaliser un nouveau.

De fait, si la société, de nos jours, pouvait se livrer à cet exercice fictif de décentration qui consisterait à comparer la réalité observable dans la plupart de ses propres sphères à l’interprétation qu’en produit, à l’extérieur d’elle-même, sa sphère politique[1], nul doute qu’elle serait saisie, peut-être jusqu’au vertige, par un sentiment aigu de dissonance. Probablement aussi s’efforcerait-elle de corriger cette dissonance en travaillant à l’amélioration technique de la sphère à l’origine de la déformation, afin que celle-ci donne à voir une représentation plus fidèle de sa propre matérialité.
Cette image, et cette proposition impossible, dont chaque terme est problématique, n’ont pas seulement pour objet de pointer le contraste entre les faits sociaux et les représentations produites par certaines institutions sociales, qui sera le point d’entrée de notre réflexion. Elles suggèrent incidemment deux idées utiles pour son développement, à savoir que : la société est affectée et, dans une large mesure, déterminée, par ses propres représentations ; et ces représentations, ou en tout cas certaines d’entre elles, étant produites, ou à tou