éducation

L’École après l’été : trois axes pour un vrai changement

Chercheur en sciences de l'éducation

Pour sortir du discours néo-libéral et autoritaire sur l’éducation – et rompre avec la politique éducative macroniste – il faut avancer sur trois axes : les finalités de l’École, l’ébranlement des savoirs et ce que le monde social peut demander à l’École.

Souvenons-nous : avant les parenthèses estivales imposées par le fait du Prince, l’éducation faisait, au moins pour le gouvernement, partie des thèmes politiques les plus chauds, avec ce « choc des savoirs » qui était annoncé et promis par un ministre voulant tout « réarmer ».

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Toutefois, de façon étrange, lors des scrutins qui ont suivi, on ne peut pas dire que l’École ait été au centre des débats… N’est-elle pas devenue celle dont tout le monde souligne sans trêve l’importance sans avoir à proposer rien de véritablement différent de ce qu’un pouvoir activiste claironne avec certitude ?

Peut-être est-ce d’ailleurs tout ce que l’on pouvait attendre, si l’on adopte le point de vue souvent défendu selon lequel l’École serait seulement une affaire d’efficacité à rechercher dans des résultats. On ne se rend pas toujours compte à quel point cette fascination pour les résultats entre bien dans la folie mondiale de la compétition scolaire, mais dispense en France plus qu’ailleurs de se poser la question des finalités de l’École.

Le consensus se réalise d’ailleurs facilement sur ce thème des résultats, puisqu’on ignore ce que sont des « résultats » en matière d’éducation, puisqu’on n’a pas réfléchi à la légitimité qu’il y a ou non à fonder sur eux une politique éducative et puisqu’on fait taire les doutes sur la façon dont ils sont établis.

Et même si on admet qu’ils font bien état de différents niveaux de performances… C’est toujours en référence à des compétences qui vont de soi, c’est-à-dire dont on n’a jamais discuté et dont il n’y a pas lieu de discuter politiquement, c’est-à-dire du point de vue de la Cité dans son ensemble. Auquel cas en effet les seules questions en jeu, celles qui restent, sont des questions de « moyens »… ou de pédagogie… Importantes, certes, mais tournant à vide tant qu’on ne s’interroge pas sur les finalités !

Pourtant c’est bien le pouvoir politique inspiré par ce qu’était la majorité macronienne qui avait fabriqué, sous Blanquer puis Attal, ou avatars, un véritable programme voulant imposer son idée du changement en matière de politique éducative. Ce programme n’aurait eu qu’à être cosmétiquement retouché si le Rassemblement national (qu’à Dieu n’ait plu !) avait eu quelque accès au pouvoir.

On sait de quoi il est fait : une marche arrière effarante et qui éloignerait la France de tous les pays comparables en termes d’accès de tous à des études et à la culture, une valorisation de l’ordre dans les corps et dans les esprits, une caporalisation des enseignants chargés d’appliquer des recettes elles aussi uniformes, une focalisation coupable sur des « fondamentaux » minimalistes, un abandon de toute perspective de développement d’une culture commune à tous, permettant à chacun d’exercer ses droits au sein de la cité.

Plus grave encore : une aggravation des séparatismes scolaires qui traversent notre école et qui contribuent à fabriquer les séparatismes sociaux : on pense facilement à la séparation qui frappe des écoles ségréguées, mais moins souvent aux ségrégations internes aux établissements, ainsi qu’aux fractures purement scolaires, et armées par l’École, entre la culture de l’enseignement primaire et celle du second degré, entre l’enseignement général et professionnel, ou entre les disciplines qui s’ignorent et se toisent[1].

Remarquons au passage avec quelle facilité ces orientations semblaient se mettre en place, car si le terrain était devenu brutal, il avait été préparé par des décennies d’abandon de la préoccupation de justice et d’imposition progressive de l’idéologie de la compétition et des résultats. Et de docilité. L’École s’est conformée à la fable au demeurant contestée de la grenouille trempée dans une eau qu’on ne réchauffe que progressivement.

En face (si on peut dire !) ? En face existe la préoccupation on ne peut plus légitime d’effacer tout cela et notamment ce qui a été fait en matière d’éducation depuis la première présidence Macron, joué encore piano par Blanquer, rinforzando depuis Attal dans l’attente heureusement disconvenue de la version fortissimo de la même partition qu’affutait l’extrême droite.

Mais attention ! Beaucoup d’esprits, même sincères, et en conscience, ont été travaillés par certaines des sirènes du discours néo-libéral et autoritaire sur l’éducation… Peut-être parce que n’en circulait aucun autre qui marque vraiment une rupture possible… En sortir, et passer à autre chose, implique selon nous d’avancer sur trois axes : celui des finalités, celui de la crise des savoirs, enfin celui de ce que le monde social peut demander à l’École. Qu’il vienne à en manquer un, et c’est l’ensemble qui boite et s’effondre ! Qu’on ne fasse pas dépendre l’ensemble des axes seconds (comme le recrutement et la formation des enseignants, ou le système des diplômes) de ces trois-là, et c’est l’ensemble qui ne fera pas prise !

Plus « injuste » que les autres, l’École de France est celle qui fait le plus silence sur ses finalités

Car au-delà ? Après la « réparation » nécessaire du pire ? S’en tenir là et consacrer l’état de l’éducation tel qu’il préexistait à 2017 ? En ne tentant même rien pour qu’elle soit, en France, au moins aussi « juste » (nous parlons là de justice sociale) que chez nos voisins ? Rien pour qu’en ce même pays elle ne soit plus à l’avenir, comme c’est le cas dans les dictatures, ce domaine malléable à merci dont des ministres de passage font ce qu’ils veulent sans responsabilité ni mandat populaire ?

On voit bien qu’une pièce majeure manque aux politiques éducatives françaises, qui les protègerait des incursions princières illégitimes, aux termes mêmes de la Constitution[2] : l’écriture de ses finalités[3] ! Les hésitations sont anciennes entre une palette de rôles qui, selon les pays et les périodes, sont fixés à l’École : est-elle là pour répondre aux demandes du monde économique ? Pour former des spécialistes de disciplines ? Des esprits adhérant à un système déterminé de croyances ? Des citoyens d’un pays déterminé ? Des humains habitant cette planète ? Des sages ayant un comportement visant le bien, ou des candidats bien préparés pour le prochain examen ? Dans l’absence, en France de façon bien plus flagrante qu’ailleurs, d’un débat et d’une réponse, dans le silence par exemple de la partie législative du « Code de l’éducation », c’est-à-dire de l’arsenal des lois qui s’appliquent dans ce domaine, c’est chaque fois la dernière option (« préparer les prochains examens ») qui rafle la mise. Celle qui permet de ne rien répondre. Et qui au passage fabrique du résultat !

Ébranlements contemporains des savoirs

Mais l’affaire la plus préoccupante aujourd’hui n’est même pas là, et le silence sur ce dont nous allons parler montre bien l’obstination vaine des dirigeants précédents sur quelques crispations idéologiques à relent populiste passant à côté de l’essentiel : les savoirs dans le monde contemporain sont soumis à de tels séismes, suite aux ébranlements majeurs survenus dans les champs du vivant, de la vérité et de l’altérité que les savoirs scolaires eux-mêmes ne peuvent pas continuer as usual[4]. Sur le vivant, il s’agit par exemple de se demander comment cesser de privilégier dans les contenus scolaires le modèle du développement qui a conduit à l’anthropocène.

S’agissant de la vérité, il est urgent d’ouvrir les savoirs scolaires à une vraie réflexion sur les différents régimes de vérité et sur leurs exigences. S’agissant de l’altérité, il faut bien sûr ouvrir l’École à toute la diversité relationnelle, linguistique et culturelle dont elle ne peut continuer à refuser de voir qu’elle est le cadre contemporain de nos vies. Il faut même aller jusqu’à proposer que l’École enseigne au fond d’abord l’humain, à l’humain, d’un point de vue anthropologique. Partout.

Mais le plus interpellant n’est peut-être même pas encore là, car cette interrogation sur la pertinence de ce qu’enseigne l’École vient immédiatement en percuter une plus vaste : celle de la fonction justement de l’École au sein de la société.

Le monde social a-t-il quelque chose à attendre de l’École ?

Considère-t-on en effet ou non que l’École a une fonction sociale substantielle à jouer et laquelle ? Ou considère-t-on que cette fonction sociale se limite toujours à un immense « passe ton bac d’abord ! », peu importe sur quoi ? Or comment ne pas partir de là : du constat que l’École en France n’est pas parvenue à répandre l’esprit démocratique ! De celui qu’elle n’a pas prévenu contre des idéologies totalitaires ! Qu’elle a par son injustice systémique fabriqué[5] l’humiliation de beaucoup, récemment accompagnée d’un dépit vis-à-vis des diplômés, comme cela a été relevé, et jusqu’au rejet souvent des savoirs et de la raison qu’elle propose de cultiver.

Il faut être clair : les idées exprimées par les politiques éducatives macronistes doivent être profondément évincées. Mais cela ne suffira pas : ne nous cachons pas qu’il s’agit d’imaginer un très long chemin, et de sortir des trente-six conforts de fait qu’ont suscités l’immobilisme et souvent l’inconscience auxquels l’École de France a depuis longtemps consenti d’être condamnée.

Mais aucun jeu politique ne vaut peut-être meilleure chandelle, car prendre à bras le corps les thèmes que nous venons d’évoquer, dont celui des finalités de l’École et de la considération de sa fonction sociale, permettra certes de combattre les idéologies des extrêmes droites, mais plus encore, à sa racine, l’injustice institutionnalisée dès l’enfance qui en est, directement ou non, un des plus regrettables terreaux.


[1] Voir Gauthier, Roger-François, Le vocabulaire et les réalités profondes de l’Ecole sont saturés de séparatismes qui passent inaperçus in Le Monde, 12 mars 2024 

[2] La Constitution française en son article 34 dispose bien que c’est la Loi, et non le règlement, qui « détermine les principes fondamentaux de l’enseignement » : précisément cette responsabilité a été très majoritairement laissée au pouvoir exécutif, c’est-à-dire retirée au débat citoyen, ce qui est coupable et révélateur à la fois.

[3] Voir les conclusions de l’avis du Conseil économique, social et environnemental de juin 2024, rédigé par Bernadette Groison, qui fait de cette question de la définition des finalités de l’Ecole sa première préconisation 

[4] Voir Roger-François Gauthier dans AOC des 27 et 28 avril 2023 Il faut révolutionner les savoirs scolaires ?

[5] Sur l’injustice provenant de la structure même su système, voir GAUTHIER , Roger-François et VERAN, Jean-Pierre, Manifeste pour le collège. (P)osons les vrais termes du débat, CUIP, 2024.

Roger-François Gauthier

Chercheur en sciences de l'éducation, Professeur associé à l'université Paris-Descartes

Notes

[1] Voir Gauthier, Roger-François, Le vocabulaire et les réalités profondes de l’Ecole sont saturés de séparatismes qui passent inaperçus in Le Monde, 12 mars 2024 

[2] La Constitution française en son article 34 dispose bien que c’est la Loi, et non le règlement, qui « détermine les principes fondamentaux de l’enseignement » : précisément cette responsabilité a été très majoritairement laissée au pouvoir exécutif, c’est-à-dire retirée au débat citoyen, ce qui est coupable et révélateur à la fois.

[3] Voir les conclusions de l’avis du Conseil économique, social et environnemental de juin 2024, rédigé par Bernadette Groison, qui fait de cette question de la définition des finalités de l’Ecole sa première préconisation 

[4] Voir Roger-François Gauthier dans AOC des 27 et 28 avril 2023 Il faut révolutionner les savoirs scolaires ?

[5] Sur l’injustice provenant de la structure même su système, voir GAUTHIER , Roger-François et VERAN, Jean-Pierre, Manifeste pour le collège. (P)osons les vrais termes du débat, CUIP, 2024.