Les peuples contre le Peuple
Le 29 mai, ici même, Philippe Éon discutait un article que j’avais publié le 22 février dans AOC. Il cherchait à montrer qu’il fallait, et comment, se passer de la référence au « peuple » dès lors que l’on vise à s’engager rationnellement dans une politique démocrate.

La thèse est paradoxale, mais elle présente le mérite philosophique de chercher à ne pas se bercer d’illusions, c’est-à-dire, en un autre langage, à ne pas prendre les lanternes idéologiques de l’autolégislation pour les vessies d’un nationalisme ou d’un néonationalisme nous précipitant vers le gouffre. Sans qu’il l’évoque, on ne peut pas ne pas penser à l’usage que Marine Le Pen a fait du signifiant « peuple » dans sa campagne présidentielle de 2017, où elle se présentait comme « candidate du peuple »[1]. Le spectre du « populisme »[2] hante ses propos.
La thèse est sérieuse et doit être réfléchie avec attention. Elle ne peut être réfutée par son assignation à quelque agoraphobie[3] que ce soit : Philippe Éon ne tient pas un discours ressortissant à « la haine de la démocratie » critiquée par Jacques Rancière. Il cherche au contraire une voie qui, philosophiquement, si ce n’est politiquement, se prémunisse contre les risques d’un retour du nationalisme qui, passant par la restauration d’une souveraineté d’État, conduit à une politique xénophobe. Or, il voit dans le concept de Peuple, tel que mis en œuvre sur une hypothétique « scène philosophique », que l’on devrait qualifier de dogmatique, une manière d’introduire le loup du nationalisme dans la bergerie des bonnes intentions de gauche. L’hypothèse n’est pas une hypothèse d’école, et le danger n’est pas projeté dans un avenir lointain.
Je serais tenté de reprendre Racine et de lui appliquer le mot « ni cet excès d’honneur, ni cette indignité ». Je doute fort qu’un concept philosophique ait puissance d’orienter les mouvements d’une masse de citoyens ou de conduire l’Histoire. Et je ne crois pas que l’on puisse le réduire à un seul sens, ni m