Enseignement supérieur

Faire moins avec moins ou comment saper le service public

Sociologue

Incitées depuis une vingtaine d’années à faire plus avec toujours moins, dans le cadre d’un mouvement de dérégulation et de privatisation organisé par l’État, les universités périclitent, au détriment de la qualité des travaux de recherche et de la formation des étudiants, c’est-à-dire in fine de la société. Un sort symptomatique du traitement des services publics à l’heure de l’État gestionnaire. Il faut en finir avec l’empire du chiffre !

Même en l’absence d’un gouvernement légitime et de plein exercice, les manœuvres pour libéraliser l’enseignement supérieur et la recherche continuent. C’est ainsi que la direction du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), obtempérant à l’injonction de transformer l’institution en agence de moyens, a décidé, le 12 décembre dernier, d’attribuer un label « keylab » à 25 % des unités de recherche qu’elle « opère » – reléguant ainsi le gros des chercheurs aux incertitudes d’une situation d’infériorité et d’abandon.

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Dans le même temps, l’ancienne ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (et ex-présidente de l’université Paris-Saclay) a réuni un parterre d’administrateurs triés sur le volet pour les inviter à redoubler de zèle afin de mettre en application les dispositions de la loi de programmation de la recherche (LPR), promulguée en 2020, qui permettent de liquider le statut de fonctionnaire des enseignants-chercheurs, d’étendre leur temps de travail, de libérer les frais d’inscription et d’accélérer la sélection en éliminant les formations non rentables. Toutes mesures qui justifient l’amputation de cinq cent cinquante millions d’euros de l’enveloppe consacrée à l’enseignement supérieur (le « programme 150 » du budget) dans le projet qui a été suspendu avec la censure du gouvernement Barnier.

En dépit de la valse des ministres de l’Enseignement supérieur et de la Recherche à laquelle on assiste depuis que les gouvernements français ne durent que quelques mois, le programme de dépérissement des universités et de démantèlement de la recherche se poursuit au nom d’un impératif : restructurer un système que sa « démocratisation » aurait rendu empâté, obsolète et inutilement coûteux. Et la découverte fortuite de la dette faramineuse qui s’est accumulée, comme « à l’insu » des gouvernants, offre aujourd’hui l’occasion de relancer une proposition : réserver les rares deniers de l’État aux seuls secteurs considérés comme capables de soute


[1] Robert Castel, Les Métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris : Fayard, 1995 ; Philippe Bezès, Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris : Presses universitaires de France, 2009.

[2] Pierre Milot, « La reconfiguration des universités selon l’OCDE. Économie du savoir et politique de l’innovation », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 148, 2003, p. 68-73 ; Roser Cussó, « La Commission européenne et l’enseignement supérieur : une réforme au-delà de Bologne », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, n° 5, 2006, p. 193-214.

[3] Cette méthode écarte les mesures contraignantes des règlements et directives de l’Union européenne dans certains domaines comme la santé, le travail, l’éducation et la formation. Voir Isabelle Bruno, À vos marques, prêts… cherchez ! La stratégie européenne de Lisbonne, vers un marché de la recherche, Broissieux : Le Croquant, 2008.

[4] La création de l’Espace européen de l’enseignement supérieur en 2010 vise à rendre les systèmes d’enseignement supérieur des pays membres compatibles en instaurant des mécanismes d’assurance qualité – dont le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) est l’incarnation en France.

[5] Que Marie-Anne Dujarier nomme « planeurs » dans Le Management désincarné. Enquête sur les nouveaux cadres du travail, Paris : La Découverte, 2015.

[6] Albert Ogien, « La valeur sociale du chiffre. La quantification de l’action publique entre performance et démocratie », Revue française de socio-économie, n° 5, 2010, p. 19-40.

[7] Jerry Z. Muller, La Tyrannie des métriques, Genève : Markus Haller, 2020.

[8] Ce phénomène est analysé dans Dominique Glaymann et al. (dir.), L’Université en voie de managérialisation ?, Paris : Maison des sciences de l’Homme Paris-Saclay, 2025 (à paraître).

[9] Albert Ogien, Désacraliser le chiffre dans l’évaluation du secteur public, Versailles : Quæ, 2013.

[10] Christine

Albert Ogien

Sociologue, Directeur de recherche au CNRS – CEMS

Notes

[1] Robert Castel, Les Métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris : Fayard, 1995 ; Philippe Bezès, Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris : Presses universitaires de France, 2009.

[2] Pierre Milot, « La reconfiguration des universités selon l’OCDE. Économie du savoir et politique de l’innovation », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 148, 2003, p. 68-73 ; Roser Cussó, « La Commission européenne et l’enseignement supérieur : une réforme au-delà de Bologne », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, n° 5, 2006, p. 193-214.

[3] Cette méthode écarte les mesures contraignantes des règlements et directives de l’Union européenne dans certains domaines comme la santé, le travail, l’éducation et la formation. Voir Isabelle Bruno, À vos marques, prêts… cherchez ! La stratégie européenne de Lisbonne, vers un marché de la recherche, Broissieux : Le Croquant, 2008.

[4] La création de l’Espace européen de l’enseignement supérieur en 2010 vise à rendre les systèmes d’enseignement supérieur des pays membres compatibles en instaurant des mécanismes d’assurance qualité – dont le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) est l’incarnation en France.

[5] Que Marie-Anne Dujarier nomme « planeurs » dans Le Management désincarné. Enquête sur les nouveaux cadres du travail, Paris : La Découverte, 2015.

[6] Albert Ogien, « La valeur sociale du chiffre. La quantification de l’action publique entre performance et démocratie », Revue française de socio-économie, n° 5, 2010, p. 19-40.

[7] Jerry Z. Muller, La Tyrannie des métriques, Genève : Markus Haller, 2020.

[8] Ce phénomène est analysé dans Dominique Glaymann et al. (dir.), L’Université en voie de managérialisation ?, Paris : Maison des sciences de l’Homme Paris-Saclay, 2025 (à paraître).

[9] Albert Ogien, Désacraliser le chiffre dans l’évaluation du secteur public, Versailles : Quæ, 2013.

[10] Christine