Éducation

Donner lieu à l’université : refondre le pacte pédagogique

Auteur, programmateur et enseignant

Si « tout savoir est un nœud compact dans un champ de lutte pour le pouvoir », ainsi que le rappelle Donna Haraway, sa transmission peut être repensée afin d’envisager l’acte d’apprentissage comme un levier de transformation collective de nos environnements. Contre une université hors-sol, les pédagogies critiques ont de quoi inspirer d’autres matrices pour un enseignement situé et dialogique, en prise sur les enjeux contemporains.

Pédagogies critiques ? Définissons-les comme un corpus d’outils et de postures dans l’acte de transmission, nourri de l’héritage de Paulo Freire ou des époux Freinet, articulé à une double visée transformative : d’une part repenser l’acte pédagogique dans une perspective intersectionnelle, à même de déjouer les biais et rapports de domination intégrés à la relation de l’éducateur.ice aux apprenants, de l’autre, par l’acte de transmission, tendre à la transformation sociale depuis l’école ou l’université. Ou le fait d’envisager l’acte d’apprentissage comme un commun et un levier de transformation collective de nos environnements, comme outil d’une société conviviale, au sens d’Ivan Illich, au travers d’un dispositif pédagogique qui soit «conducteur de sens, traducteur d’intentionnalité ».

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Bouillonnantes de par le monde, déclinées sous des courants critiques tels que l’écopédagogie, la pédagogie critique de la norme, la pédagogie queer ou encore la pédagogie critique décoloniale, les pédagogiques critiques restent pourtant timides en France, et ce malgré l’héritage Freinet, la place importante de l’éducation populaire dans le champ associatif et militant, et le travail de collectifs comme TRACES, dédié aux pédagogiques féministes. En cause ? Selon Laurence De Cock et Irène Pereira[1] : l’universalisme républicain comme référentiel dominant laissant peu de place à des voix et méthodologies dissidentes, l’absence de formation des pédagogues aux enjeux critiques du geste pédagogique, et une confusion entre pédagogies critiques et pédagogies néo-libérales, mettant la focale sur le corpus d’outils auxquels ouvrent les pédagogies alternatives (de Montessori au codesign, de l’éducation populaire aux écoles Steiner), au détriment de la visée de transformation sociale des pédagogies critiques, à l’instar de la récupération de l’éducation populaire par le monde de la start up nation[2], ou encore de l’intérêt récent du MEDEF pour ces modes d’apprendre disruptifs ou in


[1] Laurence De Cock et Irène Pereira, Les pédagogies critiques, Agone, 2019

[2] André Decamp, Éducation Populaire. Nouvel eldorado des start-up sociales, Éditions Libre & Solidaire, 2024.

[3] Jean-Laurent Cassely, La révolte des premiers de la classe, Arké, 2017.

[4] « Le positionnement est […] la pratique clé qui jette les bases du savoir organisé autour de ce que montre la vision, comme l’est une si grande partie du discours scientifique et philosophique occidental. Le positionnement implique la responsabilité de nos pratiques pour agir. Il s’ensuit que la politique et l’éthique sont la base des affrontements où se joue ce qui va compter comme savoir rationnel. C’est-à-dire que la politique et l’éthique sont au fondement, qu’on le reconnaisse ou pas, des luttes en matière de recherches dans les sciences exactes, naturelles, sociales ou humaines. Ou alors la rationalité est tout bonnement impossible, une illusion d’optique projetée absolument de nulle part. Les histoires des sciences peuvent être racontées avec force comme histoires des technologies. Ces technologies sont des modes de vie, des ordres sociaux, des pratiques de la visualisation. […] Comment voir ? D’où voir ? Quelles limites de la vision ? Pourquoi voir ? Avec qui voir ? Qui arrive à soutenir plus d’un point de vue ? qui est borné ? Qui porte des œillères ? Qui interprète le champ visuel ? » Donna Haraway, Manifeste Cyborg et autres essais, Exils, 2007.

[5] «…passer de l’utopie comme futur aux utopoï comme lieux, dans le présent, là où s’inventent et se joignent des formes d’existence sans qu’aucune ne soit appelée à se ranger dans une trajectoire, que cette trajectoire soit nommée “progrès” ou “synthèse” (…) le potentiel rappelle le présent aux présences, le passé à ses possibilités éteintes, l’avenir à ses potentialités infinies. Il cherche à accueillir des nouvelles configurations d’assemblées, de nouvelles formes de cohabitation. Le potentiel recueille, à rebours des contraintes, des angles impo

Arnaud Idelon

Auteur, programmateur et enseignant , Maître de conférence associé à l'École des Arts de la Sorbonne (Université Paris 1)

Notes

[1] Laurence De Cock et Irène Pereira, Les pédagogies critiques, Agone, 2019

[2] André Decamp, Éducation Populaire. Nouvel eldorado des start-up sociales, Éditions Libre & Solidaire, 2024.

[3] Jean-Laurent Cassely, La révolte des premiers de la classe, Arké, 2017.

[4] « Le positionnement est […] la pratique clé qui jette les bases du savoir organisé autour de ce que montre la vision, comme l’est une si grande partie du discours scientifique et philosophique occidental. Le positionnement implique la responsabilité de nos pratiques pour agir. Il s’ensuit que la politique et l’éthique sont la base des affrontements où se joue ce qui va compter comme savoir rationnel. C’est-à-dire que la politique et l’éthique sont au fondement, qu’on le reconnaisse ou pas, des luttes en matière de recherches dans les sciences exactes, naturelles, sociales ou humaines. Ou alors la rationalité est tout bonnement impossible, une illusion d’optique projetée absolument de nulle part. Les histoires des sciences peuvent être racontées avec force comme histoires des technologies. Ces technologies sont des modes de vie, des ordres sociaux, des pratiques de la visualisation. […] Comment voir ? D’où voir ? Quelles limites de la vision ? Pourquoi voir ? Avec qui voir ? Qui arrive à soutenir plus d’un point de vue ? qui est borné ? Qui porte des œillères ? Qui interprète le champ visuel ? » Donna Haraway, Manifeste Cyborg et autres essais, Exils, 2007.

[5] «…passer de l’utopie comme futur aux utopoï comme lieux, dans le présent, là où s’inventent et se joignent des formes d’existence sans qu’aucune ne soit appelée à se ranger dans une trajectoire, que cette trajectoire soit nommée “progrès” ou “synthèse” (…) le potentiel rappelle le présent aux présences, le passé à ses possibilités éteintes, l’avenir à ses potentialités infinies. Il cherche à accueillir des nouvelles configurations d’assemblées, de nouvelles formes de cohabitation. Le potentiel recueille, à rebours des contraintes, des angles impo