Sociologie

L’Étalon et le Big Data

Sociologue

À l’heure du Big data et des indicateurs à tout va, à quel standard universel, quel mètre-étalon peut-on se référer quand il s’agit de mesurer la qualité d’une idée ? Si l’on veut à tout prix des données chiffrées, rigueur, patience et esprit critique seront nécessaires pour espérer un résultat crédible.

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Ma femme et moi habitons trois mois par an à Paris. Nous marchons beaucoup et tombons parfois sur certaines choses dont nous ignorions l’existence avant d’y achopper. Il y a plusieurs années, en déambulant rue de Vaugirard, nous avons découvert, au numéro 36, presqu’en face du Sénat, un des deux seuls mètre-étalons encore existant (l’autre est Place Vendôme). Il s’agit là de l’une des 16 copies dérivées du mètre-étalon originel qui servit comme mesure universelle pour le mètre quand fut promulgué le nouveau système métrique après la Révolution. Comme tout le monde, je « savais » de façon un peu abstraite qu’il y avait quelque part des modèles de toutes sortes de mesures fondamentales. Mais cette fois-ci, sans prévenir, juste sous mes yeux, se tenait la chose tangible – nichée dans le creux d’un mur d’une rue bondée – et cela me fit forte impression. C’était la réalité derrière l’abstraction, ce à quoi on pouvait se référer si l’on venait à douter de tout le système de mesure.

Le mètre étalon, rue de Vaugirard. photo Dianne Hagaman

En examinant cet étalon, j’y trouvai de quoi élucider une question qui me turlupinait depuis longtemps. Les indicateurs et le « Big Data », instruments de la mode actuelle qui consiste à transformer toute idée en une quantité mesurable, sont devenus la fierté des organisations modernes. Leurs managers « prouvent » à quel point ils font bien leur travail en convoquant des dispositifs de collecte et de traitement de portions de données agglomérées pour mesurer les performances des employés et des organisations qu’ils dirigent, tout particulièrement dans les universités et les organismes de recherches qui touchent à mes propres activités intellectuelles. Que ces systèmes puissent affecter la vie intellectuelle et les activités des universités, des organismes, et des chercheurs commençait à m’inquiéter. J’adoptais donc un regard critique sur les mesures invoquées par ces organismes pour prendre telles ou telles décisions, si dé


Howard Becker

Sociologue, Professor at the University of Washington