Est-on vraiment sorti de l’état d’urgence ?
C’est au cœur de l’histoire coloniale française que la loi du 3 avril 1955, qui constitue le fondement juridique de l’état d’urgence, trouve ses origines – et ses trois premières applications. Après la guerre d’Algérie, ce régime tombe dans l’oubli pendant près de 20 ans ; et c’est à nouveau un mouvement indépendantiste (le mouvement kanak en Nouvelle Calédonie) qui va justifier sa réactivation à l’hiver 1984-85. En 2005, Jacques Chirac déclenche l’état d’urgence en dehors de toute menace directe sur l’intégrité territoriale et nationale ou de violence armée, en guise de réponse à un conflit social dur (les émeutes urbaines qui font suite à la mort des adolescents Zyed et Bouna).

En 2015, réactivé dans la nuit des attaques terroristes du 13 au 14 novembre, l’état d’urgence demeurera en application pendant près de deux années, transformant de ce fait la réponse à un « péril imminent » en un mode de gouvernance de longue durée (voire, pérenne) justifié par des enjeux de sécurité nationale.
L’état d’urgence tel qu’il s’est appliqué de novembre 2015 à novembre 2017 n’a pas seulement été long ; il a vu sa rigueur, du point de vue des restrictions aux droits humains, systématiquement aggravée au fil des six prorogations dont il a fait l’objet. La loi a ainsi largement été amendée entre 2015 et 2017, permettant aux autorités administratives de prendre des mesures qui, en quantité comme en qualité, sont bien plus dures et rigoureuses que celles qui avaient été imaginées au cœur de la répression de l’indépendantisme algérien. Prenons, de manière emblématique, l’article 8 de la loi. Dans sa version initiale, il disposait que : « Le ministre de l’Intérieur, pour l’ensemble du territoire où est institué l’état d’urgence [….] et le préfet peuvent ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature […]. Peuvent également être interdites à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir