International

Une Amérique sous antidépresseurs

Historien

À quelques jours des midterms, la crise sanitaire américaine pèse de nouveau sur la compétition électorale. Dépression, addiction, suicide : ce triste enchaînement concerne des milliers de personnes et leurs proches aux États-Unis. Et il pourrait bien expliquer le succès d’un Donald Trump qui a su surfer sur cette vague morbide.

Il y a quelque chose de morbide dans l’Amérique de Donald Trump. Et le président aux cheveux roux n’en est pas le seul responsable. Au cours d’un voyage dans tous les États du pays, Mark Zuckerberg, le fondateur du réseau social Facebook, avait perdu son sourire de façade. Alors que la Silicon Valley finance des recherches sur la vie éternelle grâce à l’intelligence artificielle, le créateur de Facebook a croisé des morts par milliers. Loin des images d’Épinal de la publicité, de la télévision et du cinéma, dépressions, suicides, opiacés font des ravages aux États-Unis.

Depuis une vingtaine d’années, des Américains meurent de manière anormalement élevée au regard des conditions sanitaires, des progrès de la médecine et de l’enrichissement du pays. Longtemps, ce triste destin était réservé aux minorités ethniques, notamment les Afro-Américains dans les grands centres urbains et les populations amérindiennes dans l’ouest du pays. Depuis peu, son élargissement aux hommes et aux femmes, blancs, d’âge moyen, dotés d’un faible niveau culturel, est un marqueur supplémentaire de la crise sanitaire de la démocratie étatsunienne.

En 1976, dans un essai un peu oublié aujourd’hui, La Chute finale, le démographe Emmanuel Todd prédisait l’effondrement du modèle soviétique en décortiquant avec talent les indicateurs sanitaires et sociaux de l’URSS. Dans l’anonymat de revues scientifiques, médecins, démographes et économistes observent une dégradation similaire, même s’ils restent prudents sur la fin annoncée du modèle américain. Les élections de mi-mandat de l’automne 2018 ont mis en forme politique cette étonnante crise sanitaire dans un pays où l’espérance de vie atteint 79 ans pour les hommes et 81 ans pour les femmes.

Depuis le début du XXIe siècle, deux problèmes de santé publique sont apparus à l’échelle nationale : les opiacés et les suicides. Dans le premiers cas, la consommation massive d’antidouleurs a provoqué des comportements addictifs et provoqué un nombre d’overdos


Romain Huret

Historien, Directeur d’études à l’EHESS