Environnement

Chine, l’impossible « guerre à la pollution »

Économiste, Économiste

L’accord trouvé à l’arraché à l’issue de la COP 24, qui se déroulait à Katowice en Pologne, apparaît bien insuffisant au regard des enjeux colossaux et des alertes multiples des scientifiques. La transition écologique se heurte aux impératifs politiques, comme le montre d’ailleurs l’exemple chinois. Malgré une bonne volonté affichée, le premier pollueur de la planète peine à enclencher un dispositif qui remet en cause son modèle de développement.

Depuis 2014, la Chine a officiellement déclaré la « guerre à la pollution ». Le premier pollueur mondial affiche aujourd’hui avec emphase ses ambitions en matière de lutte contre la pollution et n’hésite pas à se présenter comme un champion de la transition écologique. Si ce virage environnemental donne au pays une occasion unique de redorer son image au plan international, il s’explique avant tout par des motifs intérieurs liés à la crise environnementale inédite que connaît le pays en raison de la simultanéité et de l’intensité des problèmes. La crise écologique chinoise touche tous les écosystèmes – eau, air, sol – et le pays connaît chaque année des scandales sanitaires découlant de l’état dramatique de l’environnement, faisant prendre conscience des limites du modèle de développement suivi.

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Après des décennies de croissance effrénée où les considérations environnementales étaient soit ignorées, soit délibérément bafouées, l’État central semble avoir été contraint de réagir. Malgré l’incorporation progressive depuis les années 1990 d’objectifs environnementaux pour rendre la croissance chinoise plus soutenable, l’environnement n’a en effet pas cessé de se dégrader aboutissant à une crise d’une ampleur sans précédent. Aucun pays n’avait exposé sa population à des niveaux de pollution aussi importants sur des durées aussi longues. L’épisode de pollution atmosphérique longtemps considéré comme un des plus meurtriers, le Great Smog de Londres, a causé la mort d’environ 12 000 personnes en 4 jours au cours de l’hiver 1952, soit 3 000 morts par jour. Le nombre de décès prématurés en Chine, chaque jour, du fait de la pollution de l’air ambiant serait 50 % supérieur, aboutissant à un total de 1,6 million de personnes par année, soit 17 % de l’ensemble des décès en Chine.

Tous les écosystèmes sont touchés

Ces dernières années, les problèmes de qualité de l’air ont focalisé l’attention des médias et ému l’opinion internationale. Mais d’autres pollutions, moins visibles, car touchant l’eau et les sols, sont tout aussi importantes. Certains experts les considèrent même comme plus problématiques car la dépollution de ces milieux est extrêmement complexe et nécessite un temps souvent très long.

Pour la première fois, en 2005, le ministère de la Protection de l’Environnement (MEP) et le ministère du Territoire et des Ressources chinois ont mené conjointement une enquête nationale sur la pollution des sols. Avant cette date, la Chine n’avait pas de statistiques officielles sur leur état. Plusieurs fois repoussés et publiés finalement en 2014, les résultats de l’enquête sont alarmants : 16 % des sols étudiés ont été classés comme pollués au-delà des normes acceptables et 19 % des terres arables sont contaminées par des métaux lourds. La distribution spatiale des résultats n’a pas été rendue publique, mais il a été précisé que la pollution dans la partie sud du pays était plus préoccupante qu’au nord. Les niveaux de métaux lourds sont particulièrement élevés dans le sud-ouest et le centre-sud du pays notamment, du fait des activités extractives et de fusion des métaux.

Le vice-ministre chinois des Terres et des Ressources, Wang Shiyuan, a annoncé en 2014 que plus de 3 millions d’hectares de terres agricoles chinoises étaient trop pollués pour être cultivés, soit 2 % des terres arables (une superficie un peu plus grande que celle de la Belgique). Or, la part de terres arables par habitant en Chine est déjà inférieure de moitié à celle de la moyenne mondiale. Cette décision accentue les difficultés du pays à atteindre l’autosuffisance alimentaire, une priorité pour les autorités chinoises depuis les années 1950. Cet objectif a conduit à augmenter de façon continue la superficie des terres agricoles, ce qui a parfois abouti à cultiver des terres à proximité d’usines chimiques, de mines ou d’autres installations industrielles.

La qualité de l’eau est généralement mauvaise en Chine, et souvent pire qu’il y a 20 ans. Quelques progrès récents ont été enregistrés mais ils restent fragiles : entre 2015 et 2016, la part des eaux de surface de mauvaise et très mauvaise qualités ont augmenté dans certains bassins. Les problèmes de pollution de l’eau diminuent la quantité d’eau disponible et accentuent le stress hydrique, particulièrement présent au nord du pays. Le fleuve Jaune par exemple, sixième fleuve de la planète, connaît des périodes d’assèchement de plus en plus longues. Le stress hydrique a été accentué par une forte baisse des précipitations, entre 2,6 % et 10,4 % au cours des deux dernières décennies, tout particulièrement dans les bassins fluviaux Huai, Hai, Huang et du fleuve Liao, tous situés dans le Nord, là où les problèmes de disponibilité en eau sont les plus critiques. Cette forte baisse des précipitations a été en partie attribuée aux changements climatiques. Sous l’effet conjugué des facteurs climatiques et des activités humaines, la désertification progresse par ailleurs : depuis 1949, la Chine a perdu 129 000 km² (soit un cinquième de la superficie de la France).

Des impacts sanitaires encore sous-évalués

Les évaluations du nombre de morts prématurées causées par la pollution en Chine ne cessent d’augmenter : 750 000 décès prématurés par an du fait de la pollution de l’air et de l’eau dans le rapport publié par la Banque Mondiale et l’administration d’État en charge de la protection de l’environnement (State Environmental Protection Administration (SEPA), l’ancêtre du MEP) en 2007 ; 1,2 million en 2010 selon le Health Effects Institute ; ou encore 1,6 million de décès précoces par an du fait des seules PM2,5 selon Rohde et Muller (2015).

Cette révision à la hausse ne témoigne pas d’un manque de fiabilité dans les estimations épidémiologiques, mais résulte plutôt d’un progrès des connaissances dans ce domaine. Par exemple, de nouvelles méthodes de surveillance, notamment la télédétection, permet de mieux estimer les émissions et les concentrations ambiantes de polluants. Les travaux récents ont également permis de mieux comprendre la relation entre les émissions/concentrations de polluants et l’exposition des populations, et de la relation entre l’exposition de la population et ses effets sur la santé, notamment le lien entre pollution de l’air et le cancer du poumon. La densité de la population en Chine et la difficulté de la population à se protéger sont par ailleurs des éléments qui aggravent les conséquences sanitaires des pollutions.

Peut-on attendre une amélioration rapide de la situation ?

Le défi environnemental auquel la Chine est confrontée est peut-être le plus complexe et le plus difficile auquel un pays ait jamais eu à faire face. Au cours des trente dernières années, le facteur le plus fondamental du développement du pays a été certainement une croissance économique rapide et persistante, mais les profonds changements économiques et sociaux qui sont intervenus au cours de la période ont également joué un rôle considérable.

Les causes des problèmes environnementaux de la Chine sont faciles à identifier mais sont complexes à résoudre. La croissance économique rapide du pays a été largement portée par des investissements massifs en infrastructures et un soutien étatique aux activités industrielles lourdes alimentées par le charbon, dont le sous-sol du pays regorge. Le pouvoir chinois a beaucoup tardé à agir, donnant la priorité à l’atteinte des cibles de croissance. Ce n’est qu’en 2008 que la Chine s’est dotée d’un ministère de la protection de l’environnement conférant ainsi aux questions environnementales un rang administratif équivalent à celui des transports, de l’industrie ou de l’agriculture.

L’amélioration de la situation ne pourra pas être rapide. L’analyse de l’évolution de la structure de production et de la consommation énergétique du pays s’inscrit en faux contre la représentation d’une Chine pleinement engagée dans une transition écologique. Au contraire, les politiques de relance menées par le gouvernement depuis le milieu des années 2000 ont amplifié les conséquences négatives de la forte croissance économique en donnant plus de poids à l’industrie lourde, très énergivore et polluante.

Un revirement du pouvoir central très récent…

Pékin semble néanmoins avoir récemment pris conscience de la gravité de la situation. Depuis 2014, plusieurs signes pourraient être annonciateurs d’un changement profond dans le pays. Dans le 13ème plan quinquennal (2016-2020), le pouvoir central a donné une place importante à la protection de l’environnement, ce qui a conduit à réviser significativement les politiques existantes. De plus, une demande sociale pour une meilleure qualité de l’environnement semble bel et bien avoir émergé dans le pays, même si elle reste sous une surveillance étroite du régime, ce qui limite son ampleur et son efficacité.

Si, sur le papier, la Chine dispose maintenant de lois et réglementations environnementales nécessaires à amorcer une transition vers une économie moins gourmande en ressources et moins préjudiciable à l’environnement et à la santé publique, elles sont encore peu prises en compte sur le terrain. La complicité des autorités locales est évidente. Les lois qui sont entrées en vigueur début 2018 cherchent à s’attaquer à ce problème : elles attribuent désormais une responsabilité directe aux autorités locales dans la réduction de la pollution en menaçant de sanctions les fonctionnaires qui manqueraient à leurs obligations ou dissimuleraient sciemment les violations. La manipulation des données de pollution par le passé a été extrêmement usitée dans certaines régions.

…et une forte résistance des pouvoirs politiques et économiques locaux

La structure économique et administrative de la Chine est extrêmement fragmentée et décentralisé. Le gouvernement central a finalement un pouvoir réel limité sur les fonctionnaires des administrations locales qui sont en première ligne pour mettre en œuvre la conformité environnementale et qui rendent en priorité des comptes aux responsables politiques locaux, plutôt qu’à leurs supérieurs dans la bureaucratie centrale. La résistance de ces cadres locaux est grande, tant ils sont engagés dans des systèmes clientélistes avec les entreprises locales et soumis à un système d’incitations contradictoires où, encore maintenant, la performance économique prime sur les considérations environnementales. La décentralisation économique et administrative amène les localités à une concurrence féroce pour soutenir l’activité et l’emploi.

Le recours, ces dernières années, à des mesures d’urgence pour améliorer temporairement la qualité de l’air au mépris des conséquences sociales et économiques est également révélateur du manque de compréhension de la part des autorités locales des enjeux liés à la transition écologique. Au cours de l’hiver 2017, certaines villes ont par exemple interdit aux ménages d’utiliser les traditionnelles briquettes de charbon pour se chauffer. Les journaux se sont fait l’écho de témoignages de familles pauvres subissant le terrible froid hivernal et auxquelles les autorités n’ont proposé aucune alternative. Des méthodes similaires avaient été appliquées lorsque Pékin avait accueilli les J.O. en 2008.

La résistance des lobbys industriels et des producteurs d’énergie à adopter des normes de qualité plus contraignantes s’ajoute aux difficultés qui se posent au pouvoir central pour amorcer une véritable transition écologique. Ces lobbys ont par exemple réussi à ralentir considérablement l’amélioration programmée de la qualité des carburants utilisés en Chine. Ils expliquent aussi la construction en cours de plus de 100 nouvelles centrales au charbon dont les permis ont été approuvés par les gouvernements locaux, malgré la baisse des taux d’utilisation des centrales existantes et la croissance des capacités de production non fossiles. La mise en service des projets déjà approuvés ajouterait environ 1 GW de capacité énergétique basée sur le charbon par semaine jusqu’à la fin de 2020. L’incapacité du gouvernement central à contrôler la prise de décisions pour des installations dont la durée de vie dépasse 40 ans risque d’ancrer encore plus la résistance au passage aux énergies renouvelables dans l’avenir.

Le constat est similaire dans le secteur sidérurgique qui connait, depuis plusieurs années, d’importantes surcapacités de production ayant mis à mal le marché mondial de l’acier. Les entreprises sidérurgiques, qui sont pour la plupart publiques, sont prêtes à vendre et à exporter à bas prix pour maintenir l’emploi et résistent, avec l’appui des gouvernements locaux, aux efforts du gouvernement central visant à réduire leur production.

Un défi environnemental encore à relever

La crise environnementale à laquelle est confronté l’empire du Milieu pose à nouveau la question de la conciliation entre développement et protection de l’environnement. Et les solutions apportées par les autorités seront cruciales pour le pays, mais également pour l’ensemble des pays émergents et en développement qui, sans avoir connu le succès économique de la Chine, sont déjà victimes de situations extrêmement critiques en matière de pollution.

Les dernières politiques environnementales mises en œuvre laissent penser que le pouvoir central a pris dorénavant à bras le corps la question, mais plusieurs éléments semblent témoigner encore d’une prise en compte insuffisante des entraves existant à la mise en œuvre de ces politiques et nous incitent à un optimisme très modéré. Les résistances et les difficultés pratiques sont nombreuses. Les marges de manœuvre sont finalement assez étroites tant l’effet d’inertie du système en place est fort. Le développement des énergies renouvelables et l’adoption de politiques environnementales plus strictes ne suffiront pas pour espérer établir une véritable transition écologique.

Le salut ne pourra passer que par des ajustements industriels vigoureux notamment dans les secteurs intensifs en énergie comme la construction, l’aluminium et l’acier. La puissance des groupes de pression dans ces secteurs et la volonté du gouvernement d’éviter les désordres sociaux et d’assurer emploi et hausse continue du niveau de vie à une population encore relativement pauvre, de sorte à maintenir sa légitimité politique, sont autant de forces favorables au statu quo malgré son coût environnemental. Le chemin s’annonce ainsi long avant que l’on puisse affirmer que la Chine a amorcé sa transition écologique et que celle-ci contribue à une amélioration de la situation environnementale au niveau mondial.

 

NDLR : Stéphanie Monjon et Sandra Poncet viennent de faire paraitre aux Éditions de la rue d’Ulm La transition écologique en Chine : mirage ou « virage vert » ?


Stéphanie Monjon

Économiste, Maîtresse de conférences à Paris Dauphine

Sandra Poncet

Économiste, Professeure à Paris 1

Mots-clés

Climat