« Parce que c’est notre rejet » : poétique des Gilets Jaunes
Lors de la Commune et de Mai 68, auxquels le mouvement des Gilets jaunes se réfère volontiers, la parole officielle des meneurs a été prolongée par des discours parallèles, de natures diverses, fonctionnant comme une béquille à la réflexion idéologique, la synthétisant à travers des formes moins rigides et susceptibles d’assurer une large diffusion des revendications et enjeux du mouvement : ce furent les chansons de la Commune (celles-ci héritant partiellement du répertoire de 1848) et les slogans de Mai 68, accueillis par des affiches, banderoles et autres tags apposés sur les murs. Les mêmes pratiques ont été mobilisées par les Gilets jaunes au cours des derniers mois : elles reposent sur une dynamique collective et anonyme, sur la capacité à investir des supports artisanaux et, souvent, sur une poétique du détournement ; l’ensemble favorise l’émergence d’une parole vive dans la logique d’un défouloir où se croisent élans lyriques, comiques et virulents.

Il n’est pas toujours aisé d’étudier ces productions « sauvages » (selon la formule utilisée par Jacques Dubois dans L’institution de la littérature pour désigner les écrits circulant en marge des circuits éditoriaux). Leur déploiement sur des supports de fortune (ou leur illégalité, dans le cas du tag) et leur capacité à réagir à des éléments très précis de l’actualité (qu’il convient de rappeler lors d’approches diachroniques) les rend doublement éphémères. Les outils numériques contemporains et les réseaux sociaux se révèlent toutefois précieux en ce qu’ils permettent de soutenir l’élaboration d’un corpus de slogans réfractaires, mais aussi d’assurer la pérennité de ces derniers, à l’image du Tumblr La Rue ou rien, qui réunit à ce jour plus de 400 productions écrites liées au mouvement, déclinées sous la forme de tags (principalement), affiches, fresques, pancartes et autres banderoles. Sur la base d’un tel corpus de photographies, il est possible de reconstituer la poétique des Gilets jaunes, en observant le