Politique

La laïcité dans le « grand débat », ou comment entendre les silences

Chercheuse en littérature

Lors de ses vœux puis dans sa lettre aux Français, Emmanuel Macron a furtivement introduit dans le « grand débat » une question très éloignée des revendications sociales des « gilets jaunes » : la laïcité. Un choix d’autant plus surprenant que la laïcité est plébiscitée par une majorité des Français. Le risque étant, face à cette notion complexe et intimidante, de ne faire réagir que ses détracteurs, au détriment de ses soutiens, majoritaires mais silencieux.

Et le président Macron glissa subrepticement le thème de la laïcité dans le « grand débat »… Comme si, depuis une quinzaine d’années, hebdos et télés n’avaient pas fait leurs choux gras de controverses médiatiques sur le sujet, à coup de « crèche Babyloup » et de « burkini », de café à Sevran et de nativités dans les mairies. Comme si le mot ne hérissait pas d’emblée levées de boucliers et bardées d’arguments, prétexte à un ping-pong d’invectives (« Islamo-gauchiste ! », « Néo-reac ! », « Communautariste ! », « Laxiste ! »). Las ! Alors que les Gilets jaunes parlaient pouvoir d’achat, ISF, fins de mois difficiles et RIC, Emmanuel Macron, par un de ces tours de passe-passe dont il a le secret, recadre les discussions d’en haut et substitue à la question sociale la question identitaire (immigration et place du religieux étant habilement placés l’un à la suite de l’autre dans la lettre du président et le questionnaire en ligne).

Les contestataires et les Français qui les soutiennent se demandent comment vivre et se faire entendre comme citoyen ? Macron biaise et leur demande comment « vivre ensemble » dans une période de « doutes liés à l’immigration » et « d’importants débats » sur la laïcité. Manière de suggérer par allusion que les obstacles à l’harmonie ne sont pas les inégalités sociales ou les insuffisances d’une démocratie devenue si peu représentative, mais la diversité religieuse et d’origines.

On peut d’autant plus se demander où était l’urgence à remettre une pièce dans la machine à polémique et à stigmatisation que l’on sait assez précisément ce que les Français pensent et disent de la laïcité grâce à une enquête de grande envergure qu’a mené le CEVIPOF en mai 2016 en partenariat avec l’Ipsos. L’Enquête Électorale Française 2017 a interrogé près de 20 000 personnes sur le sujet, à travers une batterie de questions ouvertes et fermées qui laissaient les Français s’exprimer sur le sens et la valeur qu’ils attribuent à la laïcité. À la différence du grand déb


Cécile Alduy

Chercheuse en littérature, Professeure à Standford, Chercheuse associée à Sciences Po

Mots-clés

Laïcité