Éducation

CP à 12 élèves : promesses et limites du nouveau dispositif

Sociologue

Le ministre de l’éducation nationale s’est récemment félicité des premiers résultats des CP à 12 élèves. Une enquête exploratoire menée avec des étudiants de Master 2 pointe pourtant, au-delà de la satisfaction générale, la persistance de la propension déplorable de la part de certains enseignants à externaliser et psychologiser les difficultés scolaires.

Les CP à 12, désignés comme une « mesure phare » du gouvernement, semblent largement plébiscités par les enseignants. Le dispositif, qui ne concerne qu’une minorité de classes de CP (celles qui sont en REP +) est crédité par le ministère de l’éducation d’être efficace à condition qu’il s’accompagne d’une révision des méthodes de lecture.

Dans ce but, il a fait éditer un « livre orange » pour aider les enseignants à changer leurs pratiques, dénoncé comme une atteinte à la liberté pédagogique par le SNUIPP. Celui-ci reprend l’antienne selon laquelle la lecture ne peut se réduire au déchiffrage et considère que les 100 % de réussite au CP constituent un objectif irréalisable pour certains élèves « qui ne réussiront pas, pour des raisons liées à leur milieu économique et culturel », selon la secrétaire générale du SNUIPP.

Si la mise en place du dispositif soulève plusieurs problèmes [1], il nous semble inacceptable d’admettre comme une évidence, comme le fait le SNUIPP, que certains élèves seront interdits d’apprendre du fait même de leur appartenance sociale et des difficultés qui pèsent sur leurs conditions de vie. C’est d’autant plus inacceptable qu’en même temps il continue à se référer implicitement à des démarches pédagogiques dont l’inefficacité a quand même été largement montrée.

Or, le problème est précisément que lorsque ces démarches ne produisent pas les résultats escomptés, la porte de sortie pour expliquer les difficultés des élèves est toujours ouverte : leur milieu social n’est pas favorable ou alors ils sont atteints de troubles psychologiques lié à leur environnement familial (et dans ce registre l’imagination est sans frein) ou alors, confondant quelques lettres qu’il est en fait parfaitement normal de confondre en début d’apprentissage, ils doivent être atteints d’une pathologie dys quelconque.

Une enquête exploratoire conduite avec nos étudiants de master 2 sur la mise en place des CP à 12, étudiants qui ont réalisé un excellent travail, indique en effet qu’au-delà de la satisfaction exprimée sur un meilleur climat de classe, la possibilité de transformer les pratiques pédagogiques, d’innover, de modifier l’espace de la classe, des meilleures conditions de travail, etc., certains enseignants peuvent manifester la même propension à externaliser la difficulté scolaire et à invoquer des élèves qui seraient pour différentes raisons incapables d’apprendre, la psychologisation des difficultés scolaires [2] coexistant avec la référence à un milieu social par nature handicapant. Ces enseignants, que nous espérons minoritaires, estiment même que l’un des avantages du dispositif est de pouvoir « repérer » plus vite les enfants à besoins particuliers et de les envoyer vers des professionnels de la prise en charge qui vivent du délitement de l’école.

Les enseignants sont encouragés par toute une littérature et un champ d’expertise professionnelle à ces recours qui entretiennent le fatalisme : il est en effet impossible de changer le milieu social d’un élève. Quant à attendre qu’il soit délivré des souffrances psychiques qui l’empêchent soi-disant de « penser », c’est lui laisser accumuler un retard scolaire parfois impossible à rattraper dans les conditions offertes par le système, cela d’autant plus que l’on prend sur le temps scolaire pour lui permettre de consulter à l’extérieur, des scolarisations partielles étant même parfois proposées, réduisant la possibilité des mères à se maintenir sur le marché du travail (voir Morgane Delmas et Sandrine Garcia ici).

En ce qui concerne la question des méthodes de lecture (nous préférons le terme, moins réducteur, de démarches pédagogiques [3]) il est des certitudes, qui, quand bien même elles appartiennent au « patrimoine politique » des mouvements pédagogiques et des syndicats de gauche, doivent être remises en cause, notamment lorsqu’elles s’opposent à la réduction des inégalités. C’est le cas des démarches pédagogiques qui, sous couvert de permettre aux élèves d’accéder à la compréhension – et qui songerait sérieusement à nier que le but de la lecture est la compréhension – exposent les élèves à des dispositifs d’apprentissage de la lecture qui mêlent apprentissage de la devinette, apprentissage de mots dit outils, en fait appris par mémorisation globale, bouts d’enseignement explicite de quelques syllabes, etc.

Cet apprentissage présente déjà des difficultés suffisantes pour qu’on ne s’emploie pas à le rendre périlleux en soumettant les élèves à un « gloubi-boulga » qui leur apprend à se tromper. En effet, même lorsque l’enseignement du déchiffrage est à 100 % explicite et direct, il existe toujours, comme nous l’avons constaté nous mêmes en travaillant pendant quatre ans avec des élèves de CP, un moment où, parce que l’effort du déchiffrage est encore trop grand, l’élève va tenter de deviner et il faut au contraire le reprendre à ce moment là et le faire répéter beaucoup pour qu’il acquière l’aisance nécessaire et renonce à la devinette.

Alors si les démarches elles mêmes, sous couvert d’hypothèses sur le sens et autres avatars, lui apprennent à deviner ou exigent de lui qu’il stocke des mots globalement alors que sa mémoire de travail n’est pas encore construite, se posent pour le coup des problèmes de compréhension qui ne viennent en réalité pas des élèves, tous capables d’apprendre, quel que soit leur milieu, mais des dispositifs chaotiques qu’on leur impose.

Une partie des démarches pédagogiques présentées abusivement comme « progressistes » fonctionnent grâce au travail invisible des parents et notamment des mères.

Certes, on sait que toutes les formes de compréhension ne découlent pas du déchiffrage et qu’en particulier la compréhension des « inférences » doit faire, comme le déchiffrage, l’objet d’un apprentissage systématique, progressif et organisé – les travaux de Maryse Bianco l’attestent suffisamment –, mais elle suppose la compréhension littérale, qui elle-même s’appuie sur la vitesse et la précision du déchiffrage.

La question n’est pas uniquement que les élèves sachent déchiffrer, mais d’obtenir une qualité du déchiffrage (vitesse et précision) permettant aux élèves précisément de comprendre. Il s’avère que même lorsqu’ils déchiffrent, beaucoup d’élèves sont bien en deçà du niveau nécessaire pour cette compréhension de base (voir sur ce point le rapport de l’IFE) et à plus forte raison, ils sont encore moins en mesure de comprendre des informations implicites (dites inférentielles) à partir d’informations explicites. A vouloir éviter de confronter les élèves à des textes entièrement déchiffrables, en croyant mener de front toutes les dimensions de la lecture, on ne se donne au final les moyens ni de ne travailler efficacement le déchiffrage, ni la compréhension fine.

Réintroduire de plus grandes attentes en matière de niveau de déchiffrage (et non pas de déchiffrage) permettrait d’enseigner ensuite bien plus facilement l’orthographe et la compréhension des inférences. Mais cela suppose d’y consacrer beaucoup de temps et d’énergie. Lorsqu’un niveau acceptable est visé explicitement (avec un minimum de mots correctement lus à la minute pour tous les élèves en fin de CP) on peut y parvenir comme nous l’avons montré (voir cet ouvrage) mais en renonçant d’emblée à se réfugier derrière l’excuse du milieu familial ou de diverses pathologies.

Cette posture est d’autant plus inacceptable qu’une donnée est sans cesse ignorée dans les débats sur l’efficacité de l’école. C’est le fait qu’une partie des démarches pédagogiques présentées abusivement comme « progressistes » (respectueuses de l’enfant, lui permettant de construire ses savoirs, ne lui imposant rien qui émane d’une autorité frontale, et nous en passons) fonctionnent grâce au travail invisible des parents et notamment des mères, dans les classes moyennes intermédiaires et supérieures et parfois des classes populaires (voir la thèse de Fabienne Montmasson-Michel). Ces parents procèdent eux-mêmes à certains apprentissages de « base » et méprisés à ce titre par des militants pédagogiques au nom du caractère émancipateur pour les classes populaires des conceptions considérées comme « élevées », « ambitieuses » de leur point de vue.

Le problème, c’est qu’en fait d’émancipation, les conceptions élevées qui relativisent la valeur et l’importance des savoirs dits premiers débouchent surtout dans le cabinet de l’orthophoniste, quand elles ne conduisent pas certains parents désarmés à rechercher désespérément un diagnostic de « dys » pour expliquer les difficultés de leur enfant (et se rassurer sur leur « intelligence »).

Notre enquête sur les pratiques pédagogiques des classes moyennes, nous disons bien pédagogiques (et pas seulement éducatives), explique pourquoi ces catégories résistent à la baisse généralisée des performances scolaires : le travail parental invisible permet à leurs enfants de tirer profit même de démarches peu efficaces pour tous, parce qu’ils ont déjà appris chez eux les fondements que ces méthodes « intégratives » s’évertuent à ne pas leur apprendre de manière suffisamment systématique et explicites.

Et lorsqu’elles ne procèdent pas à ces pré-apprentissages et qu’il y a des ratés, ces mères se mobilisent pour « rattraper » les choses, en prenant elles-mêmes et depuis le départ en charge l’apprentissage, sans en avertir les enseignants, pour, comme le dit l’une d’entre elles, « ne pas se mettre à dos les instits » (voir publication). Et comme le dit avec innocence une mère qui a appris à déchiffrer à sa fille – entièrement – et en reprenant l’opposition entre déchiffrer et comprendre, « lire, ce n’est pas déchiffrer et nous, on ne lui a pas appris à lire, on lui a seulement appris à déchiffrer ».

Ce travail invisible des mères est efficace et il est systématiquement justifié, s’il en est besoin, par une « rhétorique de la demande [4] » qui ferait de l’intervention parentale la seule réponse à une attente enfantine. Même lorsqu’il se cantonne aux rudiments de l’apprentissage du déchiffrage, il est essentiel car il développe, avec la connaissance du nom et du son des lettres une conscience phonologique essentielle (voir cet article) que d’autres enfants devront acquérir à l’école.

Les enfants en difficulté à l’école et dont les parents ne veulent pas ou ne se sentent pas légitimes pour prendre eux mêmes les choses en main, voient systématiquement leurs difficultés s’aggraver, ce qui en général, n’améliore pas leur comportement en classe (et justifie la suspicion de troubles divers). L’issue de la situation, nous l’avons constaté, ne dépend pas tant des difficultés rencontrées par les élèves que par la légitimité que s’accordent les parents à intervenir stratégiquement avant que les difficultés ne s’aggravent.

Il faut donc aujourd’hui également revoir et c’est l’un des autres enseignements de notre enquête, la conception d’un avantage scolaire des élèves culturellement dotés et qui tiendrait à une sorte de « bain culturel » qui produirait des effets d’apprentissage indépendamment d’un travail systématique (voir cet article). Même la dictée, discréditée sans nuances dans les années 1970 pour le même type de raisons prétendument progressistes que la pédagogie directe de la lecture, est utilisée par certains parents comme un entraînement parfaitement rationnel permettant aux enfants d’acquérir une maîtrise orthographique que le système scolaire ne donne pas aujourd’hui.

On tient là une contradiction majeure qu’entraîne la valeur patrimoniale accordée à des conceptions excessivement constructivistes : elles favorisent les usages invisibles parce que familiaux d’un capital culturel opportunément converti en compétences pédagogiques qui valident des démarches… qui ne fonctionnent jamais aussi bien que lorsque les parents réalisent à côté le travail sur les bases.

Précisément à cause des conditions de vie que le SNUIPP invoque à juste titre, beaucoup de parents ne sont pas en mesure et n’ont pas la disponibilité de rattraper ce que l’école ne fait pas.

Il serait particulièrement injuste de faire porter la responsabilité des échecs scolaires aux enseignants qui dans le contexte français ont été et sont toujours particulièrement malmenés de sorte que l’abandon des élèves en difficulté ou leur externalisation est devenue une variable d’ajustement pour « tenir » dans le métier et ce, dès les premières années (voir cet ouvrage). Les enseignants français, ont les classes les plus nombreuses et les charges d’enseignement les plus lourdes parmi les pays de l’OCDE, sont soumis à la valse des mesures, des programmes qui changent en même temps que la couleur des gouvernements et à des prescriptions de plus en plus nombreuses bientôt effacées par des nouvelles.

Ils se sont vus assigner sans compensation, depuis la fin des années 1990, des missions de plus en plus nombreuses et de plus en plus lourdes, notamment avec les dispositifs d’individualisation des parcours et la prise en charge des élèves en situation de handicap, associées à des tâches bureaucratiques de plus en plus chronophages.

En quoi, comment, à quelles conditions précises l’individualisation ou la différenciation pédagogique permet elle de réduire les inégalités, la question est ouverte.

La possibilité de faire de l’individualisation et de la différenciation semblent d’ailleurs considérées comme un des « résultats » positifs du dispositif « CP à 12 », comme si la différenciation et l’individualisation était des fins en soi. Certes, il faut partir des difficultés des élèves et ne pas les exproprier d’emblée avec des exigences inaccessibles pour eux. Il est nécessaire et indispensable de clarifier plus avant les enjeux de la différenciation et de l’individualisation toujours présentées comme des panacées. En particulier, dans quelles conditions la différenciation, inlassablement prescrite s’avère-t-elle profitable ?

Rien n’est moins sûr, tant qu’on ne se fixe pas pour objectif clair de réduire les écarts d’acquisition entre les élèves. S’il s’agit simplement « d’adapter » aux besoins des élèves les propositions d’apprentissage et de « tenir compte du rythme » de chaque enfant, on peut tout aussi bien s’ajuster aux inégalités déjà présentes à l’entrée du CP et ce faisant à les reproduire en se contentant du fait que chacun progresse, ce qui peut très bien aller de pair avec une augmentation des inégalités entre les élèves.

En quoi, comment à quelles conditions précises l’individualisation ou la différenciation pédagogique permet elle de réduire les inégalités [5], la question est en réalité ouverte [6].

Si l’adaptation aux difficultés des élèves, l’individualisation et la prise en compte du rythme de chaque élève deviennent des fins en soi, on risque de voir se reproduire des formes de différenciation que nous qualifierions de « ségrégatives » et qui consistent tout simplement à faire moduler les exigences et la charge de travail attendue des élèves en fonction de leur niveau plutôt que de travailler à rapprocher les élèves les moins avancés des autres.

Pour être un passage parfois nécessaire au début – afin précisément de ne pas exclure des apprentissages les élèves les plus éloignés des attendus scolaires – de telles pratiques d’ajustement risquent, si elles ne sont pas considérées comme un mal provisoirement nécessaire de conduire à exposer moins aux apprentissages ceux le sont déjà moins par leur milieu, comme le fait de manière caricaturale un manuel syllabique moderne qui propose trois niveaux de difficulté au nom de la différenciation pédagogique et du rythme de chaque élève.

À quoi tiennent d’ailleurs ces fameux rythmes auxquels on se réfère encore, malgré leur naturalisme discutable, sinon le produit des pratiques pédagogiques et culturelles familiales ? Qu’est ce qui donc explique que certains élèves ont besoin d’être « nourris [7] » (et donc d’avoir plus que d’autres élèves), sinon la nourriture déjà reçue en dehors de l’école et qui développe de nouveaux besoins ?

Il faut donc attendre de cette réduction de la taille des classes bien plus que la possibilité de différencier la pédagogie et de faire progresser tous les élèves [8]. Il faut, au contraire de ce qui se pratique inévitablement lorsque les élèves sont trop nombreux, faire travailler plus, demander plus, entraîner plus (par exemple en lecture à voix haute et en travaux d’encodage) ceux qui sont les moins avancés en évitant les subterfuges [9] qui permettent de contourner les difficultés.

Plutôt que de célébrer sans cesse les vertus de l’hétérogénéité, il serait peut-être intéressant de réfléchir aux moyens de la réduire pour donner réellement à tous les mêmes objectifs.

 


[1] Notamment liés aux « postes à profil » : dans certaines académies, les enseignants ont dû passer des entretiens pour accéder à ces postes et ont dû parfois être obligés de changer d’école, alors qu’ils avaient déjà des CP à 24, parce qu’ils n’ont pas été « choisis » et qu’il ne restait pas d’autres classes disponibles.

[2] C’est-à-dire la tendance à imputer à des difficultés familiales ce qui est alors pensé comme « blocage » des élèves. Sur ce point voir Stanislas Morel, La médicalisation de l’échec scolaire, La Dispute, 2014.

[3] Qui englobent des « familles » de méthodes plus ou moins directes et explicites. D’autant plus qu’on trouve aujourd’hui sur le marché des méthodes dites syllabiques qui comprennent un nombre important de mots à apprendre par cœur (dits mots outils) qui posent aux élèves des problèmes de mémorisation.

[4] Voir sur ce point Paul Gioia, Performances scolaires à l’école primaire :
 Analyse et comparaison des pratiques familiales d’aide scolaire aux enfants de CP issus de différents milieux sociaux, Master 2, PDI, sous la direction de Jérôme Deauvieau.

[5] Certaines pratiques recommandées par l’IFE dans son gros dossier sur la différenciation laissent encore dubitatif : au delà des débats toujours occultés sur la différenciation pédagogique et des formes diverses et contradictoires qu’elle peut revêtir, on y lit des choses aussi vagues que y lit des choses aussi vagues que « offrir des textes selon le niveau de lecture des élèves ; offrir du matériel supplémentaire ; fournir des référentiels et des outils organisationnels ; exploiter l’interdisciplinarité des notions et des concepts, encourager l’utilisation du numérique, offrir des occasions de travailler en équipe enseigner ou consolider des concepts de base à la suite de l’évaluation diagnostique ; proposer de travailler avec un matériel différent pour une même tâche (Dossiers veille de l’IFE, la différenciation pédagogique en classe, n°113).

[6] En l’étant actuel des connaissances, cette injonction à la différenciation repose sur des bases scientifiquement fragiles, comme le montre Benoît Galand,  .

[7] Selon une expression couramment utilisée par les enseignants.

[8] Pour reprendre l’exemple de la lecture, l’enquête de l’IFE montre que des élèves peuvent considérablement progresser dans leur vitesse de déchiffrage (que l’on sait aujourd’hui liée à la compréhension au moins d’informations explicites) entre la fin du CP et la fin du CE1, alors que 20 % d’entre eux restent à un niveau très faible (50 mots correctement lus à la minute) contre moins 15 mots à la minute des 20 plus lents en fin de CP. Cela constitue un progrès considérable, qui ne suffit absolument pas à leur permettre de fait, d’atteindre les mêmes objectifs que les 20 % qui lisent le plus efficacement (entre 138 MCLM et 200).

[9] Par subterfuge, nous entendons des moyens, peut être parfois provisoirement nécessaires, consistant à masquer les difficultés en croyant atteindre le même objectif : faire déplacer des mots étiquettes à un élève qui n’arrive pas à écrire (et on dira alors que l’objectif de faire une phrase a été atteint, alors qu’il s’agit d’un exercice complètement différent) ou faire écouter une histoire lue pour faire travailler la compréhension « fine » que d’autres sont en mesure de travailler à l’écrit, faire des dictées à « trous » pour les élèves faibles en orthographe, etc.

 

Sandrine Garcia

Sociologue, Professeure en Sciences de l'éducation à l'Université de Bourgogne

Notes

[1] Notamment liés aux « postes à profil » : dans certaines académies, les enseignants ont dû passer des entretiens pour accéder à ces postes et ont dû parfois être obligés de changer d’école, alors qu’ils avaient déjà des CP à 24, parce qu’ils n’ont pas été « choisis » et qu’il ne restait pas d’autres classes disponibles.

[2] C’est-à-dire la tendance à imputer à des difficultés familiales ce qui est alors pensé comme « blocage » des élèves. Sur ce point voir Stanislas Morel, La médicalisation de l’échec scolaire, La Dispute, 2014.

[3] Qui englobent des « familles » de méthodes plus ou moins directes et explicites. D’autant plus qu’on trouve aujourd’hui sur le marché des méthodes dites syllabiques qui comprennent un nombre important de mots à apprendre par cœur (dits mots outils) qui posent aux élèves des problèmes de mémorisation.

[4] Voir sur ce point Paul Gioia, Performances scolaires à l’école primaire :
 Analyse et comparaison des pratiques familiales d’aide scolaire aux enfants de CP issus de différents milieux sociaux, Master 2, PDI, sous la direction de Jérôme Deauvieau.

[5] Certaines pratiques recommandées par l’IFE dans son gros dossier sur la différenciation laissent encore dubitatif : au delà des débats toujours occultés sur la différenciation pédagogique et des formes diverses et contradictoires qu’elle peut revêtir, on y lit des choses aussi vagues que y lit des choses aussi vagues que « offrir des textes selon le niveau de lecture des élèves ; offrir du matériel supplémentaire ; fournir des référentiels et des outils organisationnels ; exploiter l’interdisciplinarité des notions et des concepts, encourager l’utilisation du numérique, offrir des occasions de travailler en équipe enseigner ou consolider des concepts de base à la suite de l’évaluation diagnostique ; proposer de travailler avec un matériel différent pour une même tâche (Dossiers veille de l’IFE, la différenciation pédagogique en classe, n°113).

[6] En l’étant actuel des connaissances, cette injonction à la différenciation repose sur des bases scientifiquement fragiles, comme le montre Benoît Galand,  .

[7] Selon une expression couramment utilisée par les enseignants.

[8] Pour reprendre l’exemple de la lecture, l’enquête de l’IFE montre que des élèves peuvent considérablement progresser dans leur vitesse de déchiffrage (que l’on sait aujourd’hui liée à la compréhension au moins d’informations explicites) entre la fin du CP et la fin du CE1, alors que 20 % d’entre eux restent à un niveau très faible (50 mots correctement lus à la minute) contre moins 15 mots à la minute des 20 plus lents en fin de CP. Cela constitue un progrès considérable, qui ne suffit absolument pas à leur permettre de fait, d’atteindre les mêmes objectifs que les 20 % qui lisent le plus efficacement (entre 138 MCLM et 200).

[9] Par subterfuge, nous entendons des moyens, peut être parfois provisoirement nécessaires, consistant à masquer les difficultés en croyant atteindre le même objectif : faire déplacer des mots étiquettes à un élève qui n’arrive pas à écrire (et on dira alors que l’objectif de faire une phrase a été atteint, alors qu’il s’agit d’un exercice complètement différent) ou faire écouter une histoire lue pour faire travailler la compréhension « fine » que d’autres sont en mesure de travailler à l’écrit, faire des dictées à « trous » pour les élèves faibles en orthographe, etc.