Numérique

In memoriam CDrom – archéologie des sémiophores numériques

chercheur en arts et sciences

Que restera-t-il bientôt du passé numérisé sinon quelques récits aux allures de légendes ? Objets devenus vestiges, programmes illisibles, pages web 404, médias disparus… La métaphore biologique qui tend à donner vie aux médias répugne à déclarer leur mort. Sur la scène médiatique, l’éclat du devenir est toujours préféré au déclin. Mais aujourd’hui, comme le code morse ou le programme radio de météo marine, le CDrom est bien mort. Et la mémoire collective a perdu un média dont la disparition à peine signalée passerait inaperçue. Quelle sépulture serions-nous prêts à lui donner ? Quelle épitaphe lui conviendrait ? Peut-il encore nous adresser quelques messages ?

Dans les années 1990, la diffusion de la culture informatique soulève à nouveau la question de la mutation des formes de mémoire, de son inscription, de son accès et de sa conservation.

En 1995, Bruce Sterling et Richard Kadrey, auteurs et journalistes américains, ont co-signé un appel public (a modest proposal) pour réunir dans un livre collectif des savoirs dispersés. Sous le nom The Dead Media Project, ils sollicitent dans ce manifeste tous les amateurs, les érudits ou collectionneurs d’objets de communication – objets inutiles et qui sont au rebus – à partager leurs connaissances.

À rebours de l’euphorie innovante-mercantile ambiante, et du discours associé concernant les techniques numériques, ils se soucient des erreurs, des ratages et des échecs techno-médiatiques, qu’ils soient récents, proches, distants ou anciens.

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Ce projet de livre devait pour eux « honorer les morts et ressusciter les ancêtres spirituels de la frénésie des nouveaux médias ». Par provocation sans doute, ils en appellent à la production d’un livre paradoxal : tout à la fois petit guide pratique et aussi album, ou beau livre, précis, richement documenté et illustré, durable en tout cas, par le choix d’un « papier-archive sans acide ». Malgré de nombreuses contributions qui restent encore accessibles sur deadmedia.org, aucune version imprimée de ces notes compilées ne verra finalement le jour. Récemment, à l’occasion du 20e anniversaire du projet, un passionné a fini par réaliser une version numérique multiformat à partir des données disponibles en ligne (ePub, Kindle et pdf).

Il faut se rappeler que le web était, à l’époque, encore balbutiant, et donc ce manifeste circule d’abord dans une mailing list avant que le site Internet ne réunisse bientôt toutes ces notes destinées à un hypothétique ouvrage imprimé. Dans son appel à contribution, Sterling n’oublie pas de s’interroger sur la pérennité même du World Wide Web qu’il assigne pourtant comme l’outil incontournable de la collec


Gilles Rouffineau

chercheur en arts et sciences, enseignant-chercheur à l'Esad Grenoble-Valence