International

L’Allemagne 30 ans après : aux sources du malaise oriental

Géographe

L’image d’Épinal attachée à la réunification allemande a fait long feu : alors que, 30 ans après, le pays continue d’être divisé par les disparités économiques et sociales entre l’Est et l’Ouest, la percée fulgurante du parti d’extrême-droite Alternative für Deutschland (AfD) dans l’ex-RDA retentit comme un signal d’alarme. Retour sur les causes d’un malaise que l’on ne peut plus feindre d’ignorer.

Trente ans après la chute du Mur, l’Allemagne est inquiète. Elle est inquiète par la montée des nationalismes et les menaces que constituent ses partenaires d’hier, Etats-Unis, Russie et Turquie. Elle est inquiète pour son économie, qui présente des signes d’essoufflement après dix années de croissance continue. Enfin, elle est inquiète par la permanence de la partition Est – Ouest et par l’ascension rapide du parti d’extrême-droite Alternative für Deutschland (AfD) dans la partie orientale du pays. C’est de ce dernier point que traitera la présente contribution.

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Pour planter le décor et présenter les motifs de cette inquiétude, on peut partir d’un paradoxe apparent : comment comprendre que pour sa première réelle participation à un scrutin national, et après seulement quatre ans d’existence, l’AfD ait envoyé aux élections législatives de 2017 92 députés au Bundestag et soit ainsi devenu le troisième parti du pays derrière la CDU (parti chrétien-démocrate) et le SPD (parti social-démocrate) ?

Plus récemment, comment expliquer que 27,5% des électeurs de Saxe aient accordé leurs suffrages à l’AfD lors des dernières élections régionales du 1er sept. 2019, alors que cela fait longtemps que la Saxe est sortie de la crise économique et sociale et que la présence d’étrangers en Saxe est minime ? Mutatis mutandis, cette situation paradoxale rappelle un peu celle de l’Alsace des années 1980-1990, où le Front national de Jean-Marie Le Pen réalisait des scores élevés en jouant sur la peur des étrangers, alors que le taux d’étrangers en Alsace, de même que le taux de chômage, étaient bien plus bas que la moyenne nationale.

Comment expliquer que l’ensemble des Länder de l’Est soit concerné par un vote pour l’extrême-droite à hauteur de 20% en moyenne (contre 10% à l’Ouest) ? Pourquoi les motivations pour un vote d’extrême-droite, quelles qu’elles soient (protestation contre l’establishment de l’Ouest, ressentiment, frustration, racisme, xénophobie), s’expriment dans l


Boris Grésillon

Géographe, Professeur à l'Université Aix-Marseille, Senior Fellow de la fondation Alexander-von-Humboldt (Berlin)