International

Le trauma du double coup dur – récit et contre-récit à l’heure de la Covid et de George Floyd

Sociologue

La conjonction de la pandémie de Covid-19 et du meurtre de George Floyd nourrit désormais aux Etats-Unis un violent affrontements de récits contradictoires. Jusqu’au décompte des bulletins de vote le mardi 3 novembre, nous resterons dans le brouillard de cette guerre des cultures et assisterons à des constructions narratives rivales mettant en scène performances et personnages, à des débats pour déterminer si l’Amérique est encore grande, ne l’a jamais été ou peut être amenée à le redevenir – et par qui.

Brendan Hermanson, 51 ans, ouvrier du bâtiment depuis trente ans, a traversé la pandémie en bonne santé et avec un emploi. Chez lui, à Milwaukee, où il vit avec son fils adulte, il essaie de faire abstraction de la vie politique hostile du pays et se demande s’il devrait se donner la peine de voter à nouveau pour le président Trump en novembre ou « rester tranquillement assis et tout regarder s’effondrer ».  […] L’expérience américaine vacille. « Tout est foutu », a déclaré M. Hermanson, qui est blanc. « Il me semble que nous ne sommes pas loin de la dégringolade. » […] Dans des entretiens avec une bonne vingtaine d’électeurs dans des États clés de la prochaine élection présidentielle, des républicains, des démocrates et des indépendants d’âges, de races et de classes sociales variés ont exprimé leur inquiétude face à la déroute de leur pays et aux problèmes qui se posent à lui et qu’aucune élection ne saurait résoudre facilement. Fortement polarisés sur les questions de santé publique, de sécurité publique, voire afférentes à la vérité elle-même, de nombreuses personnes font état d’une même anxiété collective[1].

Il y a quarante ans, dans A Distant Mirror, le récit terrifiant de Barbara Tuchman sur la façon dont la peste noire a baissé le rideau sur le Moyen Âge, l’auteure insistait sur le fait qu’ « un événement particulièrement tragique n’est supportable que dans la mesure où l’on croit qu’il apportera un monde meilleur ». Cependant, si « tel n’est pas le cas », affirmait-elle, alors « la désillusion, profonde, se transforme en doute et dégoût de soi ». Cet avertissement, lancé il y a plus de quatre décennies, décrit de manière frappante la situation actuelle. La préoccupation majeure de la plupart des Américains est de savoir si une Amérique meilleure émergera des traumas de la Covid et de la violence raciale, événements récemment qualifiés par Anthony Fauci de « double whammy » (double coup dur). Si les Américains n’estiment pas que leur calvaire a produit un


[1] Lisa Lerer et Dave Umhoefer, « Left, Right or Center, Voters See a Bleak Future » , New York Times, 13 juin 2020, p. A1

[2] David Brooks, « Ordinary People Are Leading the Leaders : America looks better from the bottom up », New York Times, 14 mai 2020

[3] Roger Cohen, « There Is No Way Out but Through », New York Times, 3 avril 2020, p. A22

[4] Peter Schjeldahl, « Out of Time : Mortality and the Old Masters », The New Yorker, 13 avril 2020, p. 70-72

[5] Jonathan Martin, Maggie Haberman, et Katie Rogers, « As Americans Shift on Racism, President Digs In », New York Times, 12 juin 2020, p. A1

Mots-clés

Black Lives Matter

Notes

[1] Lisa Lerer et Dave Umhoefer, « Left, Right or Center, Voters See a Bleak Future » , New York Times, 13 juin 2020, p. A1

[2] David Brooks, « Ordinary People Are Leading the Leaders : America looks better from the bottom up », New York Times, 14 mai 2020

[3] Roger Cohen, « There Is No Way Out but Through », New York Times, 3 avril 2020, p. A22

[4] Peter Schjeldahl, « Out of Time : Mortality and the Old Masters », The New Yorker, 13 avril 2020, p. 70-72

[5] Jonathan Martin, Maggie Haberman, et Katie Rogers, « As Americans Shift on Racism, President Digs In », New York Times, 12 juin 2020, p. A1