Les liens faibles au secours de la cohésion sociale
Avec la fin des grandes actions et théories politiques, la relative désuétude des modalités traditionnelles de mobilisation, des actions d’éclat et proclamations, on peut essayer de penser le commun à partir de concepts négligés et de ressources oubliées. Liens faibles : c’est l’expression qui s’impose, à bas bruit – pour reprendre une expression d’un registre proche, depuis quelque temps pour rendre compte à la fois de nouvelles réalités et de la place qu’elles tiennent dans les existences humaines ordinaires. Visages, objets, musiques, personnages, lieux et situations ordinaires mais irremplaçables dans leurs singularités déterminent notre relation aux autres, nos engagements quotidiens comme le flux de nos identités et les inflexions de nos vies – et ce tout autant que les passions de l’âme, les situations figées, les identifications directes et les affects massifs.
L’article désormais classique de Mark Granovetter, « La force des liens faibles » a introduit la notion à partir de la sociologie en 1973 et si le concept semble lui-même évanescent dans son extension, il nous parle pourtant d’un ensemble de phénomènes aussi divers et hétérogènes que des rencontres d’un jour qui s’inscrivent en nous, l’attachement à tel personnage de fiction, la reconnaissance à l’inconnue qui nous donne une information précieuse via internet, ou au soignant anonyme… On évoquera également les relations au long cours mais lacunaires (ces « amis » qu’on voit tous les dix ans), le souci de victimes inconnues de désastres, de la personne qui a fabriqué le vêtement qu’on porte ; ou encore la solidarité créée par l’occupation d’une place ou d’un rond-point pour quelques semaines, par l’amour partagé d’une équipe sportive, d’un genre musical ou d’une série télévisée.
Wittgenstein parle ainsi d’ « air de famille » pour évoquer ces concepts qui ne renvoient pas à des définitions, « traits » ou « propriétés partagées » mais à des situations liées par des ressemblances, des significat