Sciences

La capture du free speech – Quand les défenseurs autoproclamés de la science flirtent avec le déni de réalité (2/2)

Journaliste, Journaliste, Sociologue

La captation du prestige et du capital symbolique de la science dans le débat public représente un enjeu de premier ordre pour les firmes qui défendent leurs produits en s’appuyant sur des arguments « scientifiques ». Arguments qui sont souvent de simples éléments de langage, présentés comme autant de « débunking » de « fake news ». Mais s’approprier la science, pour les mouvements ultra-libéraux, c’est aussi instrumentaliser ses codes pour peser sur la vie des campus et fragmenter la gauche. Faire passer le droit de dire le faux pour une vertu académique, c’est surtout favoriser l’outrance qui élargit le champ du dicible – du négationnisme historique au climatoscepticisme – et brouille à dessein la réalité des faits établis.

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La dernière partie de notre ouvrage,  Les Gardiens de la raison porte sur le rôle des intellectuels au sein de ce nouveau paysage de la désinformation scientifique. Elle dépeint des universitaires et des journalistes qui se réclament de la raison et montre comment certaines personnalités référentes de la galaxie rationaliste ont évolué. Plusieurs pages sont consacrées à l’héritage de l’affaire Sokal, ce canular basé sur un faux article glissé dans la revue Social Text par un physicien facétieux en 1996. Nous rappelons que le canular et la parution du livre Impostures intellectuelles, coécrit par Alan Sokal et Jean Bricmont, ont servi de point de repère pour la galaxie de gauche rationaliste dans les années 1990. Mais nous décrivons aussi la récupération de ces débats par les milieux industriels et libertariens depuis la deuxième moitié des années 2000.

L’affaire Sokal et ses usages réactionnaires

Dans les premiers moments de sa mise en circulation, l’affaire Sokal semble conforter le camp de la gauche rationnelle face à une myriade de penseurs commodément rangés sous l’étiquette un peu fourre-tout de postmoderne. Mais au fil des années, la charge contenue dans le canular fait l’objet d’usages politiques de plus en plus réactionnaires, jusqu’au point où il devient utile à l’industrie. Parmi plusieurs exemples, nous mentionnons comment un pamphlet rationaliste pro-industrie, rédigé par un ancien consultant pour l’industrie du tabac devenu lord, donne la part belle à l’affaire Sokal [GDR, p. 189 et 242]. Nous décrivons aussi comment la récente réplique du canular (le Sokal Squared, en 2017) a pris une teinte autrement plus conservatrice [GDR, p. 243].

Or jamais Alan Sokal et Jean Bricmont n’ont pris leur distance avec ces usages et ces références à leur propre canular. Aujourd’hui, les arguments de Jean Bricmont ne visent plus seulement certains intellectuels de campus, comme dans les années 1990, mais, plus largement, le monde militant écologiste ou féministe qui aurait, selon lui, sombré dans le relativisme. Ces dernières années, ses combats pour la défense de la liberté de l’expression l’ont surtout vu voler au secours de la libre expression des climato-sceptiques et des révisionnistes.

La réponse à notre livre de Jean Bricmont publiée sur le site de Vincent Lapierre, l’ancien bras droit d’Alain Soral, ne peut que nous conforter dans notre lecture de cette évolution du paysage intellectuel. Nous concédons au physicien belge notre mauvaise interprétation d’un article de Charlie Hebdo concernant un voyage en Syrie (erreur corrigée dès la deuxième impression). Mais pour le reste, Jean Bricmont lui-même commence la plupart de ses réponses au fil de l’eau sur notre chapitre par un « beh oui ». De toute évidence ne voit-il absolument pas où se situe le problème.

Même si l’ancien président de l’AFIS semble ne pas s’en souvenir (il juge ce fait « très peu probable »), il a effectivement soumis au journal Le Monde, le 1er novembre 2013, une tribune qui défendait la prise de parole des climato-sceptiques au nom de la liberté d’expression. Il y regrettait que ceux-ci n’osent pas faire leur « coming-out » [le lien du mail ici et sa tribune ]. Cette tribune n’a pas été acceptée par le quotidien. Jean Bricmont y faisait fi de toute la littérature disponible qui montre que ces positions hostiles au constat scientifique ont été financées ou promues par l’industrie, avant d’essaimer dans la société – littérature que nous citons dans le livre.

On peut se réclamer des Lumières et feindre de regretter que la science soit entravée dans son cheminement par l’impossibilité d’exprimer toutes les positions. Mais cette position devient risible quand, en 2013, on se trouve, contre un consensus scientifique sans équivoque, à prendre la défense de climato-sceptiques (que, par ailleurs, nul n’empêche de s’exprimer). Ceux-ci étaient déjà tout simplement disqualifiés, et de longue date, par l’ensemble de la communauté scientifique compétente et par les faits. Mais silence radio du côté de l’AFIS. « Aujourd’hui encore », le site de l’association, se contente de pointer vers la réponse de son ancien président.

Mais le déni de réalité ne se limite pas à cela, et c’est nous qui sommes taxés de relativistes par Jean Bricmont. Pour les lecteurs qui n’auraient pas suivi les débats en philosophie sur l’opposition entre relativisme et objectivisme, nous donnons « un cours de philosophie express » qui n’a pas prétention, bien sûr, à compenser un cours de L1. Nous prenons l’exemple de la tribu Lakota dont certains membres considèrent qu’ils descendent du « peuple bison » alors que tout scientifique mobilisant le carbone 14 (et une variété d’autres instruments) pourrait attester le contraire. Doit-on considérer que la culture Lakota dit le vrai d’une certaine façon ?

Jean Bricmont écrit : « Bref, on commence par admettre une évidence puis on la “nuance” au moyen d’une autre évidence, sans expliquer en quoi cela rendrait la première évidence moins évidente. C’est pour le moins confus ». Jean Bricmont omet deux choses. Premièrement, cet exemple des Amérindiens Lakota n’est pas de notre fait mais est extrait de l’ouvrage du philosophe Paul Boghossian (The Fear of Knowledge), que l’on aurait du mal à qualifier de relativiste. Deuxièmement, nous donnons notre propre position à ce sujet : « Dans un souci d’honnêteté, si les auteurs de ce livre devaient se placer dans ce tableau intellectuel, ils se situeraient quelque part du côté rationaliste, en refusant l’idée que les ancêtres bisons puissent être une vérité. » [GDR, p. 277] Notre position est, nous semble-t-il, rationaliste mais d’un rationalisme qui ne se contente pas de crier après des postmodernes imaginaires en pensant que cela suffira à restaurer une autorité intellectuelle.

Concernant la liberté d’expression, nous rappelons comment Jean Bricmont s’est fait depuis plusieurs années le défenseur, au nom de la liberté d’expression, de figures négationnistes ou antisémites. Nous y voyons un attachement à éclipses à la liberté d’expression qui le conduit en retour à fermer les yeux à la fois sur d’autres atteintes à la liberté d’expression et sur les usages tactiques de l’Histoire par les groupes d’extrême-droite.

Là aussi la réponse de Jean Bricmont est très représentative de ce que nous décrivons. Il y réitère que la liberté d’expression devrait être sans limite, ce que nous qualifions dans le livre de « position maximaliste » et qui n’est pour lui « rien d’autre que celle exprimée par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme […] ainsi que par la plupart des constitutions des États démocratique et qu’elle fondait la loi française de 1881 sur la presse (avant les lois Pleven de 1972 et Gayssot de 1990). » C’est pour nous un contresens : la liberté d’expression, y compris dans des régimes démocratiques, a été encadrée par des lois votées dans des Parlements. Celle de 1881 sur la presse, que Jean Bricmont mentionne, en est un bel exemple. Elle contient autant de libertés que de restrictions. Elle réglemente les lieux où l’on a le droit de coller des affiches et ouvre la possibilité de poursuites, à la fois pour l’État et pour des personnes privées, au motif d’une variété de chefs d’accusation.

La question soulevée à ce propos dans le livre porte en réalité sur un point auquel Jean Bricmont ne répond pas depuis sa position philosophique. Un débat public éclairé peut-il se limiter à un seul ingrédient – « la liberté de dire des choses fausses » – ou alors une position éclairée et démocratique n’intégrerait-elle pas aussi à un moment la possibilité que des usages tactiques de la liberté d’expression soient employés dans le but de détruire la liberté d’expression sur le long terme ?

À cette objection, Jean Bricmont répond naïvement : « Si on n’a pas la liberté de dire des choses fausses, comment arriver à savoir ce qui est vrai ? » Mais nous ne sommes plus au temps de l’Ancien Régime et Bricmont n’est pas Rousseau. La question qui se pose aujourd’hui est en réalité très souvent inverse : quand des faits ont été établis sur des bases scientifiques (et accessoirement payées par de l’argent public) et quand des acteurs politiques préfèrent dire le faux (et bénéficient pour cela de tout l’appui de forces sociales importantes), comment faire encore entendre le vrai dans une démocratie ?

Ce qui pose problème sur le thème du climat devient encore plus sordide quand la question naïve de Jean Bricmont est appliquée à la Shoah. Quand des vérités historiques aussi indiscutables que le génocide juif sont contredites par des militants politiques et, même aujourd’hui, par des historiens d’État (comme c’est le cas en Pologne), comment peut-on se cacher derrière l’idée que la liberté de dire des choses fausses permettrait de savoir ce qui est vrai ? L’accession à la vérité ne se fait pas seulement en contrastant un énoncé par un autre, mais en examinant les faits, les archives disponibles, les témoignages. Et sur ce point, le vrai est dit depuis longtemps. La position de Jean Bricmont revient à considérer que l’établissement de la vérité sur la Shoah supposerait l’existence éternelle de négationnistes pour contraster par le faux un fait historique mille fois établi. Tout comme l’astronomie n’a pas besoin de l’astrologie pour exister, la bonne Histoire n’a pas besoin des défenseurs de Robert Faurisson pour établir le vrai sur la seconde guerre mondiale.

Sur ce point précis, la réponse de Jean Bricmont, que s’empresse de relayer l’AFIS, confirme également ce que nous écrivons dans le livre : la liberté d’expression bafouée suscite une indignation à éclipse chez le physicien belge. Dans un message qu’il nous adresse en privé, Jean Bricmont se réjouit à l’idée de poursuites en diffamation qui pourraient être engagées contre nous. Mais dans le même temps, il lui semble urgent de voler au secours de liberté d’expression de Robert Faurisson, Vincent Reynouard ou d’un professeur ultra-catholique hostile au droit à l’avortement.

Concernant Soral, il affiche dans sa réponse ses récentes oppositions au militant antisémite, mais ces altercations sont récentes. Il y a peu encore, le livre de Jean Bricmont était bien en vente via la boutique du site d’Alain Soral et l’ancien président de l’AFIS accordait des interviews à sa maison d’édition. Il reste d’ailleurs toujours tout aussi urgent pour lui de défendre Dieudonné. Il écrit dans la réponse qu’il nous adresse : « Pour ce qui est de la chanson “Shoananas”, il faut savoir que c’était une réplique à la chanson “chaud cacao” d’Annie Cordy, qui véhiculait pas mal de clichés sur les Africains ». Critiquer le communautarisme quand il ne contient pas de propos antisémites et pester contre les catégories non universelles, mais se montrer soudain soucieux du sort des Afro-descendants quand Dieudonné écrit une chanson abjecte mêlant blague sur la Shoah et boycott d’Israël ? Oui, cette défense de la liberté d’expression est véritablement à éclipses.

Parallèlement à ce triste constat, on n’entend pas Jean Bricmont défendre la liberté d’expression quand les attaques portées par des régimes autoritaires affectent des universitaires russes comme Dmitry Bogatov, par exemple. Il préfère écrire pour Russia Today sans jamais mentionner les attaques aux libertés d’expression quand elles vont dans un sens qui contrarie son anti-atlantisme. Autre exemple, écrivons-nous dans notre livre : « Jamais, non plus, Jean Bricmont n’a prononcé un mot sur la finalité des groupes d’extrême droite : suspendre les libertés publiques qui rendent la liberté d’expression possible. À leur arrivée au pouvoir, la suppression des départements de philosophie est pourtant l’une des premières mesures prises, dans la Hongrie de Viktor Orban et ailleurs ». Une critique d’Orban ? Là, il devient urgent de s’offusquer dans sa réponse :
« Je ne connais aucun régime qui a supprimé tous les départements de philosophie et je doute fort que ce soit le cas en Hongrie aujourd’hui. Peut-être confondent-ils avec les études de genre ? Mais c’est alors un tout autre débat : la philosophie existe depuis la Grèce antique et est étudiée dans le monde entier, les études de genre depuis bien moins longtemps et elles sont bien moins universelles. »

On ne peut que s’étonner de son absence totale de recul par rapport au sort de ses confrères chassés du département de philosophie de Budapest quinze jours après l’arrivée d’Orban au pouvoir. Mais surtout, en quoi serait-il moins grave que les départements d’études de genre soient fermés par un État, comme c’est la tentation en Roumanie ? Comment faut-il entendre son argument ? Peut-on être à ce point comme le chat de Schrödinger dans deux états antagonistes simultanément ? « Jean Bricmont universaliste » quand il faut critiquer les lois contre le négationnisme et « Jean Bricmont culturaliste » quand il faudrait justifier l’interdiction des études de genre en Europe de l’Est au motif qu’elles seraient un trait culturel spécifique, et non un champ de production de savoirs ?

Cette confusion en cache une qui nous semble tout aussi pernicieuse. La réponse de Jean Bricmont met sans cesse sur le même plan le deplatforming (le fait pour des militants de chahuter ou d’interrompre une conférence [1]) et la censure d’État. Il écrit notamment : « Mais si c’est si mal de “suspendre les libertés publiques qui rendent la liberté d’expression possible” alors pourquoi applaudir quand on cherche à annuler des conférences dans des universités ? ».

Sur ce point l’argument que nous portons est simple : il y a une grosse différence entre un État qui censure par la loi l’expression de positions intellectuelles et des étudiants qui contestent par le chahut des positions qu’ils estiment conservatrices ou délibérément faussées lorsqu’elles sont présentées dans un cadre universitaire. On peut être – comme c’est notre cas – hostile à toute censure d’État et toute restriction de la liberté d’expression et plus compréhensif lorsqu’il s’agit d’aborder la question de l’expression non violente d’opposition à la tenue de certains propos dans les instances universitaires.

Jean Bricmont est-il vraiment attristé par l’interruption d’une conférence de l’ancien président François Hollande par des étudiants de l’université de Lille ? Depuis quand le chahut dans les universités doit-il être pensé dans les termes du clan conservateur ? Il était autrement plus fréquent dans les années 1970 et ces oppositions bruyantes font aussi partie du cours parfois tumultueux d’un régime où l’expression est libre. C’est ce que considèrent en général les juges lorsque ces affaires parviennent au tribunal. C’est pour cela aussi que l’essentiel de la communauté universitaire est aujourd’hui choqué par les nouvelles préconisations de la LPR qui punissent d’un an d’emprisonnement toute interruption d’un colloque universitaire. C’est bien là que se situe aujourd’hui l’enjeu pour les libertés académiques, et non pas dans le chahut traditionnel d’étudiants.

En conclusion de son texte, Jean Bricmont, préférerait qu’on le qualifie de « marxiste fossilisé ». Si l’on veut bien lui concéder cette idée du fossile qui le place définitivement du côté de ceux qui défendent ces énergies, on hésitera encore un peu pour le « marxiste ». À qui fera-t-on croire que des « vrais » marxistes « des années 1960 », pour reprendre ses termes, n’ont jamais ouvert la porte d’un cours ou d’une conférence pour l’interrompre ? Si l’on appliquait à la lettre la lecture du marxisme qu’il prétend arborer, les Communards auraient dû s’abstenir de faire chuter la colonne Vendôme plutôt que de se livrer à une telle atteinte à la libre expression des positions colonialistes. Ils auraient dû s’abstenir et écouter Adolphe Thiers plutôt que de se livrer à cette affreuse cancel culture à côté de laquelle le déboulonnage actuel de quelques statues n’est rien.

Face à tant d’impasses dans le raisonnement, peut-être serait-il temps d’admettre que le vrai problème se situe ailleurs ? Peut-être, tout simplement, que la critique du postmodernisme dans sa version 1990 ne suffit pas ou plus à offrir un socle correct à une position de gauche, parce que, dans un jeu de dialectique subtil, les arguments de gauche d’hier ont été intégralement absorbés par l’industrie et le clan conservateur qui y ont vu un réservoir d’arguments sans limites pour pilonner les positions de gauche d’aujourd’hui. C’est sur cette question que porte la dernière partie du livre.

L’importation paradoxale des mots d’ordre libertariens

Aux États-Unis, les industriels libertariens se réclament ouvertement d’une pensée ultra-libérale et anti-étatiste. Ils ont fortement remodelé le paysage intellectuel et académique ces dernières années ; c’est un fait admis, notamment grâce aux travaux de l’historienne Nancy MacLean ou au travail documenté de la journaliste Jane Mayer[2]. Mais le paysage intellectuel français n’est pas le décalque à l’identique du paysage intellectuel des États-Unis. Nous décrivons une circulation de concepts (comme « identity politics », « social justice warrior », « étudiants offensés », etc.), de mots et de notions qui, dans le contexte français, ont conduit des auteurs attachés au libéralisme politique, qui se classeraient eux-mêmes comme proches du Parti socialiste et républicains, à reprendre à leur compte ces terminologies qui, aux États-Unis, sont les mots d’ordre du clan conservateur.

Parmi ces éléments de langage figurent un détournement de sens autour du concept de liberté d’expression. Celui-ci a été totalement dévoyé par les climato-sceptiques, et mis au service d’une stratégie de distorsion du débat public. Comme le décrit Nancy MacLean, les libertariens ont plus largement aspiré tout le discours libéral classique et ont promu une définition réactionnaire de la liberté d’expression afin de remettre en scène des oppositions qui n’avaient plus lieu d’être dans le monde académique. Cette tactique dite de la fenêtre d’Overton (du nom d’un lobbyiste du Mackinac Center) consiste à ouvrir sans cesse le champ du débat à des positions extrêmes ou fausses afin « de feindre de s’y opposer en libéral[3] ». Ainsi, il est possible d’occuper ce que les libertariens appellent l’extrême centre. Élargir le champ du dicible leur permet de s’opposer à des positions ultra-radicales à droite et de se recentrer, notamment face aux positions écologistes. La vérité se trouverait dans ce juste milieu que seuls les libertariens prétendent incarner au-dessus des divisions entre droite et gauche.

Cette tactique implique aussi de donner le plus d’espace médiatique possible à des positions qui, venues de la gauche, critiqueraient, au nom du libéralisme politique, les positions antiracistes actuelles pour leurs soi-disant excès. C’est dans ce cadre qu’un media comme Spiked, ouvertement libertarien et financé par l’industrie, a pu encenser Jean Bricmont ou inviter l’intellectuel Mark Lilla à présenter son livre qui peste contre « la gauche identitaire » (Lilla est un penseur qui se classerait lui-même plutôt de gauche démocrate). Nous n’avons jamais écrit que Mark Lilla lui-même était libertarien, mais qu’il était la version « essayiste » d’autres positions de gauche dont les milieux libertariens sont friands et qui leur permettent de présenter la gauche comme « incapable de débattre ».

Nous constatons aussi l’accueil chaleureux dont certaines vieilles gloires de la gauche académique peuvent bénéficier de la part des ultra-libéraux, dès lors qu’ils semblent taper sur certains mouvements sociaux actuels. Mouvements qu’ils perçoivent en décalage avec leurs idées pour des raisons bien souvent générationnelles, issues de socialisations au militantisme décalées dans le temps et qui ont du mal à communiquer entre elles.

Cela n’empêche pas un membre particulièrement véhément de l’AFIS de nous reprocher de « voir un dangereux libertarien dans toute personne un tant soit peu soucieuse de liberté d’expression, un peu comme d’autres voient un Khmer Rouge dans toute personne un minimum sensible à la notion d’égalité sociale. […] j’ai lu le livre du Mark Lilla en question : La gauche identitaire, l’Amérique en miettes, et c’est celui d’un Démocrate bon teint qui est (à juste titre) épouvanté par le fanatisme des Social Justice Warriors et autres intersectionnalistes sur les campus américains. […]  J’ai été assez déçu par le livre (platement électoraliste et désespérément “institutionnaliste”), mais ça n’avait vraiment rien à voir avec un quelconque pamphlet libertarien [4] ! ».

Ranger la quasi-totalité du courant antiraciste actuel sous l’étiquette commode d’« intersectionnels » ou de « postcoloniaux » est un outil de fracturation de la gauche. Exploiter et renforcer des désaccords internes qui ont toujours existé, voilà ce que les libertariens souhaitent réussir aux États-Unis. La gauche aurait tout intérêt à développer un discours réflexif sur ces chausse-trappes confectionnées par les milieux ultra-libéraux, et revenir à ses fondamentaux. Cette opposition entre des combats spécifiques et des combats énoncés dans des termes généraux n’a souvent aucun sens sociologique. Comme nous le rappelons dans le livre, le militantisme à gauche concerne en vérité peu de personnes, et ce sont bien souvent les mêmes qui militent dans des groupes féministes, des syndicats et des partis politiques. Il n’y a pas d’opposition sur le plan concret entre des engagements dits sectoriels ou partisans.

Pour l’un des membres du conseil d’administration de l’AFIS se disant de « gauche » et « souverainiste », nous serions emblématiques de ce « courant postmoderne qui veut acquérir l’hégémonie à gauche en convertissant celle-ci – à coups d’intimidation et d’excommunication – à l’écologie politique, au rejet de la souveraineté populaire et de l’indépendance nationale, à la politique de l’identité, à la limitation de la liberté d’expression et du débat. » Quels éléments sont-ils de gauche dans ce type de sortie ? La critique de l’écologie politique ? La reprise du terme néo-conservateur de « politique de l’identité » (identity politics) ? En quoi notre livre limite-t-il la liberté d’expression de quiconque [5] ?

Au passage, il est assez risible d’être qualifiés de postmodernes alors que l’un d’entre nous a écrit son lot de textes contre le caractère éthéré et peu empirique de certains travaux, voire contre l’opportunisme économique de certains chefs d’entreprise qui se réclament du postcolonial. Mais c’est une chose d’exiger plus d’administration de la preuve de la part des militants décoloniaux qui entrent dans le champ académique en renouvelant des questionnements. Et cela en est une autre que de fermer les yeux devant la réalité de certaines continuités administratives issues de l’Empire colonial quand la preuve est brillamment apportée pour tel ou tel corps administratif.

Notre livre dénonce ce type de brouillage du débat intellectuel à renforts de mots d’ordre venus de la droite ultra-libérale. Voudrait-on nous faire croire que la France n’a jamais colonisé aucun territoire ? Voudrait-on nous faire croire que la colonisation n’aurait aucune conséquence sociale ou historique aujourd’hui ? Peut-être est-il temps, pour une frange de la gauche, d’arrêter de ricaner devant des canulars qui s’en prennent systématiquement, au nom de la raison, aux sciences sociales, aux études de genre ou aux campus de littérature ? Peut-être est-il temps de se demander de quoi se moque-t-on exactement. Et surtout : avec qui ?

*

Au terme de cette réponse en deux épisodes, on serait tenté de proposer à tout le monde d’acheter et de lire des livres plutôt que de s’écharper sur Twitter, mais ce serait peut-être un peu court. Les Gardiens de la raison n’est pas ce livre rempli d’insultes que certains blogs dépeignent. Il ne traite personne de nazi et n’assimile personne à Goebbels ou Lyssenko, contrairement à ce qu’on a pu lire ces dernières semaines à notre encontre. En revanche, il tente de documenter des évolutions contemporaines qui nous semblent fondamentales, notamment pour comprendre la crise sanitaire actuelle, en 368 pages et plus de 800 notes de références.

Depuis quelques semaines, nous ne pouvons que saluer le travail d’information réalisé par l’AFIS sur le Covid. Mais au début de la crise, la critique du principe de précaution a fait perdre du temps dans le déclenchement d’une prise en charge publique. Certains de nos « gardiens de la raison » ont participé à ce grand brouillage. En mars 2020, à la veille du premier confinement, le sociologue Gérald Bronner était ainsi interrogé par Eugénie Bastié dans Le Figaro. Il y estimait que « surestimer le risque du coronavirus est un réflexe […]. Il faut aussi tenir compte des coûts invisibles de la précaution. Il y a l’impact économique, naturellement, mais aussi des dommages collatéraux en matière de santé publique : en Chine des patients sont morts faute de soins car l’attention était focalisée uniquement sur le coronavirus [6]. »

Ces sorties « refusant qu’on mette des villes sous cloche » pouvaient aussi se voir retweetées par plusieurs des acteurs se réclamant de la raison que nous mentionnons dans le livre [7]. Au sein de la bulle AFIS, on continue à se gausser du « Dangereux principe de précaution ». Mais nous vivons tous sur la même planète, et il n’est pas certain que nous aurons, comme Gérald Bronner, la chance de nous échapper de notre belle Terre quand nous l’aurons entièrement détruite. La malle arrière de notre vaisseau spatial ne sera peut-être pas remplie d’OGM, comme il le suggère dans le final de son livre La Planète des Hommes (PUF, 2014) où il propose de « réenchanter » le risque et de faire accessoirement son deuil d’une Terre ravagée :
« Réenchanter, car il y a des raisons d’espérer et fort nombreuses. Si l’on se replace dans la perspective d’un exode, ces raisons sont même de plus en plus nombreuses. Ce sont par exemple l’existence, avérée à présent, d’exoplanètes, de mondes telluriques qui pourraient un jour nous accueillir, aptes à la biochimie, et présents dans notre galaxie […] L’hypothèse de cet exode nous ramène aussi à une réalité essentielle de notre espèce. En quittant la Terre, il deviendrait évident que nous sommes humains avant d’être terriens. C’est là un rappel essentiel car l’idéologie précautionniste, en nous proposant un rapport empreint de sentimentalité à la planète qui a vu notre naissance, a tendance à rendre indissociable notre destin du sien. Cette confusion crée un amalgame entre notre identité de terrien et d’humain. Elle nous contraint à penser que le problème fondamental est de ne surtout pas risquer de détruire l’espace qui nous permet de vivre. Être hypnotisé par cette possibilité, c’est, sous prétexte de précautions inconséquentes, renoncer à coup sûr à préserver l’héritage humain. En évitant l’indésirable, on s’abandonne au pire. Il me paraît donc important de l’affirmer : nous sommes humains avant d’être terriens [8]. »

On peut s’amuser à citer les sorties de route de sociologues à la retraite, mais « la fureur idéologique » peut manifestement prendre plusieurs formes. Et en attendant que les gardiens de la raison affrètent leur vaisseau spatial pour quitter la planète détruite par leur aversion pour la précaution, on nous permettra encore et toujours de continuer à douter.

NDLR : Cet article est le second volet d’une “postface numérique” des auteurs à leur livre  Les Gardiens de la raison. Enquête sur la désinformation scientifique publié aux éditions La Découverte en septembre 2020. Le premier volet est disponible ici.

 


[1] Sur l’histoire de ces mobilisations se reporter à Evan Smith, No Platform. A History of Anti-Fascism, Universities and the Limits of Free Speech, Routledge, Londres, 2020.

[2] Nancy MacLean, Democracy in Chains. The Deep History of the Radical Right’s Stealth Plan for America, Penguin Random House, Londres, 2017 ; Jane Mayer, Dark Money. The Hidden History of the Billionaires Behind the Rise of the Radical Right, Doubleday, New York, 2016.

[3] Bruno Andreotti et Camille Noûs, « Contre l’imposture et le pseudo‑rationalisme. Renouer avec l’éthique de la disputatio et le savoir comme horizon commun », Zilsel, n° 7, juin 2020.

[4] Pour ce qui est des points soulevés par Yann Kindo, on ne peut là aussi qu’être stupéfait face à tant de distorsions. Concernant une citation de Pierre Bourdieu que nous avons choisie de mettre en ouverture du livre, Y. Kindo écrit qu’il est allé « vérifier la source » et conclut qu’« en fait Bourdieu en 2002 ne parlait évidemment pas des youtubeurs rationalistes ou de l’AFIS, et il ne parlait même pas du tout des “gardiens de la raison” conspués par le trio. Il disait ça dans le cadre de son engagement en 1995 dans le mouvement contre la réforme des retraites, un mouvement dans lequel, si on est assez vieux pour ça, nombre d’entre nous autres rationalistes nous étions retrouvés aux côtés de Bourdieu ». Toute personne raisonnable se rendra compte, en cliquant sur le lien proposé par Y. Kindo lui-même, que l’entretien ne parle pas du tout des retraites mais du livre La Domination masculine, et qu’il est tenu en 1999 – soit quatre ans après le mouvement sur les retraites. La Domination masculine est cet ouvrage de Pierre Bourdieu auquel Peggy Sastre a consacré un livre entier pour le critiquer (c’est l’objet du chapitre 10). Donc oui il existe un lien entre cette citation et notre livre. Le livre s’ouvre d’ailleurs sur la façon dont l’argument viriliste de l’« hystérie » a servi à disqualifier toutes les militantes écologistes. Là aussi le lien est évident.

Yann Kindo se demande aussi pourquoi on ne le cite pas. Son hypothèse : son appartenance à un parti trotskyste ne collerait pas avec notre mise en récit. Ironiquement, il écrit vivre son absence du livre comme « un putain d’ostracisme que [s]on ego vit comme une véritable humiliation. Je me demande pourquoi ces auteurs qui veulent dénoncer un réseau libertarien tout droit sorti de leur imagination ne citent jamais mon cas, entre autres trotskystes membres de l’AFIS ». Puisque certaines de ses présentations sur le glyphosate reprennent les arguments que nous décortiquons dans le livre, il aurait très bien pu s’y trouver. Le fait qu’il soit trotskiste n’a évidemment rien à voir avec sa non-mention. D’abord, on ne peut pas citer tout le monde. Ensuite, nous citons des acteurs engagés à gauche qui, comme lui, reprennent des arguments trompeurs venus de l’industrie. Rien d’étonnant au vu de l’histoire du mouvement rationaliste. Mieux encore, nous n’ignorons pas les productions écrites de Yann Kindo. Dans son précédent ouvrage, Militer pour la science, Sylvain Laurens citait sa belle note sur la vie de Marcel Prenant pour le compte du Maitron. On peut aussi apprécier ce qu’il a écrit sur l’affaire Lyssenko. Le désaccord se situe sur le rôle politique qu’a joué l’AFIS ces dernières années, et aucunement sur l’appartenance politique particulière d’un membre de l’association. On peut être libertarien, on peut être trotskyste, mais on n’est pas les deux simultanément.

Les Gardiens de la raison ne parle pas d’un réseau libertarien qui aurait pris possession de l’AFIS. Il signale l’existence de groupes libertariens qui, au Royaume-Uni et aux États-Unis, s’affichent clairement comme tel. Il se trouve que les libertariens de l’ex-revue Living Marxism au Royaume-Uni sont d’anciens trotskistes. Mais cela peine d’ailleurs certains militants trotskistes britanniques qui ont été attristés par cette évolution. Nous signalons aussi l’existence d’une antenne française des réseaux libertariens américains. Appelée Students For Liberty, elle aime inviter Peggy Sastre et travaille main dans la main avec Génération Libre, think tank dont Gérald Bronner a été membre du conseil scientifique. Mais nous ne disons pas pour autant que l’AFIS ou même Gérald Bronner seraient des militants libertariens revendiqués. Nous signalons juste la complaisance de l’AFIS à l’égard de cette galaxie ultra-libérale. En témoignent l’invitation de l’une de ces organisations britanniques, Sense about Science, comme « association internationale amie » aux 50 ans de l’AFIS, le coup de projecteur que l’AFIS a donné à la branche jeunesse de Sense About Science dans sa revue, etc. Mais nous n’avons jamais écrit que les trotskistes anglais devenus libertariens se définissaient toujours comme trotskistes ou marxistes. Et même, au contraire : nous citons par exemple leur leader Frank Furedi, qui écrit qu’il ne peut être « considéré comme marxiste [car] il se considère lui‑même [désormais] comme un humaniste libertarien » [GDR, p. 184]. Peut-être cette incompréhension est-elle liée au fait que Yann Kindo n’a, de son propre aveu, que « survol[é] » le chapitre consacré aux libertariens. Il réagit comme si nous cherchions à souiller l’engagement trotskiste. Pourtant, un certain nombre de militants de cette mouvance nous ont aidés à éclaircir ces phénomènes en tant que sources. Sylvain Laurens a déjà pu décrire comment la trajectoire de Michel Rouzé, le fondateur de l’AFIS, croise le trotskysme pour des raisons personnelles, notamment à partir du moment où il devient visiteur commercial pour les pharmacies (et alors que Robert Barcia, un des fondateurs de Lutte Ouvrière, est président de l’association des visiteurs pharmaceutiques). L’entièreté de cette rencontre est décrite dans Militer pour la science et les archives personnelles de Michel Rouzé ont été déposées par Sylvain Laurens aux archives de La Contemporaine à Nanterre. Yann Kindo pourra aussi lire dans cet ouvrage que le rapport de Michel Rouzé au DDT est plus complexe et plus fluctuant que ce qu’il en dit [p. 180-181]. La citation de 1969 qu’il livre est tronquée et le fondateur de l’AFIS s’offusque de trouver du DDT dans des produits anti-poux en 1984.

Yann Kindo fait aussi preuve d’une mauvaise compréhension de l’histoire de l’industrie du tabac et ne saisit pas les paradoxes de la position de Maurice Tubiana – qu’il semble découvrir. Comme pour le changement climatique, il est facile de dire aujourd’hui que le tabac donne le cancer et un acteur rationaliste comme Tubiana le disait dès les années 1970 en France. Mais la question est de savoir comment l’industrie du tabac a depuis longtemps délaissé la seule défense de son produit (devenu indéfendable sur le plan sanitaire) pour promouvoir tous azimuts une autre approche : financer des recherches sur tout ce qui peut donner le cancer, ainsi qu’une pseudo-éducation à la bonne science. C’est ce type de basculement qui explique l’intérêt de l’industrie du tabac pour des scientifiques sérieux qui travaillent sur bien d’autres domaines en cancérologie. Et c’est aussi ce qui explique les circulations de certains consultants, à l’instar de cette directrice des affaires publiques et de la communication du lobby des pesticides qui anime la réunion du Syrpa sur le glyphosate à l’ouverture du livre, et qui travaille aujourd’hui chez Philip Morris. On peut changer de produits à défendre mais l’argument de l’éducation à la bonne science demeure recyclable pour le produit d’à côté. C’est ce que nous décrivons aussi longuement à partir de l’exemple d’Henry Miller dont les arguments ont servi aux industriels du tabac, aux climato-sceptiques et aux défenseurs des biotechnologies (chapitre 2).

Enfin, on s’étonnera de certaines sorties dès qu’il est question de sociologie. Le billet du membre de l’AFIS renvoie à un blog délirant où Sylvain Laurens est attaqué pour avoir fait de l’observation dans un club de sport situé à quelques centaines de mètres du quartier européen, dans un quartier chic de Bruxelles. On lui reproche d’y avoir faussement vu la grande bourgeoisie. Au moment de l’enquête, plus d’un tiers des membres du club en question et quasiment la moitié de ses adhérents gagnaient entre 5 000 et 12 000 euros par mois (et on y croise accessoirement deux eurodéputés). Son salon n’est pas tout à fait celui du club de fitness de quartier. Continuant son incursion du côté de la sociologie et volant au secours de Gérald Bronner, Yann Kindo finit par tronquer nos phrases, en détourne le sens. Il se retrouve à deux doigts de nous accuser de minimiser le terrorisme. Il écrit : « Et surtout, si les procureurs aveugles qui ont écrit l’enquête n’ont pas vu la cohérence des centres d’intérêts de Bronner que sont (selon leurs propres mots) “la radicalisation islamiste”, “la socialisation juvénile”, “le complotisme” et “la fréquentation des réseaux sociaux”, le coup de folie sanguinaire du jeune islamiste radicalisé qui a assassiné Samuel Paty le 17 octobre dernier devrait peut-être les éclairer un peu, s’il est encore possible de le faire. » Notre phrase originale ne portait pas sur le terrorisme. Pour évoquer les fréquents changements de sujets du sociologue, nous écrivons : « Aussi, la plupart des chercheurs sont spécialisés. Ils ne travaillent pas à la fois, comme le fait Gérald Bronner, sur la radicalisation islamiste, les neurosciences, la socialisation juvénile, le complotisme, la fréquentation des réseaux sociaux, le principe de précaution, la peur des antennes relais et le gluten. Chacune de ces controverses ou spécialités relève désormais de corpus bibliographiques immenses ». Il est inacceptable de soustraire à notre phrase les antennes relais ou le gluten pour en détourner le sens et instrumentaliser la mort de Samuel Paty. Il est tout aussi inacceptable de jeter le doute sur ce que nous aurions fait durant le confinement en nous reprochant d’avoir passé du temps à écrire notre livre au lieu de critiquer les promoteurs de l’hydroxychloroquine. Non, l’AFIS n’était pas la seule à faire son travail et à produire de l’information claire sur Didier Raoult ou les effets de la crise sanitaire. Et nous n’avons jamais non plus défendu les prises de position de Laurent Mucchielli qui sont à l’encontre de ce que dit le consensus scientifique.

[5] Concédons à la lecture de Laurent Dauré (seulement mentionné sur trois lignes de l’ouvrage et dont la réponse de 17 496 signes fait très exactement 67 fois la taille que nous lui accordons dans le livre) que son entretien vidéo avec Sokal et Bricmont sur YouTube comporte quatre parties et non deux, comme nous l’avons écrit par erreur. Nous avons bien noté qu’il n’est aujourd’hui plus membre du bureau de l’UPR de François Asselineau, un parti « qu’il a quitté en novembre 2017 » après y avoir milité pendant plusieurs années. Il n’en reste pas moins qu’il a donc œuvré pour un mouvement dont le leader charismatique est effectivement un ancien bras droit de Charles Pasqua. L’UPR a plus qu’un air de famille avec le RPF de Charles Pasqua cherchant à unir les souverainistes de tous bords. À l’époque où il militait au sein de l’UPR, Laurent Dauré a par exemple animé une table ronde sur la FrançAmérique autour d’essayistes comme Jean-Philippe Immarigeon, invité régulier de Radio Courtoisie ou de Krisis. Militer dans ce type de parti politique qui prétend abolir les frontières entre gauche et droite implique de faire ce genre de choses. Il peut nous traiter de complotistes, mais c’est bien lui qui a milité pendant plusieurs années auprès de François Asselineau, un responsable politique qui consacre son existence à réécrire l’histoire du monde à partir de powerpoints extravagants et de vidéos fleuves. Nous sommes heureux d’intégrer à notre réimpression que l’éphémère mouvement politique de Paul Marie Couteaux, dont Laurent Dauré a été membre, s’appelait le « Rassemblement pour l’indépendance de la France » et non le « Rassemblement identitaire français ». Il n’en reste pas moins que ce groupuscule fondé par Paul Marie Couteaux, en vue d’une alliance électorale avec le Front National, voulait « préserver l’identité française ». Sa plate-forme contenait tout un tas de joyeusetés relayées à un rythme hebdomadaire sur Radio Courtoisie ou dans son programme : « chacun doit donc consentir à honorer partout ce socle identitaire autour duquel notre roman national est appelé, encore et toujours, à s’écrire authentiquement : en d’autres termes, la France doit affirmer sans atermoiement son refus catégorique d’entrer insensiblement dans une société multiculturelle dont le développement incontrôlé ne pourrait que menacer définitivement les marqueurs traditionnels de son identité profonde. » Bref, le RIF est loin du gentil groupement chevènementiste nostalgique du CERES que l’on voudrait nous présenter.

Soit, Laurent Dauré n’a rejoint le CA de l’AFIS qu’en juin 2018. Mais il était proche de l’AFIS auparavant, comme il l’explique lui-même. Hormis donc une erreur de date de six mois dans un CV militant (nous aurions dû indiquer « ancien » membre de l’UPR au moment où il est entré au CA de l’AFIS, association dont il était déjà proche), nous sommes tous raccord sur les faits. Pourquoi avons-nous mentionné son appartenance politique alors qu’il est l’intervieweur de Jean Bricmont et d’Alan Sokal ? D’abord, nous n’avons jamais écrit qu’il était lui-même d’extrême droite. Pour autant, il ne nous semble pas complètement anodin que l’anniversaire du canular Sokal soit ainsi célébré et assuré par un militant dont le parcours politique est plutôt marqué par la défense du souverainisme au-dessus du clivage droite-gauche, et issu d’un groupuscule cherchant à faire alliance avec le Front National. Aussi, nous sommes parfaitement en mesure d’intégrer que la position politique qui était la sienne il y a quelques années n’est peut-être plus la même aujourd’hui. Enfin dans son texte, Laurent Dauré reproche longuement à l’un de nous d’avoir œuvré pour que deux de ses livres ne soient pas édités. Mais peut-être que ses engagements politiques sont déroutants et qu’ils ont tout simplement fait douter des maisons d’édition « plus à gauche que La Découverte », les amenant à renoncer collectivement à le publier car elles ne voulaient pas mêler la critique de l’oligarchie à la sauce Asselineau avec celle d’une critique marxiste ? Nous ne comprenons pas vraiment non plus l’accusation d’agoraphobie qui ferait de nous des personnes refusant de discuter. Laurent Dauré figurait, en tant que membre du CA de l’AFIS, parmi la quarantaine de personnes réunies récemment pour une présentation du séminaire « Politique des sciences » à l’EHESS. Il aurait eu là tout le loisir d’engager le débat avec Sylvain Laurens.

[6] Gérald Bronner (interrogé par Eugénie Bastié), « Surestimer le risque est un réflexe », Le Figaro, 11 mars 2020.

[7] Gaspard Koenig, « Ne sacrifions pas nos libertés au nom du coronavirus », Les Échos, mercredi 4 mars 2020. Relayé notamment sur Twitter par Virginie Tournay.

[8] Conclusion finale de Gérald Bronner, La planète des hommes : réenchanter le risque, PUF, 2014.

Stéphane Foucart

Journaliste

Stéphane Horel

Journaliste

Sylvain Laurens

Sociologue, Maître de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS)

Notes

[1] Sur l’histoire de ces mobilisations se reporter à Evan Smith, No Platform. A History of Anti-Fascism, Universities and the Limits of Free Speech, Routledge, Londres, 2020.

[2] Nancy MacLean, Democracy in Chains. The Deep History of the Radical Right’s Stealth Plan for America, Penguin Random House, Londres, 2017 ; Jane Mayer, Dark Money. The Hidden History of the Billionaires Behind the Rise of the Radical Right, Doubleday, New York, 2016.

[3] Bruno Andreotti et Camille Noûs, « Contre l’imposture et le pseudo‑rationalisme. Renouer avec l’éthique de la disputatio et le savoir comme horizon commun », Zilsel, n° 7, juin 2020.

[4] Pour ce qui est des points soulevés par Yann Kindo, on ne peut là aussi qu’être stupéfait face à tant de distorsions. Concernant une citation de Pierre Bourdieu que nous avons choisie de mettre en ouverture du livre, Y. Kindo écrit qu’il est allé « vérifier la source » et conclut qu’« en fait Bourdieu en 2002 ne parlait évidemment pas des youtubeurs rationalistes ou de l’AFIS, et il ne parlait même pas du tout des “gardiens de la raison” conspués par le trio. Il disait ça dans le cadre de son engagement en 1995 dans le mouvement contre la réforme des retraites, un mouvement dans lequel, si on est assez vieux pour ça, nombre d’entre nous autres rationalistes nous étions retrouvés aux côtés de Bourdieu ». Toute personne raisonnable se rendra compte, en cliquant sur le lien proposé par Y. Kindo lui-même, que l’entretien ne parle pas du tout des retraites mais du livre La Domination masculine, et qu’il est tenu en 1999 – soit quatre ans après le mouvement sur les retraites. La Domination masculine est cet ouvrage de Pierre Bourdieu auquel Peggy Sastre a consacré un livre entier pour le critiquer (c’est l’objet du chapitre 10). Donc oui il existe un lien entre cette citation et notre livre. Le livre s’ouvre d’ailleurs sur la façon dont l’argument viriliste de l’« hystérie » a servi à disqualifier toutes les militantes écologistes. Là aussi le lien est évident.

Yann Kindo se demande aussi pourquoi on ne le cite pas. Son hypothèse : son appartenance à un parti trotskyste ne collerait pas avec notre mise en récit. Ironiquement, il écrit vivre son absence du livre comme « un putain d’ostracisme que [s]on ego vit comme une véritable humiliation. Je me demande pourquoi ces auteurs qui veulent dénoncer un réseau libertarien tout droit sorti de leur imagination ne citent jamais mon cas, entre autres trotskystes membres de l’AFIS ». Puisque certaines de ses présentations sur le glyphosate reprennent les arguments que nous décortiquons dans le livre, il aurait très bien pu s’y trouver. Le fait qu’il soit trotskiste n’a évidemment rien à voir avec sa non-mention. D’abord, on ne peut pas citer tout le monde. Ensuite, nous citons des acteurs engagés à gauche qui, comme lui, reprennent des arguments trompeurs venus de l’industrie. Rien d’étonnant au vu de l’histoire du mouvement rationaliste. Mieux encore, nous n’ignorons pas les productions écrites de Yann Kindo. Dans son précédent ouvrage, Militer pour la science, Sylvain Laurens citait sa belle note sur la vie de Marcel Prenant pour le compte du Maitron. On peut aussi apprécier ce qu’il a écrit sur l’affaire Lyssenko. Le désaccord se situe sur le rôle politique qu’a joué l’AFIS ces dernières années, et aucunement sur l’appartenance politique particulière d’un membre de l’association. On peut être libertarien, on peut être trotskyste, mais on n’est pas les deux simultanément.

Les Gardiens de la raison ne parle pas d’un réseau libertarien qui aurait pris possession de l’AFIS. Il signale l’existence de groupes libertariens qui, au Royaume-Uni et aux États-Unis, s’affichent clairement comme tel. Il se trouve que les libertariens de l’ex-revue Living Marxism au Royaume-Uni sont d’anciens trotskistes. Mais cela peine d’ailleurs certains militants trotskistes britanniques qui ont été attristés par cette évolution. Nous signalons aussi l’existence d’une antenne française des réseaux libertariens américains. Appelée Students For Liberty, elle aime inviter Peggy Sastre et travaille main dans la main avec Génération Libre, think tank dont Gérald Bronner a été membre du conseil scientifique. Mais nous ne disons pas pour autant que l’AFIS ou même Gérald Bronner seraient des militants libertariens revendiqués. Nous signalons juste la complaisance de l’AFIS à l’égard de cette galaxie ultra-libérale. En témoignent l’invitation de l’une de ces organisations britanniques, Sense about Science, comme « association internationale amie » aux 50 ans de l’AFIS, le coup de projecteur que l’AFIS a donné à la branche jeunesse de Sense About Science dans sa revue, etc. Mais nous n’avons jamais écrit que les trotskistes anglais devenus libertariens se définissaient toujours comme trotskistes ou marxistes. Et même, au contraire : nous citons par exemple leur leader Frank Furedi, qui écrit qu’il ne peut être « considéré comme marxiste [car] il se considère lui‑même [désormais] comme un humaniste libertarien » [GDR, p. 184]. Peut-être cette incompréhension est-elle liée au fait que Yann Kindo n’a, de son propre aveu, que « survol[é] » le chapitre consacré aux libertariens. Il réagit comme si nous cherchions à souiller l’engagement trotskiste. Pourtant, un certain nombre de militants de cette mouvance nous ont aidés à éclaircir ces phénomènes en tant que sources. Sylvain Laurens a déjà pu décrire comment la trajectoire de Michel Rouzé, le fondateur de l’AFIS, croise le trotskysme pour des raisons personnelles, notamment à partir du moment où il devient visiteur commercial pour les pharmacies (et alors que Robert Barcia, un des fondateurs de Lutte Ouvrière, est président de l’association des visiteurs pharmaceutiques). L’entièreté de cette rencontre est décrite dans Militer pour la science et les archives personnelles de Michel Rouzé ont été déposées par Sylvain Laurens aux archives de La Contemporaine à Nanterre. Yann Kindo pourra aussi lire dans cet ouvrage que le rapport de Michel Rouzé au DDT est plus complexe et plus fluctuant que ce qu’il en dit [p. 180-181]. La citation de 1969 qu’il livre est tronquée et le fondateur de l’AFIS s’offusque de trouver du DDT dans des produits anti-poux en 1984.

Yann Kindo fait aussi preuve d’une mauvaise compréhension de l’histoire de l’industrie du tabac et ne saisit pas les paradoxes de la position de Maurice Tubiana – qu’il semble découvrir. Comme pour le changement climatique, il est facile de dire aujourd’hui que le tabac donne le cancer et un acteur rationaliste comme Tubiana le disait dès les années 1970 en France. Mais la question est de savoir comment l’industrie du tabac a depuis longtemps délaissé la seule défense de son produit (devenu indéfendable sur le plan sanitaire) pour promouvoir tous azimuts une autre approche : financer des recherches sur tout ce qui peut donner le cancer, ainsi qu’une pseudo-éducation à la bonne science. C’est ce type de basculement qui explique l’intérêt de l’industrie du tabac pour des scientifiques sérieux qui travaillent sur bien d’autres domaines en cancérologie. Et c’est aussi ce qui explique les circulations de certains consultants, à l’instar de cette directrice des affaires publiques et de la communication du lobby des pesticides qui anime la réunion du Syrpa sur le glyphosate à l’ouverture du livre, et qui travaille aujourd’hui chez Philip Morris. On peut changer de produits à défendre mais l’argument de l’éducation à la bonne science demeure recyclable pour le produit d’à côté. C’est ce que nous décrivons aussi longuement à partir de l’exemple d’Henry Miller dont les arguments ont servi aux industriels du tabac, aux climato-sceptiques et aux défenseurs des biotechnologies (chapitre 2).

Enfin, on s’étonnera de certaines sorties dès qu’il est question de sociologie. Le billet du membre de l’AFIS renvoie à un blog délirant où Sylvain Laurens est attaqué pour avoir fait de l’observation dans un club de sport situé à quelques centaines de mètres du quartier européen, dans un quartier chic de Bruxelles. On lui reproche d’y avoir faussement vu la grande bourgeoisie. Au moment de l’enquête, plus d’un tiers des membres du club en question et quasiment la moitié de ses adhérents gagnaient entre 5 000 et 12 000 euros par mois (et on y croise accessoirement deux eurodéputés). Son salon n’est pas tout à fait celui du club de fitness de quartier. Continuant son incursion du côté de la sociologie et volant au secours de Gérald Bronner, Yann Kindo finit par tronquer nos phrases, en détourne le sens. Il se retrouve à deux doigts de nous accuser de minimiser le terrorisme. Il écrit : « Et surtout, si les procureurs aveugles qui ont écrit l’enquête n’ont pas vu la cohérence des centres d’intérêts de Bronner que sont (selon leurs propres mots) “la radicalisation islamiste”, “la socialisation juvénile”, “le complotisme” et “la fréquentation des réseaux sociaux”, le coup de folie sanguinaire du jeune islamiste radicalisé qui a assassiné Samuel Paty le 17 octobre dernier devrait peut-être les éclairer un peu, s’il est encore possible de le faire. » Notre phrase originale ne portait pas sur le terrorisme. Pour évoquer les fréquents changements de sujets du sociologue, nous écrivons : « Aussi, la plupart des chercheurs sont spécialisés. Ils ne travaillent pas à la fois, comme le fait Gérald Bronner, sur la radicalisation islamiste, les neurosciences, la socialisation juvénile, le complotisme, la fréquentation des réseaux sociaux, le principe de précaution, la peur des antennes relais et le gluten. Chacune de ces controverses ou spécialités relève désormais de corpus bibliographiques immenses ». Il est inacceptable de soustraire à notre phrase les antennes relais ou le gluten pour en détourner le sens et instrumentaliser la mort de Samuel Paty. Il est tout aussi inacceptable de jeter le doute sur ce que nous aurions fait durant le confinement en nous reprochant d’avoir passé du temps à écrire notre livre au lieu de critiquer les promoteurs de l’hydroxychloroquine. Non, l’AFIS n’était pas la seule à faire son travail et à produire de l’information claire sur Didier Raoult ou les effets de la crise sanitaire. Et nous n’avons jamais non plus défendu les prises de position de Laurent Mucchielli qui sont à l’encontre de ce que dit le consensus scientifique.

[5] Concédons à la lecture de Laurent Dauré (seulement mentionné sur trois lignes de l’ouvrage et dont la réponse de 17 496 signes fait très exactement 67 fois la taille que nous lui accordons dans le livre) que son entretien vidéo avec Sokal et Bricmont sur YouTube comporte quatre parties et non deux, comme nous l’avons écrit par erreur. Nous avons bien noté qu’il n’est aujourd’hui plus membre du bureau de l’UPR de François Asselineau, un parti « qu’il a quitté en novembre 2017 » après y avoir milité pendant plusieurs années. Il n’en reste pas moins qu’il a donc œuvré pour un mouvement dont le leader charismatique est effectivement un ancien bras droit de Charles Pasqua. L’UPR a plus qu’un air de famille avec le RPF de Charles Pasqua cherchant à unir les souverainistes de tous bords. À l’époque où il militait au sein de l’UPR, Laurent Dauré a par exemple animé une table ronde sur la FrançAmérique autour d’essayistes comme Jean-Philippe Immarigeon, invité régulier de Radio Courtoisie ou de Krisis. Militer dans ce type de parti politique qui prétend abolir les frontières entre gauche et droite implique de faire ce genre de choses. Il peut nous traiter de complotistes, mais c’est bien lui qui a milité pendant plusieurs années auprès de François Asselineau, un responsable politique qui consacre son existence à réécrire l’histoire du monde à partir de powerpoints extravagants et de vidéos fleuves. Nous sommes heureux d’intégrer à notre réimpression que l’éphémère mouvement politique de Paul Marie Couteaux, dont Laurent Dauré a été membre, s’appelait le « Rassemblement pour l’indépendance de la France » et non le « Rassemblement identitaire français ». Il n’en reste pas moins que ce groupuscule fondé par Paul Marie Couteaux, en vue d’une alliance électorale avec le Front National, voulait « préserver l’identité française ». Sa plate-forme contenait tout un tas de joyeusetés relayées à un rythme hebdomadaire sur Radio Courtoisie ou dans son programme : « chacun doit donc consentir à honorer partout ce socle identitaire autour duquel notre roman national est appelé, encore et toujours, à s’écrire authentiquement : en d’autres termes, la France doit affirmer sans atermoiement son refus catégorique d’entrer insensiblement dans une société multiculturelle dont le développement incontrôlé ne pourrait que menacer définitivement les marqueurs traditionnels de son identité profonde. » Bref, le RIF est loin du gentil groupement chevènementiste nostalgique du CERES que l’on voudrait nous présenter.

Soit, Laurent Dauré n’a rejoint le CA de l’AFIS qu’en juin 2018. Mais il était proche de l’AFIS auparavant, comme il l’explique lui-même. Hormis donc une erreur de date de six mois dans un CV militant (nous aurions dû indiquer « ancien » membre de l’UPR au moment où il est entré au CA de l’AFIS, association dont il était déjà proche), nous sommes tous raccord sur les faits. Pourquoi avons-nous mentionné son appartenance politique alors qu’il est l’intervieweur de Jean Bricmont et d’Alan Sokal ? D’abord, nous n’avons jamais écrit qu’il était lui-même d’extrême droite. Pour autant, il ne nous semble pas complètement anodin que l’anniversaire du canular Sokal soit ainsi célébré et assuré par un militant dont le parcours politique est plutôt marqué par la défense du souverainisme au-dessus du clivage droite-gauche, et issu d’un groupuscule cherchant à faire alliance avec le Front National. Aussi, nous sommes parfaitement en mesure d’intégrer que la position politique qui était la sienne il y a quelques années n’est peut-être plus la même aujourd’hui. Enfin dans son texte, Laurent Dauré reproche longuement à l’un de nous d’avoir œuvré pour que deux de ses livres ne soient pas édités. Mais peut-être que ses engagements politiques sont déroutants et qu’ils ont tout simplement fait douter des maisons d’édition « plus à gauche que La Découverte », les amenant à renoncer collectivement à le publier car elles ne voulaient pas mêler la critique de l’oligarchie à la sauce Asselineau avec celle d’une critique marxiste ? Nous ne comprenons pas vraiment non plus l’accusation d’agoraphobie qui ferait de nous des personnes refusant de discuter. Laurent Dauré figurait, en tant que membre du CA de l’AFIS, parmi la quarantaine de personnes réunies récemment pour une présentation du séminaire « Politique des sciences » à l’EHESS. Il aurait eu là tout le loisir d’engager le débat avec Sylvain Laurens.

[6] Gérald Bronner (interrogé par Eugénie Bastié), « Surestimer le risque est un réflexe », Le Figaro, 11 mars 2020.

[7] Gaspard Koenig, « Ne sacrifions pas nos libertés au nom du coronavirus », Les Échos, mercredi 4 mars 2020. Relayé notamment sur Twitter par Virginie Tournay.

[8] Conclusion finale de Gérald Bronner, La planète des hommes : réenchanter le risque, PUF, 2014.