La ministre, la science et l’idéologie
Depuis quelques mois, et plus intensément depuis quelques jours, les sciences sociales sont attaquées. Le gouvernement les soupçonne de ne pas parvenir à se réguler par elles-mêmes, intérieurement, de se laisser gangréner au cœur de leur mission par des idéologies. En face, on rétorque que l’attaque est elle-même idéologiquement orientée, visant la mise au pas de savoirs dits « critiques », parce que produits de façon autonomes, à l’abri des injonctions des pouvoirs quels qu’ils soient. Cette ingérence, ajoute-t-on, est guidée par une conception erronée de la mission spécifique des sciences sociales, c’est-à-dire par un préjugé scientiste. S’y exprime un réflexe issu des sciences dures, ou naturelles (la ministre est biologiste de formation), compatible avec la reprise en main autoritaire et la sanction des supposées déviations.
Du côté du pouvoir, on réplique : le danger est réel dans ce genre de savoir, les sciences sociales n’ont-elles pas démontré, dans un passé récent, leur disposition à l’enrôlement dans les idéologies les plus meurtrières du XXe siècle ? Séparer science et idéologie est un impératif, ici comme ailleurs – ou plutôt ici plus encore qu’ailleurs. Du côté des sciences sociales, on répond à nouveau : vous ne savez pas ce que nous sommes, votre scientisme vous condamne à ne rien comprendre à ce que nous faisons, et à endosser à votre tour l’habit de l’oppresseur, exactement comme les idéologies au pouvoir dont vous brandissez le spectre.
Des deux côtés, le précipice habituel des polémiques sur ce genre de sujet n’est pas évité : la reductio ad hitlerum, point d’orgue des argumentations qui n’en sont pas, parce qu’elles n’ont en vérité même pas commencé.
Dans ce débat, la réponse des sciences sociales est juste. Le scientisme est pour elles une dénaturation. Mais sait-on vraiment pourquoi ? Rien n’est moins sûr, à entendre la façon abstraite et répétitive dont sont invoquées l’autonomie de la science, la libre recherche, la neutralité axio