Société

Entre justice et politique, la contestée Cour de justice de la République

Juriste et sociologue

Les poursuites en cours contre trois ministres en exercice pendant la crise du Covid-19 et la mise en examen du Garde des Sceaux Éric Dupond–Moretti pour prise illégale d’intérêts ont ravivé les critiques déjà anciennes à l’égard de la Cour de Justice de la République. Jusqu’au Conseil d’État, qui vient de proposer de limiter la responsabilité pénale des ministres.

Dans l’exercice de sa charge, il peut arriver qu’un ministre soit suspecté d’avoir commis des actions illicites ou dommageables. Au cours de la crise du Covid, trois ministres ont été mis en cause pour des défaillances suspectées durant la période initiale de l’épidémie (janvier-mars 2020). Trois solutions sont possibles ; les deux premières ont déjà été utilisées. On peut considérer qu’un ministre ne peut être jugé que par ses pairs et que la justice n’a pas à se mêler de la responsabilité politique. Il est aussi possible de concevoir un système mixte où des élus sont associés à des magistrats. Enfin, on peut estimer qu’au-delà de leurs mandats, les ministres sont des citoyens comme les autres et relèvent pour leurs fautes pénales simplement de la justice pénale ordinaire.

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Si les débats sont nombreux aujourd’hui sur la manière dont il faudrait juger les fautes pénales commises par des membres du gouvernement et sur le fonctionnement de l’actuelle Cour de justice de la République, il faut rappeler tout d’abord que les politiques portent une lourde responsabilité dans cette situation, et ceci doublement. Tout d’abord, la création de la Cour de justice de la République en 1993 a été une réponse à l’incapacité du Parlement à faire fonctionner la Haute Cour de justice qui était précédemment en charge des poursuites contre les ministres ayant failli gravement dans leur charge. Ensuite, la réforme de la CJR était à l’ordre du jour d’une réforme constitutionnelle présentée en 2013, et renouvelée en 2018. Mais ni François Hollande, ni Emmanuel Macron ne sont parvenus à obtenir un accord des deux assemblées à ce sujet. Pour sa part, le pouvoir législatif n’a jamais considéré qu’il y avait là une urgence et a jusqu’à présent préféré le statut quo, tout en dénonçant, bien sûr, les failles de ce système.

Quant aux juristes, depuis la commission Vedel qui est à l’initiative de la CJR, une partie d’entre eux se sont montrés critiques de cette institution qui, comme tout


[1] Jean-Clément Martin, L’exécution du roi, 21 janvier 1793, Perrin, 2011.

[2] Hubert Bonin, « Oustric, un financier prédateur ? (1914-1930) », Revue historique, no 598,‎ avril-juin, p. 429-448, 1996.

[3] Dans l’affaire du « Carrefour du développement », le secrétaire d’État Christian Nucci échappe aux poursuites en raison de l’application de la loi d’amnistie des financements politiques illicites de janvier 1990. La commission d’instruction composée de parlementaires issus des deux Assemblées a publiquement critiqué cette situation en avril 1990, alors que pour elle les faits litigieux justifiaient un renvoi devant la Haute Cour.

[4] Il s’agissait du procès d’Édouard Balladur (Premier ministre) et de François Léotard (ministre de la Défense) pour les affaire des frégates d’Arabie saoudite et des sous-marins du Pakistan.

[5] Cour de cassation, Conseil d’État, Cour des comptes.

[6] Affaire de diffamation par Ségolène Royal.

[7] Il est condamné pour escroquerie au détriment de l’État via le financement public d’associations.

[8] Cécile Guérin Bargues, Juger les politiques ? La Cour de Justice de la République, Paris, LGDJ, 2017.

[9] Christian Bidégaray, « C. Guérin-Bargues, Juger les politiques ? La Cour de justice de la République », Jus Politicum, n° 21.

[10] Il a été condamné en 2001 par un tribunal correctionnel pour recel d’abus de biens sociaux, puis relaxé en appel en 2003.

[11] France Info, 19 janvier 2021.

[12] Dominique Simonnot, « Sang contaminé: une juridiction en doute. Des juristes suggèrent la refonte de la Cour de justice de la République », Libération, 1er mars 1999.

[13] Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues, « CJR et plaintes pénales contre les ministres : la machine infernale est lancée », Jus Politicum, juillet 2020 ; « Poursuivre des responsables gouvernementaux au pénal est une impasse », Le Monde, septembre 2021.

[14] Après sa relaxe par la CJR, E. Balladur a publié un article où il fait le point sur les critiques adressées à cette institution

Pierre Lascoumes

Juriste et sociologue, Directeur de recherche émérite au CNRS et au CEE (Centre d’études européennes et de politique comparée de de Sciences Po)

Mots-clés

Covid-19

Notes

[1] Jean-Clément Martin, L’exécution du roi, 21 janvier 1793, Perrin, 2011.

[2] Hubert Bonin, « Oustric, un financier prédateur ? (1914-1930) », Revue historique, no 598,‎ avril-juin, p. 429-448, 1996.

[3] Dans l’affaire du « Carrefour du développement », le secrétaire d’État Christian Nucci échappe aux poursuites en raison de l’application de la loi d’amnistie des financements politiques illicites de janvier 1990. La commission d’instruction composée de parlementaires issus des deux Assemblées a publiquement critiqué cette situation en avril 1990, alors que pour elle les faits litigieux justifiaient un renvoi devant la Haute Cour.

[4] Il s’agissait du procès d’Édouard Balladur (Premier ministre) et de François Léotard (ministre de la Défense) pour les affaire des frégates d’Arabie saoudite et des sous-marins du Pakistan.

[5] Cour de cassation, Conseil d’État, Cour des comptes.

[6] Affaire de diffamation par Ségolène Royal.

[7] Il est condamné pour escroquerie au détriment de l’État via le financement public d’associations.

[8] Cécile Guérin Bargues, Juger les politiques ? La Cour de Justice de la République, Paris, LGDJ, 2017.

[9] Christian Bidégaray, « C. Guérin-Bargues, Juger les politiques ? La Cour de justice de la République », Jus Politicum, n° 21.

[10] Il a été condamné en 2001 par un tribunal correctionnel pour recel d’abus de biens sociaux, puis relaxé en appel en 2003.

[11] France Info, 19 janvier 2021.

[12] Dominique Simonnot, « Sang contaminé: une juridiction en doute. Des juristes suggèrent la refonte de la Cour de justice de la République », Libération, 1er mars 1999.

[13] Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues, « CJR et plaintes pénales contre les ministres : la machine infernale est lancée », Jus Politicum, juillet 2020 ; « Poursuivre des responsables gouvernementaux au pénal est une impasse », Le Monde, septembre 2021.

[14] Après sa relaxe par la CJR, E. Balladur a publié un article où il fait le point sur les critiques adressées à cette institution