Les NFT au-delà du visible
Dans son essai Le design au-delà du visible (1991), le sociologue Lucius Burckhardt, s’intéressant moins aux objets tangibles qu’aux systèmes sociaux qu’ils contribuent à produire, montre que « le design a une composante invisible, qui relève de l’organisation de l’institution […] ; cependant, étant donné la façon dont notre environnement est le plus souvent agencé, cette composante n’est pas apparente[1]. » À l’époque contemporaine, de tels propos aident à comprendre que la réduction des technologies numériques à des « interfaces » – ces fines membranes entre visible et invisible – nuit à la compréhension des multiples couches sociotechniques des environnements programmés[2]. Autrement dit, le champ du numérique fait problème pour le visible : les protocoles techniques sont mal connus voire opaques et génèrent de multiples manipulations et incompréhensions : décalage entre les promesses marketing et les modèles économiques, opacité des algorithmes de modération et de recommandation, dark patterns, risques pour la vie privée, etc.

Parmi les avatars technologiques récents générant de nombreux malentendus et polémiques, la technologie blockchain (2009), dont Bitcoin est l’exemple le plus connu, reste encore mal comprise en dehors de ses applications monétaires. Inventés en réaction aux crises bancaires de 2008 et à l’économie de la dette, Bitcoin et la blockchain visent initialement à contrecarrer le pouvoir centralisé des banques et des États au profit d’une vision « décentralisée », où les individus seraient en capacité de contrôler leur monnaie et, plus encore, de « programmer » d’autres systèmes de valeurs. Sur cette base technologique, la plateforme Ethereum (2015) opère un écart avec la vision politique portée par Bitcoin au profit d’une efficience et d’une accélération des échanges via le développement de nouveaux protocoles techniques : smart contracts (scripts d’automatisation d’actions), dApps (« applications décentralisées », c’est-à-dire circulan