Images d’Ukraine : qui veut vraiment la fin de la guerre ?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous n’avons pas le sentiment de manquer d’images de la guerre en Ukraine. Celles-ci, de sources multiples – journalistique, militaire, civile… –, peuplent massivement nos écrans depuis le 24 février 2022, date du début de l’invasion russe dans le pays. Le temps semble loin où le critique de cinéma Serge Daney déclarait, peu après la fin de la Guerre du Golfe en avril 1991, qu’il « a existé pendant cette guerre une véritable image manquante, celle de Bagdad sous les bombes[1] ».
Malgré la couverture en temps réel de CNN à l’époque, ou plus exactement à cause d’elle – l’appareil militaire américain contrôlait de près son traitement de l’information –, les dommages collatéraux de l’opération « Tempête du désert » restaient globalement non vus. La guerre était supposée être « propre », et il ne fallait pas entacher la réputation des bombes dites « intelligentes » qui s’abattaient alors sur le sol irakien, causant des centaines de milliers de victimes parmi les civils. Cette réputation n’a pas résisté au temps, et aucun commandement militaire ne communique plus sur le caractère « chirurgical » de ses bombardements aériens. Aujourd’hui, les images ne manquent pas des villes ukrainiennes meurtries par le déluge de feu de l’aviation russe : Kyiv, Irpine, Kharkiv, Marioupol, Zaporijjia, Severodonetsk, Izioum, Balakliia, Kherson, Kramatorsk, Bakhmout, Soledar, Dnipro…
Le problème, en apparence, n’est donc plus le manque d’images, comme à l’époque de Daney où internet n’existait pas encore, ni même l’hypervisibilité du conflit que favorisent désormais les plateformes en ligne. Le problème est ailleurs. Il réside d’abord dans l’extrême monotonie des images sélectionnées par les médias d’information pour illustrer la guerre en Ukraine, indépendamment de la recherche obsessionnelle de l’image-iconique qui a tendance à éclipser toutes les autres (comme c’est le cas potentiellement pour la femme à côté de sa baignoire dans l’immeuble d’habitation détruit à Dnipro).
Quel que soit le fragment du territoire touché par l’ennemi, un même spectacle de désolation nous est inlassablement proposé : des immeubles éventrés, des véhicules calcinés, des civils hagards ou démunis. Ces destructions existent, et il convient sans relâche de les documenter et d’en établir la liste en vue de futurs procès pour crimes de guerre, dans la perspective juridique d’un temps long qui, certes, n’est pas celui du direct informationnel.
La reprise de ces mêmes images dans les médias mainstream rend ces centres urbains interchangeables les uns avec les autres, écrasant la spécificité de chacun d’entre eux comme la singularité des populations qui les composent, réduites à des entités passives dont la force de résistance se trouve constamment occultée. Pourquoi ne pas s’attarder davantage sur l’organisation de cette force au quotidien ? Pourquoi ne pas revenir après coup sur les territoires touchés par les bombardements, pour montrer l’énergie d’un peuple confronté jour après jour à une guerre d’extermination ?
Ces images font cruellement défaut dans l’imaginaire collectif de la guerre, de celles et ceux du moins qui la vivent à distance : autre type d’images manquantes. Car les civils ukrainiens, quand ils entrent dans le champ de l’objectif du photoreporter ou de la caméra du journaliste TV, deviennent trop souvent les figurants d’un décorum de ruines. Les professionnels de l’image qui travaillent pour sa diffusion la plus grande entretiennent surtout une exigence immersive supposée offrir la vérité de l’événement. En découle une « hyperréalité » trompeuse, « visant à produire, comme l’écrit Sylvie Lindeperg dans un autre contexte, le sentiment “plus vrai que le vrai” de revivre [l’histoire] comme si nous y étions », voire « même mieux que si nous y étions[2] ». Mais l’événement historique n’est jamais sans reste, et personne ne peut revendiquer sa capture par l’image une fois pour toutes.
Il est improbable que cette imagerie de guerre, où le spectaculaire de la destruction cohabite avec une forme d’esthétisation de ses compositions (cadrage bien centré, clair-obscur surligné, harmonie des proportions respectée, etc.), atteigne son objectif déclaré : produire un choc dans les consciences, et par ce choc faire en sorte que l’intolérable de la guerre s’arrête. Mais la guerre en Ukraine ne s’arrête pas malgré la persistance de cette iconographie de la dévastation. Et l’indifférence croît.
On dira que toutes les images ne s’inscrivent pas dans la monotonie du flux médiatique, et qu’un nombre indéfini d’entre elles, dispersées sur les réseaux sociaux, proposent un réel contrechamp aux mass media de l’information[3]. Ce contrechamp ne doit pas uniquement se mesurer à la variété de ses contenus visuels ; il consiste à poser une question simple dont la mise en pratique reste pourtant très difficile : est-ce que ce que je perçois de l’Ukraine me laisse entrevoir, même de façon incertaine, la fin du conflit armé ? Ou bien suis-je encore le spectateur ou la spectatrice de cette « incroyable inventivité dont la guerre fait preuve lorsqu’il s’agit d’assurer sa propre perpétuation », comme a pu le soutenir l’essayiste américaine Barbara Ehrenreich[4] ?
C’est peut-être la pierre de touche de la circulation des images de guerre : participent-elles à son « incroyable inventivité » en favorisant, même sans le vouloir, sa « perpétuation » ? Ou esquissent-elles, sans en être forcément la cause effective, la possibilité, même en imagination, d’une mise en échec de la poursuite des hostilités ?
On l’a dit, des images de toutes sortes de la guerre en cours sont disséminées dans les médias sociaux, et en premier lieu celles des lignes de front, si absentes en général de la couverture télévisée. Les raisons stratégiques de cette absence côté ukrainien sont évidentes : en montrant l’élaboration d’une attaque, voire d’une contre-attaque, ou d’un déploiement des troupes avant ou pendant un combat, on donne des indices à l’ennemi sur la disposition des soldats ou sur l’usage des équipements militaires. Ces images plus ou moins remontées existent cependant, et nombreux sont les comptes Telegram qui, chez les Russes comme chez les Ukrainiens, montrent l’avancée des troupes dans un bois, les tirs d’une colonne de chars à l’entrée d’un village, les rampes de missiles anti-aériens au bord d’une route de campagne, etc.
Ces images ne sont évidemment pas neutres. Elles constituent des armes visuelles pour les forces en présence, qui affutent grâce à elles leur communication pour soutenir le moral des troupes, impressionner l’ennemi ou encore conforter les populations sur les outils de défense à disposition. Des vidéos irregardables existent par ailleurs, de civils assassinés gisant par terre après le passage d’un contingent russe ou de corps de soldats déchiquetés sur le bitume cramé par un tir d’artillerie, images qui reposent à nouveaux frais la question de la place qu’occupe la représentation de la mort dans un champ de bataille où les conventions de guerre ont sauté. La cartographie visuelle du conflit fait ainsi apparaître un échelonnement des images dans l’horreur, dont certaines ne passent effectivement pas le filtre médiatique.
Nous devenons les destinataires de messages de propagande en temps de guerre, ce qui est le meilleur moyen de la rendre effective.
La frontière reste toutefois poreuse entre le traitement télévisuel de la situation en Ukraine et la dispersion réticulaire des images que l’on trouve sur internet. Nous ne sommes plus dans les circonstances décrites en 2006 par Brian De Palma au moment de la guerre en Irak, avec cet écart qui désolait tant le cinéaste entre une information extrêmement policée dans les médias américains et l’envers terrifiant de cette même guerre visible sur les plateformes en ligne (YouTube venait juste d’être créé). En résultera Redacted (2007), ce « faux documentaire » sur l’invasion américaine en Irak dans lequel De Palma a refilmé de manière fictionnelle toute une archive composite de la guerre qu’il avait récoltée en ligne (journaux de bord de soldats US réalisés avec de petites caméras HD, vidéos d’insurgés irakiens postées sur internet, scènes de bavure de l’armée américaine, etc.).
Aujourd’hui, les passages d’images des médias sociaux vers les chaînes de télévision relèvent d’un réflexe éditorial à l’intérieur des rédactions. Ces dernières se transforment d’ailleurs en une sorte de régie de montage de cet océan de vidéos d’une grande hétérogénéité. Ainsi, une émission de LCI sur la bataille de Soledar mobilise des fragments de séquences venant de plusieurs comptes Twitter dont les noms sont mentionnés à l’écran, sans qu’on nous dise cependant qui sont les personnes derrière ces comptes, ni comment ces images du front leur sont parvenues.
Il y a des comptes français, ukrainiens, russes, la chaîne se faisant de surcroît le relais de démarches propagandistes comme celle d’Evgueni Prigojine, le chef des soldats de Wagner, sans qu’aucune précaution ne soit prise à l’antenne pour alerter le public sur l’origine de ces images. Nous devenons sans le vouloir les destinataires de messages de propagande en temps de guerre, ce qui est le meilleur moyen de la rendre effective, à une époque où des canaux russes comme RT et Spoutnik sont pourtant interdits de diffusion dans plusieurs pays européens, dont la France.
La composition du plateau de cette émission de LCI est plus largement symptomatique de l’agencement, dans les médias dominants, entre la parole qui s’y exprime et le rôle des images qui l’accompagnent. Il faut d’abord noter l’espèce de délectation à peine dissimulée de la part des présentateurs quant à la violence des combats à Soledar. La répétition d’une même information, à la limite du bégaiement, consistant à nous dire que ces combats sont parmi « les plus sanglants » depuis le début de la guerre est embarrassante en ce sens. Tout se passe comme si le spectacle indigne d’un conflit toujours plus meurtrier assurait à la chaîne la fidélité d’un public devenu voyeur et assoiffé de sang. Ce n’est pas de la sorte que l’on contrarie la « perpétuation » de la guerre dans les esprits, au contraire.
Les points de vue des experts présents sur le plateau – anciens généraux, stratèges en communication militaire, spécialiste en relations internationales – apportent parfois des éléments d’analyse qui ne sont pas inutiles (comme les tensions, à l’intérieur du Kremlin, entre le ministère de la défense et le fondateur de Wagner). Mais le protocole de réalisation en écran partagé (split screen), avec l’expert.e en train de parler à droite du cadre et le défilement des images issues des médias sociaux à gauche, trahit la place précaire qui est réservée, in fine, au public. Celui-ci est réduit à devenir le réceptacle muet d’un discours de spécialiste qui s’impose à lui, façonnant le regard qu’il porte sur ses images et qui resterait forcément vide sans la parole incontournable de l’expert.
Est-ce que l’insoutenable de l’enfer des combats est atténué par ce dispositif ? Rien n’est moins sûr. Jacques Rancière a bien mis en lumière comment cet agencement entre un savoir d’expert et des images qui viennent seulement l’illustrer contribue à une banalisation de l’horreur : « Ce que nous voyons surtout sur les écrans de l’information télévisée, écrit le philosophe, c’est la face des gouvernants, experts et journalistes qui commentent les images, qui disent ce qu’elles montrent et ce que nous devons en penser. Si l’horreur est banalisée, ce n’est pas parce que nous en voyons trop d’images. Nous ne voyons pas trop de corps souffrants sur l’écran. Mais nous voyons trop de corps sans nom […] [trop] de corps qui sont objet de parole sans avoir eux-mêmes la parole »[5]. Des images nous manquent toujours, autrement dit, même à l’époque du tout-image.
Ce qui manque, et que le discours des « gouvernants » ou des « experts » vient recouvrir, c’est la singularité d’un visage qui tente de survivre à Kherson, le mouvement persévérant d’un exil non voulu du côté de Lviv, la reconstruction collective d’un quartier détruit à Marioupol, etc. L’art des images, documentaire ou fiction, peut faire de ces mille épreuves son matériau premier pour écrire l’histoire de cette guerre.
Ce n’est pas le privilège du seul cinéma ou de la photographie de création que d’y parvenir ; tout fabricant d’image devrait dignement s’atteler à cette tâche, et il n’y a aucune raison que le « système de l’information » ne puisse y accéder. Cela dépend du choix des images montrées – l’impression de trop-plein doit toujours être relativisée – et de la nature des mots employés sur un plateau pour les commenter. Comme l’écrit encore Rancière : « Le système de l’information ne fonctionne pas par l’excès des images, il fonctionne en sélectionnant les êtres parlants et raisonnants, capables de “décrypter” le flot de l’information qui concerne les multitudes anonymes[6]. »
La guerre en Ukraine a fait de plus apparaître de nouveaux « décryptants », experts parmi les experts du conflit armé, surtout quand le terrain des opérations devient le prétexte à l’usage de nouvelles armes. Il s’agit de militaires, plus ou moins gradés, à la retraite ou pas, pour certains reconvertis dans le conseil diplomatique, et qui sont fréquemment invités dans les émissions de télé (comme c’est le cas de David Petraeus, ex-général de l’armée américaine et ancien directeur de la CIA, omniprésent dans les médias outre-Atlantique), quand ils ne créent pas leur propre chaîne YouTube, comme Xavier Tytelman, ancien membre de l’aviation navale, spécialisé notamment dans la détection de navigateurs aériens.
Le respect des victimes de la guerre devrait nous engager à défaire les associations sauvages d’images d’où elles ont le plus souvent disparu.
Tytelman poste ainsi à intervalles réguliers des vidéos fort suivies où il pose un œil instruit sur l’usage du matériel militaire en Ukraine, que celui-ci soit utilisé par les Russes ou par les Ukrainiens. Son discours est en effet d’une grande technicité, et les milliers d’internautes qui commentent ses analyses lui en savent gré, saluant en particulier le fait qu’il prenne la peine de localiser géographiquement les villes et les villages que nous montrent les séquences diffusées, ce qui est la moindre des choses, il faut bien le reconnaître.
Les montages d’images proposés par Tytelman demeurent toutefois hautement problématiques. Dans une vidéo postée le 4 janvier dernier, significativement intitulée « Carnage à Bakhmut, nouvelles armes (AMX-10 RC & drones) et frappes stratégiques » – où l’insistance sur l’horreur des combats rencontre un état des lieux sur le matériel militaire qui favorise cette horreur –, nous voyons s’enchaîner à un rythme élevé différentes séquences émanant de réseaux sociaux ou de sites internet dont les références sont données, mais dont les conditions de circulation, elles, ne sont guère fournies.
Tout laisse à croire que la plupart de ces vidéos proviennent de la plateforme de partage Discord, où des données en tout genre transitent et sont échangées entre internautes. C’est ainsi que des images inédites de la guerre, qui nous propulsent en première ligne, sont montées de telle sorte qu’elles servent encore une fois de simples supports à la parole de l’expert. Celle-ci, aussi érudite soit-elle, force notre regard à se fixer là où elle souhaite que nous le fixions, parfois même en surlignant en bleu ou en rouge des pans de l’image – par exemple, deux colonnes de chars qui se font face –, comme si le public était dans l’incapacité de suivre autrement le fil du commentaire proposé.
De fait, l’expertise se rapproche ici plutôt du message promotionnel, dans la mesure où notre perception est contrainte de se focaliser sur un aspect seulement de l’image, celui qui consacre un savoir technique sur les armes. En ce sens, la frontière devient toujours plus étroite entre une parole savante sur le matériel des belligérants et le clip commercial vantant l’efficacité d’une arme par ses fabricants.
Ce troublant mélange des genres se retrouve dans de nombreux reportages mis en ligne par des organes de presse. Par exemple, une vidéo est visible sur le site du Parisien à propos du fameux drone turc Bayraktar TB2, utilisé par les Ukrainiens dès le début de la guerre. Le montage mêle ainsi, outre l’analyse d’un expert en « risques globaux et émergents », des images de l’impact des bombes au sol enregistrées par ce même drone Bayraktar et d’autres où l’on voit le drone flambant neuf dans un hangar de l’armée turque, clairement une séquence ayant pour vocation à célébrer cet équipement aérien, et par conséquent à le vendre.
Les images de provenances disparates, voire antagonistes, coexistent ainsi à l’intérieur d’un magma indistinct, et l’esthétique spectaculaire que cette indistinction véhicule n’est pas sans rappeler les vidéos de propagande que toute guerre charrie avec elles (dans un passé récent, les branches médiatiques du groupe terroriste « État islamique » ont renouvelé de manière inquiétante cette esthétique du choc, dont les effets formels se font encore sentir).
La guerre en Ukraine n’y fait pas exception. Le respect de ses victimes devrait nous engager à défaire ces associations sauvages d’images d’où elles ont le plus souvent disparu. Si l’on éprouve le moindre souci pour ces victimes, il est difficile de trouver dans ces images une quelconque issue qui pourrait atténuer leur souffrance. Un arrêt des hostilités n’est même pas un horizon lointain dans cet environnement visuel : il n’apparaît tout simplement pas comme horizon.
En songeant aux images d’« armes intelligentes » (« precision guided weapons ») diffusées en masse pendant les « deux guerres du Golfe », Harun Farocki déclarait qu’elles « [étaient] davantage qu’une classique ruse de guerre destinée à tromper l’ennemi », ou à montrer qu’on pouvait le tromper à tout moment en le frappant n’importe où et n’importe quand. Il s’agissait aussi de « familiariser les esprits avec l’idée d’une bombe voyante, de sorte qu’il serait ensuite impossible de ne pas la commander, la développer et la financer »[7]. « L’inventivité de la guerre » à se perpétuer trouve là une manière supplémentaire de s’affirmer. Ainsi, apprend-on conjointement dans les reportages sur le drone turc que le calendrier des commandes de l’engin volant de Bayraktar est plein pour les trois prochaines années. Ce qui est bien une terrifiante nouvelle, par-delà la nécessité à armer les Ukrainiens face à l’agression russe.
Dans tous les cas, se pose de façon toujours plus insistante la question de notre position d’observateur – proche en cela d’un poste d’observation – devant des images de guerre qui participent parallèlement à la concurrence acharnée que se livrent à un niveau global les complexes militaro-industriels. Ne devenons-nous pas, malgré nous, des « techniciens de la guerre » ? C’est l’hypothèse que suggérait Farocki, dès lors qu’on adopte « le point de vue de la guerre » justement, en l’occurrence celui des « vues aériennes » qui correspondent aussi bien au point de vue de ces « bombes voyantes » dont font partie les drones aujourd’hui : « Les téléspectateurs, auxquels on présentait [des armes volantes] qui en principe n’étaient destinées qu’aux techniciens de la guerre, étaient censés s’identifier à de tels techniciens, ils devaient s’approprier la technique de la guerre[8]. »
Tout le problème est alors de savoir comment s’inscrire dans une position critique susceptible d’entretenir un rapport distancié avec ces images, à une époque – celle du paradigme immersif – où tout est fait pour qu’il n’y ait nulle distance entre elles et nous. C’est en ce sens que le président ukrainien, dans son remarquable discours en visioconférence lors du dernier festival de Cannes[9], invitait le cinéma à ne pas rester « muet » face à la barbarie actuelle du dictateur russe. Un peu comme Chaplin, ajoutait-il, s’était confronté en pleine Seconde Guerre mondiale à « l’esprit du nazisme » avec Le Dictateur : « Le cinéma avait [alors] cessé d’être muet, à tous les sens du terme, même si ce film n’a pas mis fin à la dictature de Hitler. »
« Il nous faut un nouveau Chaplin ! » s’enflamma en outre Zelensky dans ce même discours, en écho lointain à l’acteur de comédie qu’il fut lui aussi avant de devenir président. Difficile tâche pour les cinéastes contemporains, qui doivent se confronter à une imagerie de la guerre qui donne l’impression que celle-ci ne finira jamais. Le chef des armées Zelensky, lui, prend toujours soin dans ses discours de tracer la perspective d’une paix durement conquise. Il veut que la guerre cesse, il ne veut pas sa « perpétuation ». Car il sait, comme il l’énonce avec une voix quand même un peu tremblante, que « l’enfer n’est pas l’enfer, la guerre est pire que l’enfer ».