Société

Toute lutte d’émancipation est universelle

Sociologue

La réflexion sur l’émancipation a repris place au cœur du débat public mais reste minée par une querelle doctrinaire qui divise la gauche en opposant artificiellement universel et particulier. C’est plutôt à partir des luttes qui lui donnent consistance qu’il convient d’analyser l’émancipation.

La réflexion sur l’émancipation a repris place au cœur du débat public. Elle s’alimente aujourd’hui à trois sources principales. La première est l’éloge de la méritocratie que les dirigeants modernes entonnent en vue de persuader chacun et chacune de réaliser ses « potentialités » et d’accroître sa « performance » afin d’améliorer son sort ou gagner une place enviable dans la société[1].

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La seconde émane des philippiques, des conservateurs et des réactionnaires clamant que l’idée même d’émancipation est un slogan creux au service d’une défense aberrante d’un « universalisme abstrait » et d’un « individualisme insatiable ». Pour ces voix, la revendication d’autonomie absolue portée par les progressistes est absurde ou dangereuse puisqu’elle fait fi des hiérarchies et des traditions héritées, contrevient aux lois de l’ordre naturel, cultive un individualisme œuvrant à la dissolution des sociétés et de la civilisation[2].

Une version « républicaine » de l’universalisme radicalise cette posture en exaltant l’obligation de fabriquer des citoyens fidèles aux valeurs immémoriales de la nation et acceptant sans rechigner le sort qui leur est assigné dans une pyramide sociale immuable. Ces deux visions de l’émancipation sont purement idéologiques : elles nient la réalité des injustices et des inégalités structurelles qui frappent des groupes sociaux ostracisés et ignorent l’état des lois et des mœurs qui régit les sociétés démocratiques contemporaines en consacrant l’égalité des droits humains et le respect de la dignité des personnes[3].

La troisième source qui nourrit le débat public sur l’émancipation est plus intrigante. Elle provient de la controverse qui divise la pensée de gauche selon qu’elle l’envisage à partir de la notion d’aliénation ou de celle discrimination. La première perspective se situe dans le sillage de l’héritage du marxisme en s’arc-boutant sur une certitude : l’émancipation doit valoir pour l’humanité en son entier et dépend de l’action engagée par le prolétariat pour détruire le système capitaliste.

Dans la seconde perspective, l’émancipation advient au terme d’une lutte collective menée par les membres d’un groupe social disqualifié afin de recouvrir la jouissance des droits humains fondamentaux qui leur sont déniés. Une querelle est née à la croisée de ces deux conceptions : les tenants de la thèse de l’aliénation revendiquent la prééminence de leur point de vue et récusent le bien-fondé des luttes qu’ils nomment « identitaires » et réduisent à des combats secondaires déforçant le seul qui importe : l’abolition du capitalisme. Cette querelle est saugrenue, tout comme le conflit de méthodes qu’elle a ouverte au sein des sciences sociales autour du thème de l’intersectionnalité[4].

Une des ambitions du livre que je viens de publier – Émancipations[5] – est de vider cette querelle en démontant le caractère artificiel de l’opposition entre universel et particulier.

Qu’est-ce qu’une situation de minorité ?

Admettre la légitimité des luttes d’émancipation des groupes sociaux qui subissent des discriminations ne devrait poser aucun problème de principe pour ceux et celles qui partagent un même souci de l’égalité, de la justice et de la dignité des êtres humains[6]. Au lieu de camper sur une ligne de front doctrinaire qui fixe une échelle de conformité à l’idéal d’universalisme, ce livre s’attache plutôt à analyser l’émancipation à partir des luttes qui lui donnent consistance.

On observe alors qu’elles combinent toutes une dose d’universalité – se défaire d’une forme de domination en exigeant l’égalité des droits et le respect de la dignité des personnes – et une dose de particularité – la formulation d’une revendication liée à un événement qui soulève une émotion : répression violente d’une grève, « réforme » limitant un droit social ou syndical, meurtre raciste, violence sexiste, féminicide, remise en cause du droit à l’avortement, naufrage de migrants, catastrophe climatique.

Cette analyse offre ainsi une justification empirique à un argument : toute action politique visant à accroître les droits subjectifs et les libertés individuelles de personnes qui en sont dépossédées n’est ni une dépolitisation, ni un renfermement sur une cause particulière au détriment du progrès social, moral et politique des sociétés en leur totalité. Cette justification repose sur la substitution de la notion de « situation de minorité » à celle d’émancipation. Pour le sociologue, une situation de ce type se définit en termes de structure de relations sociales, pas en termes de quantité (la proportion d’individus appartenant à une catégorie d’individus au sein d’une population présentée comme majoritaire) ou d’appartenance (être membre d’une communauté possédant une culture ou une identité propres).

Vue sous cet angle, la situation de minorité se caractérise par quatre dénis déterminants : ceux de l’égalité de droits, de la « parité de participation »[7] à la vie sociale et politique, de la liberté d’adopter une conception du bien originale et de la possibilité d’exhiber un mode de vie atypique sans risquer la réprobation. Contre ces dénis, s’émanciper consiste à s’engager dans une action collective qui vise à abroger ce régime de sujétion et à purger l’ordre juridique des textes qui permettent son actualisation dans le quotidien de ceux et celles qui le subissent.

Toute situation de minorité conjugue trois genres d’infériorisation dont les effets sont enchâssés les uns dans les autres. Le premier de ces genres est la « minorité sociale », à laquelle est vouée la masse des personnes dépossédées de la propriété de leurs moyens d’existence et acculées au contrat de subordination du salariat. Cet état de minorité sociale est celui dans lequel sont maintenues les classes laborieuses dont l’assujettissement est reconduit par des dispositifs de surveillance, de tutelle, de répression ou de « pédagogie » qui sont censés assurer leur moralisation, leur réhabilitation ou leur éducation[8].

Le second est la « minorité civique », à laquelle sont soumis des groupes sociaux dont les membres possèdent une citoyenneté mais qui, à raison d’un attribut censé les disqualifier, restent soumis à des entraves et des vexations qui les mettent régulièrement au ban de la vie courante. Dans l’espace public démocratique contemporain, cette situation affecte particulièrement les femmes, les populations « racisées » et les personnes affichant une sexualité singulière.

Le troisième genre d’infériorisation est la « minorité épistémique », c’est-à-dire la négation de la validité du savoir formulé par ces gens du commun dont les « élites » de pouvoir estiment qu’il trahit leur irrationalité ou leur incompétence à saisir la complexité des affaires publiques[9] et ne compte pour rien.

Il faut y insister : le processus de mise en situation de minorité sociale et civique s’accompagne immanquablement d’une mise en situation de minorité épistémique. L’émancipation ne résume donc pas à liquider la domination d’un ordre normatif qui se présente comme seul légitime sur d’autres ordres normatifs tenus pour défectueux ou révoltants. Elle requiert d’affronter ces trois faces imbriquées de la mise en minorité à la fois, ce qui multiplie les obstacles que ces luttes doivent surmonter pour accomplir leur projet. Émancipations fait le pari qu’il est possible de les identifier en focalisant l’analyse sur un phénomène : la constitution du « sujet politique » au nom duquel ces luttes se mènent. Quatre cas y sont examinés : prolétariat, femmes, populations racisées, homosexualités.

La pluralité des sujets politiques de l’émancipation

Le prototype du sujet politique de l’émancipation a longtemps été le prolétariat. Il ne fait plus désormais mystère que, avec le temps, la puissance des organisations de la classe ouvrière s’est émoussée et la croyance en leur capacité à affranchir l’humanité du joug du capitalisme s’est largement érodée. C’est ainsi que ce sujet s’est peu à peu recomposé sous trois autres figures : Peuple[10], Multitude[11] et Consommateurs[12]. Mais aucun de ces trois sujets de substitution ne semble posséder les propriétés qui ont conféré sa force à leur modèle.

À la différence du prolétariat, le Peuple est une entité indéfinie, dont la caractéristique est de naître de et dans la lutte pour la légitimité de la revendication qui l’institue. Il est toujours constitué en sujet politique par une avant-garde qui en fixe les contours et désigne la nature de la domination qu’il subit. Un Peuple peut ainsi être tout aussi bien révolutionnaire que réactionnaire, identitaire ou indépendantiste.

La Multitude est une hypothèse qui a pris consistance dans les grands mouvements de protestation organisés pour dénoncer les politiques qui soumettent les populations à l’ordre néo-libéral, aux discriminations de genres ou d’origine ou à la dégradation du climat et de la bio-diversité. Réunir ces mouvements disparates qui exprimeraient, de façon sporadique et inarticulée, une volonté d’en finir avec le système d’exploitation capitaliste paraît abusif. C’est ce qui empêche la Multitude de se lever pour devenir un sujet politique porteur d’un projet commun.

Les Consommateurs sont le dernier avatar du prolétariat. L’émergence d’un tel sujet politique sur une délibération collective se concluant par la définition des « besoins réels » de l’humanité. Cette démarche semble elle aussi assez illusoire. Elle soulève en tout cas deux questions : celle de la compatibilité de ces besoins selon le degré de développement des sociétés humaines ; celle du lien d’essence entre abandon du productivisme et de l’extractivisme et destruction du système capitaliste – qui n’est pas unanimement reconnu.

Les métamorphoses du sujet politique de l’émancipation universelle suivent les transformations de l’organisation du système capitaliste sous l’effet de sa globalisation et de sa financiarisation. Elles prennent acte du fait que, dans les conditions actuelles du rapport de force entre capital et travail, le prolétariat ne détient plus le privilège de remplir cette mission historique. Pour certains, cette éclipse a favorisé l’éclosion de mouvements sociaux plaidant pour l’éradication des situations de minorité. Ce qui pose la question de savoir comment se sont constitués les sujets politiques qui s’emparent de cette revendication.

Dans le cas de la lutte des femmes, on sait que celles-ci forment un ensemble qui se différencie selon les appartenances de classe, les métiers, les statuts dans la hiérarchie professionnelle, l’origine, la couleur de peau, l’orientation sexuelle, l’âge, etc. Butler a rappelé cette irréductible disparité de la condition féminine afin de dénoncer les mouvements féministes qui s’instituent en représentants légitimes de la lutte d’émancipation en homogénéisant leur cause de façon dogmatique.[13]

Si on ne se prend pas au jeu des divisions théoriques entre courants du féminisme, on peut dire que la constitution des femmes en sujet politique se réalise en suivant deux grandes logiques. La première s’articule autour de la notion de domination patriarcale : elle rapporte l’infériorisation des femmes à ce moment fondateur de l’histoire de l’espèce humaine où la différence de sexe a pris l’allure d’une distribution hiérarchique des statuts de genre. S’émanciper de ce type de domination ouvre donc un programme exigeant : abandonner la division sexuelle du travail social, mettre en place une nouvelle distribution des rôles dévolus aux hommes et aux femmes, reconsidérer la manière d’intégrer la maternité au cycle de vie. Et, éventuellement, s’installer dans un mode d’existence qui établit un autre rapport à la nature et à la planète et fait le choix de la frugalité et de la coopération contre celui de l’abondance et de la concurrence[14].

La seconde logique s’articule autour de la notion de domination masculine : elle vise à faire cesser une manifestation de misogynie ou de sexisme qui se produit dans un contexte social spécifique et déclenche une action appropriée pour la proscrire définitivement. S’émanciper de ce type de domination requiert de constituer les femmes en sujet politique à l’occasion d’un événement qui provoque l’indignation ou la colère : affaires de viols rendues publiques, multiplication des meurtres de femmes par un conjoint irascible, exploitation et déconsidération des travailleuses de « première ligne » et des métiers de soin, suppression du droit à l’héritage, privation de l’école pour les jeunes filles, interdiction faite aux femmes de se déplacer non accompagnées par un homme, suppression du droit à l’avortement, refus affiché de l’égalité salariale, plafond verre dans l’avancement de carrière, mise à l’écart de professionnelles au nom de leur genre, comportements machistes, propos dévalorisants pour les femmes, prescriptions en matière vestimentaire et d’apparence en public.

La distinction entre domination patriarcale et domination masculine pourrait surprendre tant il semble difficile de ne pas les penser comme totalement comprises l’une dans l’autre. Et pourtant elle définit deux orientations du combat féministe : l’une qui refuse de séparer la vie des femmes de celles des hommes et admet la complémentarité de ces deux composantes de l’humanité partageant une égalité de droits et de statuts ; l’autre qui tient cette option pour une acceptation tacite de l’ascendant social des hommes et de l’asservissement des femmes de laquelle il faut se déprendre en mettant un terme à la reconduction de la hiérarchie des sexes.

Passons maintenant à la situation de minorité civique qui affecte des citoyens français dont l’accès à leurs droits est mesuré, conditionné ou bloqué en raison d’un élément d’identité sociale : être né dans les anciennes colonies ou faire partie des générations qui en sont issues. Cet élément permet de faire peser un doute permanent sur la sincérité de leur appartenance à la collectivité nationale, en les renvoyant constamment à leurs attaches maghrébines ou à leurs origines sub-sahariennes et antillaises. Telle est la condition faite aux populations dites racisées.

Pour ce qui tient à la condition noire, on sait qu’elle est le produit d’une longue histoire de soumission, d’outrages et d’atrocités, marquée par l’esclavage, la colonisation, l’évangélisation forcée, les massacres, la déshumanisation et la dévalorisation[15]. Le combat pour modifier cette condition a arraché des évolutions notables : abolition de l’esclavage, libérations nationales, décolonisations, obtention des droits civiques, pénalisation des discriminations, reconnaissance officielle des torts commis par les métropoles. Il n’a cependant pas réussi à supprimer les effets systémiques du racisme et de la mise en situation de minorité civique.

Shelby a élégamment résumé les trois stratégies que les populations afro-américaines peuvent adopter pour penser la situation dans laquelle elles sont placées : la nier ; la combattre pour l’éradiquer ; se retirer dans un entre-soi safe ou auto-congratulateur[16]. La première consiste à ignorer l’existence du problème de la couleur (colorblindness[17]) que ce soit par rejet de la pertinence de cette dimension de l’existence noire, au nom d’un universalisme dont la maxime est « tous égaux tous différents », ou en souscrivant au crédo républicain qui pose que l’entrée en citoyenneté se fait au prix du reniement de tout lien à une communauté d’origine. La seconde invite à lutter pour l’application intransigeante des principes d’égalité et de justice pour toutes les personnes dépouillées de leurs droits humains.

La troisième choisit de vanter et d’entretenir l’identité noire, en affirmant la précédence de la question raciale sur la question sociale[18] ou en dénonçant l’hégémonie de la « blanchité »[19]. L’existence de ces trois options rend problématique la constitution d’un sujet politique se présentant comme porteur d’un projet unique auquel adhérerait sans ciller l’ensemble de ceux et celles auxquels il s’adresse.

Il en va un peu de même pour les citoyens renvoyés à leur relation à leur origine maghrébine ou à la religion musulmane par des autorités publiques ou privées. Trois projets d’émancipation leur sont proposés : le premier continue à tabler sur la valeur de l’intégration ; le second appelle à détruire les structures d’une domination dont les racines plongent dans l’univers colonial ; le troisième appelle à se retirer dans un monde régi par le respect des préceptes de l’islam.

Ce qui différencie ces trois projets est un peu brouillé lorsque ce processus de racialisation[20] est rapporté à une cause unique : la situation post-coloniale[21]. Car ce dont il est question dans la situation de minorité civique n’est pas, comme au temps des colonies, l’imposition pure et simple d’une inégalité de statut reproduisant des rapports de domination ou d’exploitation fondés sur une différence à jamais surmontable, mais plutôt l’exercice défaillant d’un régime démocratique qui permet que des personnes régulièrement dotées de la citoyenneté subissent une disqualification en raison d’une appartenance ethnique alléguée ou d’une pratique religieuse dont il est nul besoin de faire la preuve[22].

Un citoyen français désigné comme « musulman » ou comme ancien colonisé dispose en effet du droit et de la légitimité d’en revendiquer la pleine jouissance pour son compte. Rien n’interdit non plus qu’une lutte d’émancipation se conduise simultanément au nom de chacun de trois sujets politiques porteurs de projets différents : le droit de jouir des droits de tout citoyen français ; se débarrasser des vestiges de la domination coloniale ; disposer de la liberté d’exercer le culte de son choix et de vivre selon ses traditions (sans déroger aux lois de la République). Et la pratique atteste que le passage d’une de ces perspectives à une autre se fait sans problème lorsque les circonstances l’imposent.

Pour ce qui en est de la lutte d’émancipation menée pour sortir de la situation de minorité civique faite aux homosexualités, elle apparaît moins complexe que celles des femmes ou des racisés. Cette impression tient à ce que leur combat ne requiert ni la destruction du capitalisme, ni l’abandon de la division homme/femme, ni l’éradication des préjugés de race, ni la remise en cause de la supériorité blanche, ni la réinscription des crimes de l’esclavage et de la colonisation dans l’histoire de l’Occident.

Il s’agirait juste d’obtenir la fin de la répression de pratiques sexuelles tenues pour « contre nature » et la récupération de droits qui sont refusés à ceux et celles qui s’y adonnent[23]. L’engagement dans une telle entreprise se brise régulièrement sur un écueil : pour se constituer un sujet politique et demander la cessation des formes de discrimination qu’ils endurent, ceux et celles qui en souffrent doivent se rendre visible en affichant publiquement leur homosexualité. Et toutes les personnes concernées ne sont pas prêtes à le faire ou préfèrent adopter les stratégies de déni ou de retrait. Mais si le coming out transforme l’homme homosexuel en « un homme masculin “comme les autres” », il le rend en même temps invisible et en fait « une menace plus insidieuse pour l’ordre social »[24]. Tel est le paradoxe que les défenseurs de la cause homosexuelle doivent surmonter pour se constituer en sujet politique unique de leur émancipation.

On peut tirer quatre leçons de cette enquête sur la pluralité des sujets politiques de l’émancipation : 1) Toute situation de minorité suscite trois attitudes de la part des personnes discriminées : la nier, la combattre ou se mettre à distance. 2) Si des orientations contradictoires peuvent être données à une lutte d’émancipation, il suffit d’une expression de sexisme, de racisme, d’islamophobie ou d’homophobie particulièrement révoltante pour que les conflits entre obédiences en compétition s’estompent au profit d’une mobilisation sans exclusive. 3) Les mouvements qui animent les luttes d’émancipation n’ont pas le pouvoir de décider seuls de l’importance des manifestations qu’ils convoquent et ne sont pas à l’origine des succès qu’elles peuvent remporter. 4) Toute extension de droits subjectifs à des personnes qui en sont privés au moyen de la lutte produit un accroissement des sphères de l’autonomie individuelle et augmente la probabilité d’une transformation d’ensemble des rapports sociaux.

Ce que l’analyse des pratiques mises en œuvre dans les luttes d’émancipation rappelle, c’est que la haine des femmes, des arabes, des noirs ou des homosexuels semble échapper, en partie au moins, aux seules lois du déterminisme économique. Elle a quelque chose de primaire ou de viscéral que ni la reproduction de l’ordre capitaliste ni les intérêts de classe des personnes qui en bénéficient permettent d’expliquer de façon pleinement satisfaisante. Ce constat invite à reconnaître sereinement que si les luttes d’émancipation sont irréductibles à la lutte de classes, elles contribuent, forcément, à réaliser le projet que celle-ci promettait de réaliser : en finir avec l’aliénation. Reste à savoir si cela suffira à convaincre de l’inanité de la querelle entre universalisme et particularisme.

NDLR : Albert Ogien vient de publier Émancipations. Luttes minoritaires, luttes universelles aux éditions Textuel.


[1] C’est le cœur des projets thatchérien de « grande société », de « troisième voie » de Blair ou de « révolution » de Macron que décrit F. Tarragoni, Emancipation, Paris, Anamosa, 2021. Sur la fonction de la valorisation du mérite dans l’ordre du politique, voir M. Sandel, La tyrannie du mérite, Paris, Albin Michel, 2022.

[2] P.-A. Taguieff, L’Émancipation promise, Paris, Cerf, 2019.

[3] Sur cette évolution du cadre juridique : F. Héran, Lettre aux professeurs sur la liberté d’expression, Paris, La Découverte, 2021.

[4] À ce sujet, l’affrontement entre S. Mazouz et E. Lepinard, Pour l’intersectionnalité, Paris, Anamosa, 2021 et S. Beaud et G. Noiriel, Race et sciences sociales, Marseille, Agone, 2021.

[5] A. Ogien, Émancipations, Paris, Textuel, 2023.

[6] Sur le changement de régime juridique provoqué par l’extension des droits subjectifs : C. Colliot-Thélène, Le commun de la liberté, Paris, PUF, 2022.

[7] Pour reprendre la notion de N. Fraser, « Rethinking Recognition », New Left Review, 3, 2000.

[8] R. Castel, La gestion des risques, Paris, Ed. de Minuit, 1981.

[9] Sur l’injustice épistémique, voir A. Ogien et S. Laugier, Le Principe démocratie, Paris, La Découverte, 2014.

[10] E. Laclau, La raison populiste, Paris, Ed. du Seuil, 2008.

[11] M. Hardt et A. Negri, Empire, Paris, Exils, 2000.

[12] R. Keucheyan, Les besoins artificiels, Paris, Zones 2019.

[13] J. Butler, « “Les femmes” en tant que sujet du féminisme », Raisons politiques, 12 (4), 2003.

[14] G. Pruvost, Quotidien politique. Féminisme, écologie et subsistance, Paris, La Découverte, 2021.

[15] P. Ndiaye, La condition noire, Paris, Folio, 2009.

[16] T. Shelby, “Foundations of Black Solidarity : Collective Identity or Common Oppression?”, Ethics, 112, 2002.

[17] E. Bonilla-Silva, Racism without Racists : Color-Blind Racism and the Persistence of Racial Inequality in America, Lanham, Rowman & Littlefield, 2017.

[18] Voir J.- L. Amselle, « Le retour de l’essentialisme : assignation identitaire et retournement du stigmate », AOC, 18.1.2023.

[19] L. Thuram, La pensée blanche, Paris, Le livre de poche, 2020.

[20] S. Brun et C. Cosquer, Sociologie de la race, Paris, Armand Colin, 2022.

[21] H. Bouteldja, S. Khiari, F. Boggio Éwanjé-Épée, S. Magliani-Belkacem, Nous sommes les indigènes de la République, Paris, Amsterdam, 2012.

[22] R. Castel, La discrimination négative, Paris, Ed. du Seuil, 2008.

[23] S. Chauvin et A. Lerch, Sociologie de l’homosexualité, Paris La Découverte (Repères), 2018,

[24] M. Pollak, « L’homosexualité masculine, ou le bonheur dans le ghetto ? », Communications, 35, 1982, p.49.

Albert Ogien

Sociologue, Directeur de recherche au CNRS – CEMS

Notes

[1] C’est le cœur des projets thatchérien de « grande société », de « troisième voie » de Blair ou de « révolution » de Macron que décrit F. Tarragoni, Emancipation, Paris, Anamosa, 2021. Sur la fonction de la valorisation du mérite dans l’ordre du politique, voir M. Sandel, La tyrannie du mérite, Paris, Albin Michel, 2022.

[2] P.-A. Taguieff, L’Émancipation promise, Paris, Cerf, 2019.

[3] Sur cette évolution du cadre juridique : F. Héran, Lettre aux professeurs sur la liberté d’expression, Paris, La Découverte, 2021.

[4] À ce sujet, l’affrontement entre S. Mazouz et E. Lepinard, Pour l’intersectionnalité, Paris, Anamosa, 2021 et S. Beaud et G. Noiriel, Race et sciences sociales, Marseille, Agone, 2021.

[5] A. Ogien, Émancipations, Paris, Textuel, 2023.

[6] Sur le changement de régime juridique provoqué par l’extension des droits subjectifs : C. Colliot-Thélène, Le commun de la liberté, Paris, PUF, 2022.

[7] Pour reprendre la notion de N. Fraser, « Rethinking Recognition », New Left Review, 3, 2000.

[8] R. Castel, La gestion des risques, Paris, Ed. de Minuit, 1981.

[9] Sur l’injustice épistémique, voir A. Ogien et S. Laugier, Le Principe démocratie, Paris, La Découverte, 2014.

[10] E. Laclau, La raison populiste, Paris, Ed. du Seuil, 2008.

[11] M. Hardt et A. Negri, Empire, Paris, Exils, 2000.

[12] R. Keucheyan, Les besoins artificiels, Paris, Zones 2019.

[13] J. Butler, « “Les femmes” en tant que sujet du féminisme », Raisons politiques, 12 (4), 2003.

[14] G. Pruvost, Quotidien politique. Féminisme, écologie et subsistance, Paris, La Découverte, 2021.

[15] P. Ndiaye, La condition noire, Paris, Folio, 2009.

[16] T. Shelby, “Foundations of Black Solidarity : Collective Identity or Common Oppression?”, Ethics, 112, 2002.

[17] E. Bonilla-Silva, Racism without Racists : Color-Blind Racism and the Persistence of Racial Inequality in America, Lanham, Rowman & Littlefield, 2017.

[18] Voir J.- L. Amselle, « Le retour de l’essentialisme : assignation identitaire et retournement du stigmate », AOC, 18.1.2023.

[19] L. Thuram, La pensée blanche, Paris, Le livre de poche, 2020.

[20] S. Brun et C. Cosquer, Sociologie de la race, Paris, Armand Colin, 2022.

[21] H. Bouteldja, S. Khiari, F. Boggio Éwanjé-Épée, S. Magliani-Belkacem, Nous sommes les indigènes de la République, Paris, Amsterdam, 2012.

[22] R. Castel, La discrimination négative, Paris, Ed. du Seuil, 2008.

[23] S. Chauvin et A. Lerch, Sociologie de l’homosexualité, Paris La Découverte (Repères), 2018,

[24] M. Pollak, « L’homosexualité masculine, ou le bonheur dans le ghetto ? », Communications, 35, 1982, p.49.