Numérique

Bitcoin, cheval de Troie de la Réaction 3.0

Journaliste

Parés des atours cool du progrès technologique et de l’innovation, Bitcoin et la crypto-économie accélèrent aujourd’hui la pénétration d’idées réactionnaires dans le débat public. Couplée à la montée en puissance de milliardaires technophiles et ultraconservateurs, bien décidés à influencer le jeu politique, la pénétration de cet actif numérique dans la société incarne le nouvel esprit du capitalisme numérique, dorénavant populiste et réactionnaire.

«L’élection présidentielle de 2016 a vu l’avènement de Twitter, celle de 2024 pourrait marquer celui de Bitcoin. » L’auteur de cette prédiction est un influent investisseur américain de la crypto-économie, ancien responsable technologique de la bourse d’échanges américaine Coinbase.

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À 43 ans, Balaji Srinivasan est aussi l’un des fers de lance du courant néo-réactionnaire qui galvanise désormais une partie de l’industrie technologique aux États-Unis. Une industrie qui entend pousser ses idées à l’occasion de la campagne pour l’élection présidentielle de novembre 2024, en se servant de Bitcoin et des crypto-actifs comme catalyseur d’un mouvement populiste sous influence de l’extrême-droite.

Cette néo-réaction 3.0 est animée par des pontes de la Silicon Valley comme Peter Thiel, investisseur milliardaire, co-fondateur du système de paiements PayPal et de l’entreprise d’édition de logiciels (dont certains logiciels de surveillance vendus à des États), Palantir, et Elon Musk, multi-entrepreneur à la tête des sociétés Tesla, SpaceX, Starlink et Twitter, récemment accueilli en France avec ferveur au salon VivaTech. Parmi les chevilles ouvrières de ce courant, on trouve également des figures du secteur des technologies comme Marc Andreessen, co-fondateur des navigateur web Mosaic et Netscape, aujourd’hui à la tête de la très puissante firme de capital-risque Andreessen Horowitz (a16z), mais aussi David Sacks, ancien chef des opérations de PayPal, investisseur chevronné au sein de géants technologiques comme Facebook, Uber, SpaceX et AirBnb, Max Levchin, ancien responsable technologique de PayPal et investisseur du site participatif Yelp, Reid Hoffman, co-fondateur de LinkedIn mais aussi Tim Draper, investisseur au sein de fleurons technologiques comme Baidu, Hotmail ou encore Skype.

Leur point commun ? Ce sont des hommes, ils ont fait fortune dans les nouvelles technologies, sont ouvertement conservateurs, voire réactionnaires, et ils se sont tous publiquement déclarés en faveur de Bitcoin et des crypto-actifs. Portée par un agenda politique libertarien, la néo-réaction 3.0 entend ainsi remplacer l’État par le marché, les institutions démocratiques collectives par des algorithmes, le facteur humain par du code, le tout au nom de valeurs abstraites comme la décentralisation, la résistance à la censure et la sacralisation des libertés. Ces préoccupations voisinent avec des réflexions sur le dépassement de la finitude humaine grâce aux technologies ainsi que l’incarne le courant « extropien » du transhumanisme, dont l’un des principaux avocats, Hal Finney, a été l’un des membres éminents de la communauté des cypherpunks et l’un des parrains de Bitcoin, allant jusqu’à se faire cryogéniser à sa mort en 2014. La conviction qu’il nous faut désormais inventer des formes de vie terrestre en dehors de la planète Terre, par exemple en allant coloniser la planète Mars, fait également partie du bréviaire apocalyptico-civilisationnel de cette frange radicale de la Silicon Valley. Le tout forme un projet de société d’inspiration libertarienne et anarcho-capitaliste, au sein duquel les crypto-actifs servent autant de courroie de transmission que d’agent d’influence.

Bitcoin, cheval de Troie « anti-woke » au cœur de la présidentielle américaine

Pensés et promus comme les outils numériques d’une forme de dissidence vis-à-vis des institutions politiques et économiques, Bitcoin et les crypto-actifs sont aujourd’hui des thématiques de choix pour les hommes politiques en campagne pour se positionner à la tête de ces mêmes institutions. Un paradoxe saisissant qui illustre la trajectoire de ces objets dans le champ de la politique, où ils occupent une fonction stratégique de premier plan : contribuer à ré-arrimer le capitalisme numérique, et par extension le capitalisme américain, à la droite de l’échiquier politique. Car l’objectif de la néo-réaction 3.0 est de purger le capitalisme numérique américain de sa dimension libérale-progressiste, jugée trop « woke » sur le plan sociétal[1] et trop chevillée aux institutions gouvernementales sur le plan économique. Pour y parvenir, l’élite technophile des milliardaires de la Silicon Valley finance massivement les candidats alignés sur cet agenda réactionnaire, versant volontiers dans le populisme.

Début juin 2023, le gouverneur républicain de Floride, Ron de Santis, annonce sa candidature à l’investiture du Grand old party pour l’élection présidentielle de 2024 à l’occasion d’un Twitter Space chaotique piloté par le capital-risqueur David Sacks. Ce dernier a été l’acolyte de Peter Thiel à l’université Stanford et a co-signé avec ce dernier un manifeste raciste et misogyne destiné à critique le multiculturalisme sur les campus américains[2]. À l’occasion de l’échange avec David Sacks, Ron De Santis balaye une partie de ses propositions pour une économie libérée de la tutelle de l’État fédéral, et il ne manque pas de souligner à plusieurs reprises sa sympathie à l’égard de Bitcoin et de ses détenteurs. « Comme président, je vous garantis que je protégerai votre liberté de posséder des bitcoins », martèle Ron de Santis. Avant de signifier son rejet de l’esprit « woke », qui gangrène selon lui le camp démocrate américain. Un discours aux accents réactionnaires que l’on retrouve, sans surprises, chez d’autres candidats républicains, à l’instar de l’entrepreneur « anti-woke » Vivek Ramaswamy[3], et de Francis X. Suarez, maire de Miami, une municipalité qu’il a propulsée au rang de « capitale mondiale du Bitcoin ». Fervents avocats de cet actif numérique dérégulé, ils acceptent les donations en bitcoins pour financer leurs campagnes à l’investiture républicaine.

Ce virage vers la droite, très marqué dans le camp conservateur, est aussi perceptible au sein d’une partie du camp démocrate aux États-Unis, dont certains des représentants ont pris des positions très favorables à l’industrie des crypto-actifs. Ainsi, le démocrate libéral et pro-marché Andrew Yang appelle à « changer la politique de Washington grâce aux DAO », ces formes d’organisations numériques au sein desquelles la gouvernance s’opère de manière supposément décentralisée grâce à des tokens numériques[4]. Un appel de pied en direction de l’industrie des crypto-actifs que l’on retrouve de manière encore plus affirmée chez le candidat à l’investiture démocrate Robert F. Kennedy Junior. Intervenant à l’occasion de la grande messe annuelle de la communauté Bitcoin étasunienne, la Bitcoin 2023 Conference de Miami, ce dernier insiste sur le lien indéfectible « qui unit Bitcoin à la démocratie et à la liberté », ainsi que sur le rôle de l’innovation pour sanctuariser ces deux principes. Robert F. Kennedy Junior assure également qu’en tant que futur président potentiel, il rendra « inviolable » le droit de posséder des bitcoins[5].

Et de préciser qu’il acceptera les dons en bitcoins pour financer sa campagne, s’octroyant ainsi une longue ovation du public présent à la conférence. Depuis, le neveu de John Fitzgerald et de Ted Kennedy a suscité la polémique pour des propos complotistes et « anti-vaxx » tenus lors de deux entretiens avec des figures de l’alt-right américaine, Jordan Peterson et Joe Rogan[6]. Le fait qu’il accepte les invitations de ces deux personnalités, connues pour leurs thèses réactionnaires, racistes et populistes, suscite l’émoi d’une partie des observateurs de la gauche américaine qui accusent le candidat à l’investiture démocrate de donner de la visibilité à l’agenda politique de l’extrême-droite[7]. Quelques jours plus tard, il annonce sa venue au très conservateur congrès Mom for Liberty, un mouvement de l’alt-right centré sur les questions sociétales et familiales.

Le soutien ostensible de certains des milliardaires de la tech à ce candidat démocrate pro-Bitcoin, à l’instar d’Elon Musk ou Jack Dorsey, le fondateur de Twitter, qui affichent l’un comme l’autre des positions libertariennes assumées, est le signe, pour certains observateurs, d’une tentative d’arraisonnement du Parti Démocrate par la droite réactionnaire. L’objectif ? Entraver la réélection possible de Joe Biden en accordant du crédit et un soutien financier substantiel à l’un de ses principaux opposants[8].

Les prises de positions pro-Bitcoin s’inscrivent sur un arc idéologique large, allant de l’aile droite du Parti Démocrate au Parti Républicain. Elles s’ancrent toutefois de manière beaucoup plus évidente dans le discours de l’ultradroite américaine, l’alt-right. Mouvement protéiforme qui rassemble tout ce que l’Amérique compte de penseurs réactionnaires et de politiciens populistes, l’alt-right a depuis longtemps adoubé l’industrie des crypto-actifs, en particulier Bitcoin, une « monnaie » que Richard Spencer, suprémaciste blanc, qualifie de « nativement d’extrême-droite ». Quant à Steve Bannon, ancien stratège de Donald Trump, il s’inscrit en faux contre le mépris affiché par ce dernier à l’encontre de Bitcoin et des crypto-actifs. À l’inverse de l’ancien président des États-Unis, Steve Bannon a très tôt vu dans Bitcoin l’opportunité de « catalyser une révolution populiste mondiale », ainsi qu’il le confiait en 2019.

Qu’en est-il en France ? Les hommes politiques ouvertement favorables à Bitcoin et aux crypto-actifs se recrutent dans les rangs du parti présidentiel, Renaissance, mais aussi, et surtout, chez les thuriféraires national-populistes de l’ultradroite française. En témoigne les prises de position pro-crypto d’un Éric Zemmour lors de la campagne présidentielle de 2022, mais aussi le virage de Marine Le Pen qui, après avoir pris position contre Bitcoin en 2017, souhaite désormais réguler ce marché dans des termes favorables au capital. Le même mouvement de conversion à la loi de la crypto semble s’opérer au sein de la droite souverainiste la plus orthodoxe, à l’instar de celui de Florian Philippot, eurodéputé transfuge du Rassemblement National à la tête du parti Les Patriotes, qui affiche sa sympathie à l’égard des crypto-actifs dans une vidéo enregistrée en décembre 2022 avec le collectif Sortie de Banque[9]. Une trajectoire que l’on retrouve encore chez le financier ultra-conservateur Charles Gave, un temps soutien d’Éric Zemmour, qui se prend désormais à faire la promotion de Bitcoin et reçoit dans le cadre de la chaîne YouTube de son think tank, l’Institut des libertés dirigé par sa fille Emmanuelle Gave, deux des promoteurs les plus actifs de Bitcoin en France, Sébastien Gouspillou et Alexandre Stachtchenko.

Faut-il voir dans cette connivence un symbole de cette « orange pill »[10] que les plus fervents promoteurs de Bitcoin entendent faire avaler le plus largement possible, afin d’accélérer l’adoption mondiale de cet actif numérique ? L’attelage a pourtant de quoi surprendre. Des patriotes et des souverainistes qui s’affichent en soutien d’une monnaie apatride et acéphale, hostile à l’État ! Si elle paraît suspecte de prime abord, cette rencontre signale toutefois l’alliance de deux formes de réaction, celle économique et sociale incarnée par l’ultradroite et celle propulsée par le code incarné par Bitcoin et les cryptos. Elle accrédite également l’hypothèse d’une instrumentalisation politique de Bitcoin et des cryptos pour accélérer le mouvement de droitisation du capitalisme à l’échelle mondiale.

Bitcoin, la réaction inscrite dans le code

L’histoire intellectuelle de Bitcoin, l’un des premiers crypto-actifs, celui que ses promoteurs présentent comme le plus robuste, tant sur le plan technique qu’économique, naît d’une hybridation singulière, qui est elle-même le produit d’un contexte historique. Au début des années 1990, alors que la Guerre Froide imprime sa marque sur les relations entre Est et Ouest, un petit groupe de militants du cyberespace composé de cryptographes, de spécialistes de haut-vol de l’informatique et de hackers entame une lutte contre les agences gouvernementales américaines au nom de la protection des libertés numériques. Comme le titre le magazine Wired, bible de la Silicon Valley, en 1993, ces « crypto-rebelles » ont une cause : « votre vie privée ».

Les Cypherpunks, ainsi qu’ils se surnomment, nouent très tôt des alliances avec la frange libertarienne de la droite américaine auprès de laquelle ils trouvent des ressources pour penser la mise en œuvre de leur projet politique : faire société en dehors des États et des gouvernements, en puisant dans Internet et la cybernétique les moyens de réinventer les principales institutions sociales, dans le sens de la liberté absolue et du primat de l’individu sur le collectif. La monnaie leur apparaît comme un outil fondamental pour réaliser ce projet. Pour cela, il faudra la rendre numérique et l’isoler absolument de toute forme d’intervention par une autorité centralisatrice, ainsi que le suggèrent les principes économiques associés au libertarianisme. Ce mariage entre la cybernétique et le libertarianisme politique accouche d’un courant politique : le cyberlibertarianisme.

Comme le souligne Langdon Winner dès 1997, cette matrice d’idées devient rapidement hégémonique au sein de la Silicon Valley et du secteur des nouvelles technologies. Son système de valeurs « combine un enthousiasme extatique pour l’intermédiation permise par les nouvelles technologies avec un logiciel de pensées venu de la droite radicale libertarienne, en particulier sur les sujets relatifs à la liberté, à la vie sociale, l’économie et la politique. » La très grande défiance exprimée à l’égard des gouvernements et de la supervision par des institutions, qu’elles soient politiques ou financières, rejoint également les principes d’un autre courant de pensée radical, arrimé au flanc le plus conservateur du libertarianisme : l’anarcho-capitalisme.

Porté par des figures intellectuelles comme Murray Rothbard, David Friedman et des organisations comme les très conservatrices Cato Institute, Mises Institute ou encore Heartland Foundation, cette doctrine trouve un écho chez les premiers parrains de Bitcoin. De fait, les pionniers du mouvement cypherpunks se revendiquent très tôt de ce mouvement de droite radicale. En 1994, Timothy C. May affirme ainsi que « la crypto-anarchie est la mise en œuvre dans le cyberespace de l’anarcho-capitalisme.[11] » Rentier de la société Intel, dont il a été l’un des premiers employés, Timothy C. May pose les jalons de la matrice intellectuelle de Bitcoin, avec d’autres théoriciens comme David Chaum, John Gilmore, Éric Hughes ou John Perry Barlow.

À partir de 2008, Bitcoin devient un outil de choix pour véhiculer ces préceptes. Brutale et lourde de conséquences pour les économies, la crise financière et bancaire qui frappe les États-Unis et l’Europe, vient réactiver chez ces militants du cyberespace le besoin impérieux d’extraire la monnaie du contrôle absolu qu’exercent sur elles les gouvernements et les banques centrales. Le sauvetage de grandes banques systémiques par des gouvernements, aux États-Unis et en Europe, ulcère certains cypherpunks qui y voient le signe de la décadence du système financier mondial, et de la collusion des États avec cette finance mortifère. De cette réaction naît Bitcoin à l’automne 2008. Pour penser la monnaie et son rôle dans la société, les cypherpunks se réfèrent à un logiciel techno-réactionnaire. Pour eux, la main froide du robot algorithmique est plus efficace et impartiale pour gouverner la société qu’un banquier ou un politicien corrompu. Car, contrairement à ces derniers, le code ne sera pas tenté par l’appât du gain et ne cèdera pas à la pression politique.

Couplée à la croyance dans la fonction auto-régulatrice des marchés et la nécessité de substituer aux institutions démocratiques une gouvernance par le marché dirigée par du code, cette vision du monde techno-utopiste et réactionnaire forme l’armature politico-économique de Bitcoin.

L’universitaire David Golumbia est l’un des premiers à mettre en évidence les soubassements politiques réactionnaires de la technologie Bitcoin, dans son essai The Politics of Bitcoin, Software as Right-Wing Extremism (2016). Un raisonnement que l’on peut appliquer, sur des questions relatives à la gouvernance et à la gestion du consensus, à d’autres blockchains comme Ethereum[12]. Depuis, les mythes associés au crypto-actif Bitcoin – résistance à la censure, immutabilité, décentralisation et élimination du principe de confiance – ont fait l’objet d’un examen attentif par des universitaires qui les ont patiemment démontés, un par un.

Les travaux de Gili Vidan et Vili Lehdonvirta, de l’université d’Oxford[13], mettent en évidence les multiples interventions humaines qui ont émaillé l’histoire de Bitcoin, discréditant l’hypothèse qu’une monnaie numérique perfusée aux mathématiques et au code pourrait effectivement remplacer le facteur humain dans la gestion d’une institution collective comme la monnaie, et soulignant que Bitcoin n’est, de ce fait, pas un rempart infaillible contre la censure. La dialectique entre la promesse de décentralisation du réseau pair-à-pair, et la réalité d’un registre distribué au cœur duquel les transactions sont en réalité centralisées par le jeu d’écriture numérique, est très bien analysée par le chercheur Pablo Rauzy, enseignant à l’université Paris 8[14].

Une critique que l’on retrouve, dès 2014, sous la plume de Michael Bauwens[15], président de la P2P Foundation, qui souligne que les technologies distribuées ne renforcent pas nécessairement la redistribution effective, et peuvent parfois conduire à une recentralisation encore plus autoritaire. C’est, selon lui, le cas avec la blockchain de Bitcoin qui conduit à une concentration du pouvoir dans les mains de quelques acteurs-clés, les mineurs et pools de minage par exemple, qui capturent l’essentiel de la valeur qui circule sur le réseau. Pour le chercheur belge, Bitcoin repose sur un modèle économique « hypercapitaliste » qui réactualise des principes de gouvernance néo-féodaux, il parle de Netarchical Capitalism[16]. Sur le plan politique, enfin, Jon Baldwin analyse le trope réactionnaire contenu dans la fétichisation du réseau associée à Bitcoin, dont l’un des axes de pensée est qu’un processus algorithmique pourrait assurer la gouvernance des sociétés de manière plus effective que des institutions démocratiques collectives[17]. Un discours qui, sur le plan économique, s’appuie sur une critique unilatérale de l’action des banques centrales, dont Charles Goodhart et Rosa Lastra[18] retracent les origines politiques, en mettant en lumière la forte coloration populiste qui teinte cette vision.

Or, pour les promoteurs de Bitcoin et des cryptos, ces outils serviraient à se passer des institutions financières, en premier lieu les banques centrales, accusées d’orchestrer une inflation forte de manière à spolier le peuple de sa richesse. Une panique morale entretenue par des figures de la crypto-industrie, à l’instar de Balaji Srinivisan ou Jack Dorsey qui agitent le chiffon rouge d’une « hyperinflation » à même de déstabiliser durablement le leadership économique des États-Unis. Pour eux, les cryptos, Bitcoin en particulier, serviraient de rempart pour se prémunir de ce chaos économique imminent. Ce parti-pris idéologique populiste, visant à diaboliser l’action des banques centrales se trouve donc réactivé et naturalisé par les crypto-actifs qui servent ainsi de chevaux de Troie pour faire voyager dans le débat public des idées nées au cœur de la droite réactionnaire.

Ainsi, loin d’être objets technologiques neutres, supports agnostiques d’usages variant en fonction des intentions des usagers, Bitcoin et les crypto-actifs sont en réalité les véhicules d’une vision du monde qui accompagne et catalyse le mouvement de droitisation du secteur des nouvelles technologies. Ces technologies symbolisent un nouvel esprit du capitalisme numérique, dorénavant réactionnaire et populiste.

NDLR : Nastasia Hadjadji a récemment publié No Crypto. Comment Bitcoin a envoûté la planète aux éditions Divergences.


[1] Le 12 décembre 2022, Elon Musk, nouveau patron de Twitter, se fend d’un tweet dans lequel il appelle à « éliminer le virus de la pensée woke ».

[2] David O. Sacks et Peter Thiel, « The Diversity Myth: Multiculturalism and the Politics of Intolerance at Stanford », The Independent Institute, 1995.

[3] Vivek Ramaswamy est l’auteur de plusieurs essais qui dénonce « l’idéologie woke » et sa pénétration supposée au coeur des entreprises américaines, dont Woke, Inc : Inside Corporate America’s Social Justice Scam, Center Street, 2021.

[4] Jeff John Roberts, « How Andrew Yang Aims To change Washington with A DAO », Decrypt.co, mars 2022.

[5] La présentation de Robert F Kennedy Jr à la Bitcoin 2023 Conférence de Miami est disponible en intégralité sur YouTube.

[6] L’interview de Robert F Kennedy Jr avec Jordan Peterson a depuis été retirée de YouTube, une action de la plateforme interprétée comme de la censure par les militants de l’alt-right. Celle enregistrée avec l’animateur Joe Rogan est encore disponible.

[7] « Robert Kennedy Jr., With Musk, Pushes Right-Wing Ideas and Misinformation », New York Times, juin 2023.

[8] Jacob Silverman, « What the Powerful Men Boosting Robert F. Kennedy Jr. Really Want », Slate, 2023.

[9] « Cryptomonnaies, Euro numérique, FTX : « Une énorme révolution ! » (entretien avec Florian Philippot) », la vidéo est disponible sur la plateforme YouTube.

[10] En référence au film Matrix dans lequel le héros doit choisir entre la « red pill », qui symbolise la prise de conscience et la volonté de voir le réel sous un jour radicalement neuf, et la « blue pill » symbole du déni face à ce réel et de refus du pouvoir transformateur de l’action individuelle, les bitcoiners les plus zélés entendent proposer une alternative entre une « orange pill », qui marque la conversion à Bitcoin, symbolisé par son logo orange, et une « blue pill » qui marquerait l’assujettissement volontaire au système bancaire et financier traditionnel.

[11] Timothy C. May, « Crypto Anarchy and Virtual Communities », 1994.

[12] Ann Brody et Stéphane Couture, « Ideologies and Imaginaries in Blockchain Communities : The Case of Ethereum », Canadian Journal of Communication, 2021.

[13] Gili Vidan & Vili Lehdonvirta, « Mine the Gap : Bitcoin and the Maintenance of Trustlessness », New Media & Society, 2021.

[14] Pablo Rauzy, « Promesses et (des)illusions : une introduction technocratique aux blockchains », 2023

[15] Michael Bauwens, « A political evaluation of Bitcoin », blog de la P2P Foundation, 2014.

[16] Vasilis Kostakis et Michel Bauwens, « Netarchical Capitalism », Network Society and Future Scenarios for a Collaborative Economy, 2014.

[17] Jon Baldwin, « In digital we trust: Bitcoin discourse, digital currencies, and decentralized network fetishism », Nature, 2018.

[18] Charles Goodhart et Rosa Lastra, « Populism and Central Bank Independence »,Open Economies Review, 2017.

Nastasia Hadjadji

Journaliste, Spécialiste des enjeux socio-économiques et politiques du numérique, collaboratrice du Monde, les Échos, Usbek&Rica, Numerama et L’ADN

Mots-clés

Capitalisme

Notes

[1] Le 12 décembre 2022, Elon Musk, nouveau patron de Twitter, se fend d’un tweet dans lequel il appelle à « éliminer le virus de la pensée woke ».

[2] David O. Sacks et Peter Thiel, « The Diversity Myth: Multiculturalism and the Politics of Intolerance at Stanford », The Independent Institute, 1995.

[3] Vivek Ramaswamy est l’auteur de plusieurs essais qui dénonce « l’idéologie woke » et sa pénétration supposée au coeur des entreprises américaines, dont Woke, Inc : Inside Corporate America’s Social Justice Scam, Center Street, 2021.

[4] Jeff John Roberts, « How Andrew Yang Aims To change Washington with A DAO », Decrypt.co, mars 2022.

[5] La présentation de Robert F Kennedy Jr à la Bitcoin 2023 Conférence de Miami est disponible en intégralité sur YouTube.

[6] L’interview de Robert F Kennedy Jr avec Jordan Peterson a depuis été retirée de YouTube, une action de la plateforme interprétée comme de la censure par les militants de l’alt-right. Celle enregistrée avec l’animateur Joe Rogan est encore disponible.

[7] « Robert Kennedy Jr., With Musk, Pushes Right-Wing Ideas and Misinformation », New York Times, juin 2023.

[8] Jacob Silverman, « What the Powerful Men Boosting Robert F. Kennedy Jr. Really Want », Slate, 2023.

[9] « Cryptomonnaies, Euro numérique, FTX : « Une énorme révolution ! » (entretien avec Florian Philippot) », la vidéo est disponible sur la plateforme YouTube.

[10] En référence au film Matrix dans lequel le héros doit choisir entre la « red pill », qui symbolise la prise de conscience et la volonté de voir le réel sous un jour radicalement neuf, et la « blue pill » symbole du déni face à ce réel et de refus du pouvoir transformateur de l’action individuelle, les bitcoiners les plus zélés entendent proposer une alternative entre une « orange pill », qui marque la conversion à Bitcoin, symbolisé par son logo orange, et une « blue pill » qui marquerait l’assujettissement volontaire au système bancaire et financier traditionnel.

[11] Timothy C. May, « Crypto Anarchy and Virtual Communities », 1994.

[12] Ann Brody et Stéphane Couture, « Ideologies and Imaginaries in Blockchain Communities : The Case of Ethereum », Canadian Journal of Communication, 2021.

[13] Gili Vidan & Vili Lehdonvirta, « Mine the Gap : Bitcoin and the Maintenance of Trustlessness », New Media & Society, 2021.

[14] Pablo Rauzy, « Promesses et (des)illusions : une introduction technocratique aux blockchains », 2023

[15] Michael Bauwens, « A political evaluation of Bitcoin », blog de la P2P Foundation, 2014.

[16] Vasilis Kostakis et Michel Bauwens, « Netarchical Capitalism », Network Society and Future Scenarios for a Collaborative Economy, 2014.

[17] Jon Baldwin, « In digital we trust: Bitcoin discourse, digital currencies, and decentralized network fetishism », Nature, 2018.

[18] Charles Goodhart et Rosa Lastra, « Populism and Central Bank Independence »,Open Economies Review, 2017.