Théâtre

Marivaudage d’époque

Critique

À l’heure où de nombreuses voix en appellent à un révisionnisme culturel, mettons nos classiques à l’épreuve des débats contemporains. Premier appelé : Marivaux et son « Petit-maître corrigé », actuellement mis en scène par Clément Hervieu-Léger à la Comédie-Française.

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Généralement préservées des attaques par leur statut de classique, encensées et recluses dans leur écrin d’intemporalité, souvent protégées des remous du monde contemporain comme par un verre isolant, les grandes œuvres du patrimoine font pourtant l’objet ces derniers temps de remises en causes, de dénonciations, d’incriminations scandalisées et grandement actuelles : ainsi le film Blow-Up d’Antonioni est-il jugé « irrecevable » pour cause de violences sur les femmes ; ainsi une toile évidemment perverse de Balthus, Thérèse rêvant, est-elle menacée d’être soustraite au regard des visiteurs du Metropolitan Museum pour avoir jeté un regard ouvertement sexualisé sur le monde de l’enfance. Certains crient au « révisionnisme culturel » et dénoncent une censure de la bien-pensance. D’autres voient la nécessité de remettre en cause l’idée même d’un « patrimoine » accusé d’être le soft power ancestral de la domination masculine, et entendent mettre au jour les préjugés, par exemple racistes ou sexistes, qui ont favorisé l’élection de certains chefs-d’œuvre. Somme toute, il ne s’agit rien moins que de vouloir ébranler les consciences en venant secouer les piliers que sont nos monuments culturels.

Mais avant de devoir les jeter aux oubliettes d’une nouvelle histoire culturelle, et sans vouloir non plus les remiser au placard doré de l’intemporalité universelle, il semble judicieux de simplement demander aux classiques ce qu’ils peuvent encore avoir à nous dire, de les faire descendre dans l’arène publique, de « frotter et limer nos cervelles contre les leurs », dirait Montaigne : non pas tant pour voir comment ils se défendent, mais surtout pour nous mettre nous-mêmes à l’essai.

 Les classiques ont gagné avec le temps une longueur d’onde qui complexifie considérablement les débats dans lesquels nous les convions.

Commençons donc par Marivaux. Son œuvre a déposé l’image, voire le stéréotype, d’une femme joueuse, absolument coquette, dont la légèreté est inhérente


Jean-Max Colard

Critique, Responsable du service de la parole au Centre Pompidou, commissaire d’exposition et spécialiste de littérature française contemporaine