Cinéma

Penser « avec » Fukushima grâce au cinéma

Chercheuse en philosophie du cinéma

Sept ans après la catastrophe, impossible encore de penser un « après » Fukushima pour les Japonais : il s’agit bien plutôt de penser un « avec ». Trois films, actuellement visibles en salles ou sur la plateforme Tënk, en témoignent. Ces productions nous permettent de percevoir ce que nous manquons ordinairement, et notamment les nouvelles « formes de vie » mais aussi de résistance qu’impliquent le fait de vivre avec les radiations.

Le temps habille d’oubli la catastrophe nucléaire de Fukushima. Le temps… et le gouvernement de Shinzo Abé, qui a promis au comité olympique que la centrale accidentée de Fukushima était «  sous contrôle » pour obtenir les Jeux à Tokyo. Aucune zone ne doit plus être interdite au Japon en 2020. L’objectif est clair : décontaminer, réhabiliter, et… faire oublier les centaines de milliers de personnes déplacées (160.000 évacués parfois volontaires en 2016, 92 000 réfugiés des zones d’évacuations), les terres abandonnées, inhabitables. Car les faits sont têtus. Voilà sept ans que des milliers de familles vivent éparpillées, loin de chez elles, dans la peur des retombées sanitaires des radiations, en particulier du cancer de la thyroïde et des anomalies génétiques et congénitales. Les ravages sur l’économie de la région sont impressionnants : tourisme, commerce, agriculture. 8% du territoire japonais est contaminé à divers degrés (air, terre, eau).

 

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Et pourtant nous nous accoutumons à l’idée de vivre dans un état de catastrophe continuée, dans un « temps de la fin » ou du délai infini (pour le dire avec Günther Anders) qui n’ouvre pas d’autre « après » que celui de la fin. « Toutes les victimes de Fukushima ne sont pas encore nées » résume Ulrich Beck dans le film de Kenichi Watanabé, Le monde après Fukushima (2013). Dans ce contexte, impossible de penser un « après » Fukushima, son dépassement. D’ailleurs, sur place, le démantèlement de la centrale et la décontamination ne font que commencer, et ils s’accompagnent de graves inquiétudes pour la santé des travailleurs comme des populations invitées au « retour ».

Dans ce contexte, le cinéma de Fukushima (les films qui ont accompagné la catastrophe depuis ses premiers temps) a pris une inflexion nouvelle. Trois films, visibles dans les prochains jours aux quatre coins de la France ou sur Internet (grâce à la plateforme Tënk) montrent qu’il nous faut « penser avec Fukushima », au présent, comme le propose le rem


[1] Penser avec Fukushima, dirigé par C. Doumet et M. Ferrier, Editions nouvelles Cécile Defaut, 2016.

[2] Voir Le cinéma nous rend-il meilleurs ? de S. Cavell, Bayard, 2010.

[3] Voir « La saison des docteurs Folamour du nucléaire est ouverte », de C. Asanuma-Brice, Libération, 20 février 2018. Et Le crime du lobby nucléaire international, de Tchernobyl à Fukushima de Kolin Kobayashi, Éditions Ibun-sha, 2013.

[4] Le Couvercle du soleil a été projeté mardi 12 mars à 18h au Cinéma 7 Parnassiens (Paris), en présence de M. Naoto Kan et M. Tamiyoshi Tachibana (producteur exécutif).

[5] « Kiyoshi Kurosawa. Il nous faudra faire notre procès de notre responsabilité dans Fukushima », entretien avec Julien Gester, Libération 23 mai 2013.

[6] Voir notre Fukushima en cinéma. Voix du cinéma japonais / Fukushima in Film. Voices from Japanese Cinema, Presses de l’Université de Tokyo, 2015, recueil d’entretiens avec Ko Sakai et Ryusuke Hamaguchi, Makoto Shinozaki, Atsushi Funahashi, Kazuhiro Soda, Philippe Rouy, suivi d’une analyse d’E. Domenach.

[7] Le 4 mars au Cinéma Apollo de Valence d’Agen (2, 5km de Golfech) et le 5 mars, au Nouveau Bleu à Beaumont-de-Lomagne (40km de Golfech).

[8] Voir « L’inhabitat » de François Bizet, in Penser avec Fukushima, op.cit.

[9] La Terre abandonnée sera projeté le 18 mars à 11h au parc culturel Michel Chartier de Rentilly (dans le cadre d’une projection Hors les murs du Festival International ethnographique Jean Rouch), et le 11 mai 2018 à 20h30 au Ciné Club Perche Rémalardais. Le film a également été projeté par Documentaire sur grand écran dans une vingtaine de salles bretonnes en novembre 2017 dans le cadre du Mois du documentaire ; une tournée en forme d’hommage au cinéaste, décédé dans les attentats de Bruxelles en mars 2016.

[10] Voir Antonio Pagnotta, Le dernier homme de Fukushima, Seuil, 2013.

[11] « Films-catastrophe et cinéma du désastre » in Critique, 2012/8 (n° 783-784)

Remerciements à Kolin Kobayashi, distributeur français de Le Couv

Élise Domenach

Chercheuse en philosophie du cinéma, Maître de conférences en études cinématographiques à l'ENS de Lyon

Mots-clés

Nucléaire

Notes

[1] Penser avec Fukushima, dirigé par C. Doumet et M. Ferrier, Editions nouvelles Cécile Defaut, 2016.

[2] Voir Le cinéma nous rend-il meilleurs ? de S. Cavell, Bayard, 2010.

[3] Voir « La saison des docteurs Folamour du nucléaire est ouverte », de C. Asanuma-Brice, Libération, 20 février 2018. Et Le crime du lobby nucléaire international, de Tchernobyl à Fukushima de Kolin Kobayashi, Éditions Ibun-sha, 2013.

[4] Le Couvercle du soleil a été projeté mardi 12 mars à 18h au Cinéma 7 Parnassiens (Paris), en présence de M. Naoto Kan et M. Tamiyoshi Tachibana (producteur exécutif).

[5] « Kiyoshi Kurosawa. Il nous faudra faire notre procès de notre responsabilité dans Fukushima », entretien avec Julien Gester, Libération 23 mai 2013.

[6] Voir notre Fukushima en cinéma. Voix du cinéma japonais / Fukushima in Film. Voices from Japanese Cinema, Presses de l’Université de Tokyo, 2015, recueil d’entretiens avec Ko Sakai et Ryusuke Hamaguchi, Makoto Shinozaki, Atsushi Funahashi, Kazuhiro Soda, Philippe Rouy, suivi d’une analyse d’E. Domenach.

[7] Le 4 mars au Cinéma Apollo de Valence d’Agen (2, 5km de Golfech) et le 5 mars, au Nouveau Bleu à Beaumont-de-Lomagne (40km de Golfech).

[8] Voir « L’inhabitat » de François Bizet, in Penser avec Fukushima, op.cit.

[9] La Terre abandonnée sera projeté le 18 mars à 11h au parc culturel Michel Chartier de Rentilly (dans le cadre d’une projection Hors les murs du Festival International ethnographique Jean Rouch), et le 11 mai 2018 à 20h30 au Ciné Club Perche Rémalardais. Le film a également été projeté par Documentaire sur grand écran dans une vingtaine de salles bretonnes en novembre 2017 dans le cadre du Mois du documentaire ; une tournée en forme d’hommage au cinéaste, décédé dans les attentats de Bruxelles en mars 2016.

[10] Voir Antonio Pagnotta, Le dernier homme de Fukushima, Seuil, 2013.

[11] « Films-catastrophe et cinéma du désastre » in Critique, 2012/8 (n° 783-784)

Remerciements à Kolin Kobayashi, distributeur français de Le Couv