Pourquoi la poésie en des temps obscurs

« Wozu Dichter in dürftiger Zeit? » [« À quoi bon des poètes en des temps de détresse? »]
« In den finsteren Zeiten Wird da auch gesungen werden? Da wird auch gesungen werden. Von den finsteren Zeiten. » [« Dans les sombres temps/Est-ce qu’on chantera aussi ?/Oui, on chantera aussi. / A propos des sombres temps. »].
Ils sont deux à avoir posé la question en termes similaires, tous deux en langue allemande mais à des périodes différentes (Hölderlin en 1800 et Brecht en 1939), comme quoi la question vaut d’être posée encore et encore. Et encore à notre époque. Son intérêt est d’obliger à une double définition, portant et sur la poésie et sur les temps obscurs (sombres ou de détresse). Sur ceux-là, Brecht donne une réponse dans un autre poème, le célèbre « A ceux qui naîtront après », ce sont les temps où « une conversation au sujet des arbres est presque un crime/Puisque cela recouvre de silence tant de méfaits ». A l’en croire, les temps obscurs sont ceux où la poésie n’aurait plus le droit de se faire entendre, par délit d’obscénité en regard de la famine ou de l’injustice. D’où une déduction : la poésie comme indice en négatif des temps obscurs.
Hypothèse hésitante, vaguement tautologique, qui pousse à tenter d’y voir plus clair dans les temps obscurs. Les sombres temps d’Hölderlin renvoyaient à la crise des valeurs, notamment spirituelles, emportant l’Occident depuis la Révolution française, ceux de Brecht sont plus directement ténébreux, le nazisme qui l’a fait fuir au Danemark. Et les nôtres – en France ? Si notre présent n’accuse pas de telles noirceurs, il ne revêt pas non plus d’éclatantes couleurs, terni par les tensions sociales, les déchirures républicaines, la crainte du terrorisme, le drame migratoire. En outre, il semblerait que dans notre ère d’individualisme, de consumérisme et de rentabilité, la gratuité de la poésie s’apparente à une coupable futilité.
Pourtant, la poésie est en France active : la vingtième édition (3-19 mars) du Printemps des