Littérature

«BettieBook», une vraie lectrice (pas comme les critiques)

Professeur de littérature et d'histoire des médias

Avec BettieBook, Frédéric Ciriez offre un roman hilarant et un diagnostic d’une grande lucidité sur le milieu littéraire contemporain, à coups de revenge porn, d’économie de l’attention et de vidéos YouTube. Le vieux monde de la critique professionnelle y fait face, désarmé, à celui nouveau du numérique, incarnée par d’un côté un critique quadra du Monde des Livres, et de l’autre l’@mazone proche de ses lectrices…

Le roman de Frédéric Ciriez s’ouvre sur les funérailles de Norman, transmises en boucle sur sa propre chaîne YouTube, près de cent quarante ans après celles de Victor Hugo, qui furent nationales. Pour Norman, il y a 120 millions d’usagers qui regardent, quasiment tout le monde francophone. Pour Victor Hugo il n’y avait que le bon peuple de Paris, et donc il n’y a pas photo –  à l’âge de la vidéo numérique, c’est d’ailleurs normal qu’il n’y en ait pas. Monsieur littérature nationale est enfoncé, la star de YouTube l’emporte haut la main, et en plus il n’est même pas mort, ce n’était qu’un sketch, le voilà qui ressuscite.

La scène est programmatique, même si on n’en apprendra pas plus sur Norman. Elle plante non seulement le décor mais établit les rapports de force entre l’ancien et le nouveau, qui sont au cœur du roman de Ciriez. À ma droite, c’est-à-dire du côté du vieux monde, Stéphane Sorge, dont l’activité professionnelle la plus avouable est pigiste au Monde des livres. Il tient également quelques chroniques par-ci par-là, il tapine sous un pseudo pour un magazine féminin, pour quelques jurys de prix littéraires assez secondaires, et pour Amazon tant que l’entreprise a maintenu la fiction de conseils venus de professionnels plutôt que de ses algorithmes. Sorge est aussi un pseudo, qui doit ce qu’il doit au Maurice Blanchot du Très-Haut ou à Martin Heidegger, qui conseillait en des temps révolus à ses lecteurs de se faire du souci. À ma gauche, du côté du nouveau monde dont on ne sait pas encore s’il sera le meilleur ou le pire, Bettie, la booktubeuse qui monte, spécialisée en dystopies, ça tombe bien. Pour l’instant elle travaille dans un institut de beauté à Melun, mais elle en veut, elle est en phase avec la contemporaine économie de l’attention, elle fait ce qu’il faut pour s’y imposer, elle est comme un poisson dans l’eau du spectacle numérique. D’ailleurs elle parle beaucoup plus le spectacle que le français.

BettieBook est un roman parfaitement hilarant,


Vincent Kaufmann

Professeur de littérature et d'histoire des médias, MCM-Institute de l’Université de St. Gall, Suisse

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