Littérature

La poésie fait le mur – à propos d’Emmanuèle Jawad

Chercheur en littérature et sciences sociales

Le courant textualiste en poésie serait désormais derrière nous, en témoigne l’œuvre d’Emmanuèle Jawad, aujourd’hui complétée par Carnets de murs. Renouant avec le message militant et engagé de la poésie moderne, le texte devient à « une écriture plastique de l’exil » pour sublimer le grand drame de notre siècle : les espoirs des populations déplacées douchés par des kilomètres de murailles.

Selon Emmanuèle Jawad, la poésie doit faire le mur… pour mieux voir – dans la mesure et la démesure… Depuis Faire le mur, précisément (2015), elle allie poétique et politique : montages et télescopages dénoncent une société de flux qui n’est libérale que pour les capitaux ; pour les dominés et déclassés, ce ne sont que murs, barrières et frontières… Suite à En vigilance extérieure (2017), en cet automne 2018, [Carnets de murs] constitue le dernier volet du triptyque géopoétique publié aux éditions Lanskine.

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Dans ses Déplacements, recueil d’énoncés dénonciateurs, Claude Favre rappelle « l’expérience d’Énée, rêve d’une ville ouverte à tous les étrangers » [1]

L’ « hydre mural », « une construction unilatérale un renforcement sécuritaire », génère des zones interlopes policées et pacifiées : « barrière de clôtures coiffée de métal », « barrière sécuritaire barrière / électronique mur-béton barrière de sable »… « des migrants on recense crânes à l’accroche ronces rouille d’ocre »… Ce dispositif défensif est doté d’un « système de contrôle high tech » : drones, caméras infrarouges, caméras thermiques… « captures sous terre de bruits et de mouvements »… « des outils de contrôle : / (SIS) Système d’Information Schengen / fichier EURODAC (enregistrer les demandes d’asiles) / (VTA) visas de transit aéroportuaires / SIVE : système intégré de vigilance externe sur les côtes »…

« Bienvenue au Mirador, dernier-né d’une idée d’avenir », tel pourrait être le message délivré aux indésirables.

Que veut-on protéger ? Les Intérêts des dominants.

Que veut-on sécuriser ? Les Propriétés – toutes sortes de propriétés.

Logique : les ex-colonisateurs ne veulent pas être colonisés ; l’impérialisme n’est pas un humanisme.

Quel horizon s’en dégage-t-il ? « Le mur ferme la ligne d’un ciel heurte frontal »… Aucun autre horizon que celui de l’ostracisme et du différentialisme : « Une frontière, c’est ce qui permet de séparer une chose d’une autre chose, il faut séparer pour pouvoir


[1] Claude Favre, Crever les toits, etc., suivi de Déplacements (2016), Les Presses du réel, coll. « PLI », octobre 2018, p. 35.

[2] Marina Skalova, Exploration du flux, Seuil, 2018, p. 28.

Fabrice Thumerel

Chercheur en littérature et sciences sociales, Critique fondateur de libr-critique.com

Notes

[1] Claude Favre, Crever les toits, etc., suivi de Déplacements (2016), Les Presses du réel, coll. « PLI », octobre 2018, p. 35.

[2] Marina Skalova, Exploration du flux, Seuil, 2018, p. 28.