Littérature

Le corps de celle qui est restée – sur Les Eaux de Joana, par Valério Romão

Chercheuse en littérature comparée

Les Eaux de Joana est un livre froid, charnel et violent, qui saisit un corps de femme – d’une mère qui ne sera pas – à l’instant où elle perd son fils mort-né et sombre dans la folie. Valério Romão y parvient à saisir la vérité d’un désespoir cru, dans un style cinématographique au rythme troublé qui expose les entrailles de l’hôpital et celles d’un corps brisé. Les premières pages en furent pré-publiées, dans les Fictions d’AOC, le 15 septembre 2019.

C’est un roman qui porte sur le corps d’une femme. Joana, très organisée et méthodique, est enceinte de sept mois de son premier enfant, après plusieurs années de tentatives infructueuses. L’enfant a déjà un prénom, Francisco. Une nuit, la future mère perd les eaux et se rend à l’hôpital avec son mari et sa valise, préparée des semaines auparavant avec minutie. Le récit qui suit est celui de l’impensable, car Francisco ne verra jamais le jour.

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Les Eaux de Joana de Valério Romão, paru au Portugal en 2013 a été publié lors de la dernière rentrée littéraire par l’éditeur Chandeigne, dans une belle traduction de João Viegas. Bien que le noyau de l’intrigue soit suggéré dès les premières pages et se trouve vite confirmé, le récit ne cesse pas de surprendre. Ce qui se raconte est la souffrance extrême et toutes les interventions que subira le corps d’une mère qui perd son bébé et glisse vers la folie. C’est le récit d’une situation-limite, mais celle-ci est poussée jusqu’à ce que tout devienne limite : on narre cet élargissement insupportable, la durée même de la douleur.

Le titre original du roman en portugais, O da Joana, où le pronom démonstratif « o » fonctionne comme une ellipse pour une expression telle que « le petit de Joana », rencontre ici une heureuse traduction en français : Les Eaux de Joana rend compte de la phonétique du titre original et ajoute, outre la sonorité, du sens. Car ce que nous lisons dans le roman est l’accouchement du fils mort-né de Joana, mais aussi le flot confus et perturbateur des pensées de cette femme. Romão semble avoir suivi les indications de James Joyce lorsque celui-ci ouvre son Finnegans Wake avec le célèbre mot inventé « riverrun », une agglutination de « river » (« fleuve ») et « run » (« couler »). Les eaux de Joana, la douleur et l’horreur parvenues dans ce corps de mère qui ne le sera plus, coulent comme un torrent.

Pour ce faire, Valério Romão adopte d’abord un système de narration qui mélange les couches temporel


Gisela Bergonzoni

Chercheuse en littérature comparée, Université d’État de Campinas

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