Exposition

Un ballet mécanique – à propos de la 15e Biennale d’Art contemporain de Lyon

Critique

Assez vite, on décida de les appeler Phagor, plutôt que Fagor. Du grec phagein, manger. Les anciennes usines Fagor, 29000 m2 laissées en l’état avec bureaux, poulies, fosses, rails et autres accueillent une partie de « Là où les eaux se mêlent », 15e Biennale d’art contemporain de Lyon, à la place du bâtiment de la Sucrière. Ce changement de lieu signe aussi un changement de direction à la tête du Musée d’Art Contemporain de Lyon et de la Biennale, avec l’arrivée d’Isabelle Bertolotti et le départ de Thierry Raspail à la retraite.

Comme leur nom l’indique, les usines Phagor phagocytent ce qu’on y installe. Dans cet antre monstrueux réparti en quatre halles, aucune œuvre ne peut survivre si elle n’est pas née de ses entrailles. C’est déjà bien assez dur de disposer des dizaines d’artistes sur un parcours, en les frottant, les croisant, au risque de l’urticaire ou de l’annulation, c’est encore pire lorsque le bâtiment domine tout par l’extraordinaire de son architecture, qu’on n’y a bâti aucune cimaise, que tout est encore vivant et déjà mort. C’est ce qui se passait jusqu’à récemment dans un lieu jumeau : Kanal-Centre Pompidou, à Bruxelles. Dans sa version beta appelée « Kanal-Brut », on n’y voyait rien. À part la cantine, presque identique à celle construite à Fagor. L’expérience de Kanal, c’était parcourir des kilomètres de béton sous de la tôle métallique, et se demander ce qui avait eu lieu dans cet ancien garage Citroën, ce qu’on avait opéré dans telle halle, sur telle voie.

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Un jeu de fantômes. Parfois, au milieu de l’aride promenade surgissait une installation, une sculpture, comme une erreur, regardée de travers par les murs et les bleus de travail disparus. Un constat s’y faisait qu’on reconduit dans les usines Fagor : ce genre de ventre cétacé n’accueille globalement ni la peinture, ni le dessin, ni la photo. Peut y survivre éventuellement, à condition d’investir un bureau ou un vestiaire, une œuvre plus infime, plus conceptuelle, si elle se fait gardienne de la mémoire des lieux. À Bruxelles, c’était avant fermeture celle du Marocain Younes Baba-Ali. À Lyon, c’est le Bureau des Pleurs, à l’entrée de la première et plus grande halle, qui « ventriloque la parole d’habitant.e.s du quartier » et fait entendre le bruit des machines tues. Comme le lieu rend paranoïaque, il nous a semblé que toutes les œuvres allaient au moins par deux (ou plus) et qu’à ces spectres ressuscité du Bureau des Pleurs pouvait faire écho, par exemple, la belle installation de Marie Reinert, constitué


Éric Loret

Critique, Journaliste