Littérature

Et l’Europe sombre, charmante de désuétude – sur Le Continent de la douceur d’Aurélien Bellanger

Critique Littéraire

C’est d’un ton faussement monotone, propre à son auteur, que le métissage d’humour et de mélancolie dessine la trame du roman, métamorphosant l’Europe mal aimée en un paquebot trop lourd mais charmant de désuétude qui sombre en douceur et en silence, sans demander son reste.

Ne serait-ce que pour le chapitre qu’il consacre aux billes, il faut lire Le Continent de la douceur. Après un tel moment de grâce, peu importe les longueurs et les passages abscons du roman. Le temps de quatre pages splendides qui justifient à elles seules le titre du livre, Aurélien Bellanger fait chatoyer les bigarrures de cette « monnaie » de verre de notre enfance volatilisée en se souvenant des sensations visuelles et tactiles qu’elles offraient. Il y avait les « météores, violacées » et les « œils-de-chat, banquises ou amazonies, des billes si précieuses qu’il devient dangereux de les jouer ». Ces noms enchanteurs résonnent avec le prénom du héros du roman, Flavio. Garçon de noble et secrète ascendance, intelligent et délicat, il affrontera bientôt son exact contraire, Olivier, une crapule qui suit sa scolarité dans le même établissement que lui.

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Le Continent de la douceur ne se contente pas de jouer aux billes, il se frotte aussi au conte de fées, au roman-feuilleton et surtout aux principautés d’opérette, ce en quoi il tient du Rivage des Syrtes, de La Chartreuse de Parme, du Jeu des perles de verre et du Sceptre d’Ottokar. Né en 1980 à Laval, Aurélien Bellanger aime et connaît sur le bout des doigts l’œuvre de Michel Houellebecq, sur laquelle il a écrit un livre, Houellebecq écrivain romantique. Ses romans partagent avec ceux de l’auteur de Soumission la volonté d’écrire sur le présent, sur ce que l’on nomme, avec ce mot à la mode, parfois à la con, ses mythologies. Comme Houellebecq aussi, Bellanger a le talent de mêler l’humour et la mélancolie.

La trame du roman est trop compliquée pour être sérieuse : en 1985, le Karst (la principauté d’opérette en question) est un pays dont plus personne en Europe ne se soucie. Frontalier de l’Autriche, il était puissant autrefois, mais son sceptre repose aujourd’hui dans une vitrine du Metropolitan Museum à New York. Par métonymie, ce trésor représente l’Europe fossilisée. Arrivent deux héritiers karstes q


Aurélien Bellanger, Le Continent de la douceur, Gallimard, 496 pp., 22 euros

Virginie Bloch-Lainé

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Aurélien Bellanger, Le Continent de la douceur, Gallimard, 496 pp., 22 euros