Littérature

Intimité et effondrement moral – sur La séparation de Sophia de Séguin

Philosophe

La séparation de Sophia de Séguin prend la forme d’envolées intimes, fiévreuses, comme tirées d’un journal par hasard arrivé sur les planches éditoriales. Son écriture, crue, acharnée, dont le cynisme franc permet l’humour, est celle d’un effondrement qui se passe de lamentations ; et rappelle que l’insupportable, en la matière, est moins de ne pas être aimé, que de ne plus – pas – aimer.

Rares sont les premiers textes édités tirés de journaux intimes ; c’est le cas de La séparation, récit d’un évènement aussi ordinaire que tragique : la rupture amoureuse. C’est à cet ébranlement terrible que Sophia de Séguin se confronte dans ce livre, avec lequel, d’une écriture très maîtrisée, elle en explore et en restitue la blessure.

La séparation se donne à lire comme le journal fiévreux d’une personnalité elle-même brûlante. Tenu dans les mois qui suivent la rupture amoureuse, il relate la disparition progressive d’Adrien, qui fut passionnément aimé, et dont le nom ne cesse de hanter les pages. Cet Adrien-là laisse peu à peu la place à un Adrien bien réel, médiocre et défait des qualités et du charme que l’amour lui conférait. L’épreuve de l’amour qui s’en va, qui se trahit lui-même en s’éteignant est une peine banale. Mais la langue de Sophia de Séguin s’obstine à dire la vérité de ces moments, de ces jours, de ces semaines, de ces mois, qu’il faut consacrer à un deuil particulier, le deuil amoureux, qui est aussi celui d’un certain soi, de ce « je » que nous avons été avec l’autre.

Dans La séparation, c’est avec le lecteur que le « je » de l’auteure partage une intimité véritable. « Je n’ai jamais été “moi-même” avec Adrien […]. Je suis toujours restée inquiète et craintive, avec beaucoup de secrets et non moins de mensonges. » Cette intimité n’est à aucun moment l’occasion d’une quelconque lamentation – dont on se serait, de toute façon, bien passé. Non, elle est plutôt le refuge d’une écriture crue et sensuelle qui ouvre grand le champ du privé. Une écriture sûre de ses effets aussi, alors que le monde intérieur s’effondre et se reconfigure. Une écriture passagère, autant que le sont les amours : lorsque, enfin, Adrien n’est plus aimé, le texte s’effondre sur lui-même et prend fin. Comme la dernière pelletée de terre s’écrase sur une tombe, Sophia de Séguin referme son journal en ne voulant plus aimer. Ni Adrien, ni personne.

L’intimité

La séparation amo


[1] Carnets III, mars 1951 – décembre 1959, N.R.F., 1989.

Sophie Benard

Philosophe, doctorante à l'Université de Picardie Jules Verne

Rayonnages

LivresLittérature

Notes

[1] Carnets III, mars 1951 – décembre 1959, N.R.F., 1989.