(Re)lire au temps du confinement

Les monologues intérieurs du commissaire Wallander – sur l’œuvre d’Henning Mankell

Journaliste

Cobain, Vonnegut et, mieux encore, Wallander : en confinement, on a toujours besoin d’avoir un Kurt sous la main. Lors de cette vie horizontale, la saga du commissaire Wallander, l’œuvre beige d’Henning Mankell, démontre toute sa force : participer au scandi-noir en restant libre d’être personnage bergmanien, en fuyant les stéréotypes du genre. Un style du peu, du silence, de l’impuissance, de la neutralité fait de ces romans une thèse très documentée du désenchantement.

Que l’on échoue sur une île déserte ou en confinement, on se rend vite compte de la nécessité d’avoir un Kurt sous la main. On peut alors opter pour le désespoir vociférant de Kurt Cobain, pour son pessimisme jusqu’au-boutiste, pour le bruit blanc et exaspéré de son mal-être. Les mots, maux et musiques de Nirvana ne nous mèneront pas bien loin : jusqu’à l’extase. Mais les lendemains déchantent. Le nihilisme offre peu de futur, des perspectives exiguës. De cette joie physique, nerveuse, on finit souvent avec une sale gueule de bois.

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On peut aussi choisir Kurt Vonnegut, une autre voix, une autre génération de la contre-culture. Ses livres, pareillement pessimistes et combatifs, racontent sur une musique plus be-pop que punk la même fin : pas de happy-ending possible quand on fréquente à ce point les recoins les plus hostiles de son âme. Des sales coins à champignons atomiques qui s’entourent de barbelés, de miradors, de loups. Kurt Vonnegut a connu la guerre, de trop près. De ces carnages, de ce vacarme, il ne reviendra jamais – ou fera semblant d’être parmi les hommes.

Kurt Cobain ne fera même pas semblant : il a renoncé très jeune au cirque social. C’est une version soumise de lui-même qu’il envoie faire la rock-star. Vonnegut, lui, se dissimule derrière l’humour, cette élégante coquetterie du désespoir. Sans se connaître, Cobain et Vonnegut sont partisans de la capitulation, du retrait : ils vivront dans leurs têtes. Avant de l’écrabouiller, l’un sur le carrelage, l’autre au fusil. Partout, ils traîneront l’air de la défaite. Ça sera leur chanson.

Citant Thoreau et son concept du « désespoir tranquille », Vonnegut écrivait dans Galápagos : « Pourquoi le “désespoir tranquille” était-il un mal si répandu à cette époque-là, surtout chez les hommes jeunes ? Ça y est, voilà qu’une fois de plus je me remets à braquer mes projecteurs sur le seul vrai scélérat de cette histoire – ce nôtre cerveau humain par trop développé. » Rajoutons à cette équation alignant


JD Beauvallet

Journaliste, Critique

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