Fantômas, le XIXe siècle et l’histoire – sur Dominique Kalifa
Allongeant son ombre immense
Sur le monde et sur Paris,
Quel est ce spectre aux yeux gris
Qui surgit dans le silence ?
Fantômas, serait-ce toi
Qui te dresses sur les toits ?
Robert Desnos, « La Complainte de Fantômas »
Dominique Kalifa nous a quittés le samedi 12 septembre 2020. Il est parti de la scène, par une porte dérobée, non sans avoir dit au revoir à ses lecteurs. Telle celle de Fantômas, son ombre immense continuera de planer sur le ciel historien.
Associer un professeur d’histoire contemporaine exerçant depuis vingt ans dans la prestigieuse Université Panthéon-Sorbonne, à Fantômas, personnage emblématique et sulfureux de la culture populaire française, pourra paraître incongru. Mais Dominique Kalifa n’aura cessé de plonger sa vie durant dans les interminables aventures du « génie du crime », 32 volumes entre 1911 et 1913. Il savait surtout mieux que quiconque combien ces marges culturelles longtemps délaissées donnent accès à une meilleure compréhension du passé. Fantômas nous servira donc ici de guide pour parcourir une œuvre qui ressemble fort aux villes-labyrinthes de ces grands romans criminels du XIXe siècle. De manière paradoxale, cette figure symbolise d’emblée la contribution de Dominique Kalifa à l’historiographie des trente dernières années.
Le spécialiste du XIXe siècle qu’il fut a en effet pris part à un important basculement des manières de faire en histoire, parfois appelé « tournant critique ». À partir des années 1990, par petites touches, les historiens – comme du reste les sociologues ou certains anthropologues – ont renoncé aux études des grandes structures, fondées sur des études sérielles et appuyés sur des catégories prédéfinies. Ces structures, quoique le mot soit un peu fort, pouvaient être économiques, sociales, ou mentales et ont paru trop figées pour épouser le grain des existences et des perceptions. Aussi les recherches ont-elles redécouvert l’individu, l’évènement, le récit, réinvesti les rapports de pouvoir, abor