Que faire ? – sur Rêver debout et Famille de Lydie Salvayre
Que faire ? C’était la question de Lénine en 1902, et ce pourrait bien être celle de Lydie Salvayre aujourd’hui. Consacrée par l’establishment à travers le prix Goncourt (pour Pas pleurer, en 2014), son œuvre est en effet nourrie d’une interrogation ancienne et parfois douloureuse, liée à l’enfance, de celles dont la réponse ne pourra jamais suffire, sauf à trahir, définitivement.
L’écrivaine l’a raconté maintes fois, dans ses romans ou ses entretiens : elle vient « du peuple », et plus particulièrement du peuple espagnol, dont l’histoire accompagne, entre tragique et gloire, le cours du 20e siècle (on aimerait pouvoir écrire ici ce mot de « peuple » en le dégageant de la gangue que lui a donnée un suffixe trop souvent abusif, le métamorphosant en « populisme » à tout-va…). Un peuple qui n’est pas une caricature, en tout cas, mais dont l’inévitable détermination conditionne un certain rapport à la langue, à la culture, à leur noblesse possible.

Pour le dire simplement : quelque chose ne va pas de soi, dans ce qui apparaît comme une conquête pour éviter l’inconfortable posture du transfuge, et dire en même temps qu’on est aussi « chez soi » parmi les classiques que la bourgeoisie s’emploie à naturaliser, mais qu’un certain idéal de la littérature fait appartenir à tout le monde. Que faire, alors, pour faire des livres ?
Peut-être la solution est-elle de raconter ce conflit même. C’est du moins ce que semblent suggérer la plupart des livres de la romancière, l’un des plus marquants en ce sens étant peut-être La Puissance des mouches, où un gardien de musée dépourvu de culture vivait l’expérience bouleversante de la découverte de Pascal, dont une Pensée fameuse éclairait le sens du titre, ironique allusion à l’indécrottable vanité humaine : « La puissance des mouches : elles gagnent des batailles, empêchent notre âme d’agir, mangent notre corps. »
Il est tout à fait remarquable que vingt-cinq ans plus tard, Lydie Salvayre se soit retrouvée dans la position