Société

La liberté d’expression n’est pas réductible à ses limites

Sociologue, Sociologue

Un an après l’assassinat de Samuel Paty, la liberté d’expression reste un sujet sensible. Elle apparaît tantôt bafouée, aux yeux des antivaccins qui parmi d’autres s’estiment muselés, tantôt démesurée, lorsqu’elle ne semble participer qu’à la diffusion des propos haineux des mêmes qui ne pourraient « plus rien dire ». De ces polémiques qui ponctuent le débat public, ressort une conception de la liberté d’expression par « ses limites » ; questionnant non pas l’expression mais la notion même de liberté, et détournant l’attention des véritables enjeux de ce droit fondamental en société démocratique.

Longtemps, la liberté d’expression a pu être considérée comme un acquis des révolutions libérales et comme une caractéristique des espaces publics démocratiques. Au cours de la dernière décennie du siècle dernier, elle est devenue problématique. Elle est désormais constituée comme un enjeu politique de premier plan, autour duquel se cristallisent passions et polémiques.

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Régulièrement, des vagues d’indignations dénoncent l’instrumentalisation de la liberté d’expression afin de justifier la diffusion médiatique de propos haineux. Des dessins satiriques tournant en dérision des croyances religieuses sont considérés comme des appels à la haine comparables aux caricatures antisémites publiées au début du XXe siècle par La libre parole ou L’Assiette au beurre. Les lignes éditoriales d’émissions de radio ou de télévision sont présentées comme l’expression d’un racisme systémique. Des enseignants sont nommément mis au pilori numérique au nom du supposé caractère « islamophobe » de leurs cours, tandis que d’autres sont suspectés d’« islamo-gauchisme ». Des chercheurs sont accusés de se prévaloir indûment de leurs titres et fonctions pour diffuser de « fausses nouvelles » par voie de presse, ou pour propager une idéologie politique sous couvert de recherche scientifique.

Les cas se multiplient, et il apparaît que, par-delà la diversité de ces situations, la liberté d’expression y est communément saisie sous l’angle de ses limites – qu’il s’agisse de la mettre à l’abri ou de la corseter. Il en résulte des polémiques aussi radicales qu’interminables, opposant les défenseurs auto-proclamés d’univers sacrés inconciliables. Les uns et les autres prétendent en imposer les délimitations, afin de les préserver de toute atteinte et du moindre trouble, parfois en usant d’intimidations et de menaces de violences physiques, voire de mort.

Dans les développements qui suivent, nous nous interrogerons sur cette conception de la liberté d’expression. Cette manière de la cerner à pa


[1] Son précepte est devenu proverbial : « La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres ».

[2] C’est plus tard que cela deviendra la « limite », la « frontière ». Voir, à ce propos, Roger-Pol Droit et Monique Atlan, Le sens des limites, éditions L’Observatoire, 2021.

[3] Paul-Louis Landsberg, Réflexions sur l’engagement personnel, éditions Allia, 2021, p.17.

[4] Lindsay & Boyle, « The conceptual penis as a social construct », Cogent Social Sciences (2017), vol. 3.

[5] Voir Alain Cottereau, « “Esprit public” et capacité de juger. La stabilisation d’un espace public en France aux lendemains de la Révolution », in A. Cottereau et P. Ladrière (dir.), Pouvoir et légitimité. Figures de l’espace public, éditions de l’EHESS, 1992, p. 239-272.

[6] Paul-Louis Landsberg, Réflexions, op. cit., p. 16.

[7] Paul-Louis Landsberg, Réflexions sur l’engagement personnel, éditions Allia, 2021, p.16.

[8] Voir Ruwen Ogien, « Que reste-t-il de la liberté d’offenser ? », in Mon dîner chez les cannibales, Paris, Grasset, 2016, pp. 69-73. Charles Girard, « Pourquoi a-t-on le droit d’offenser ? », La vie des idées, 8 décembre 2020.

Smaïn Laacher

Sociologue, Professeur de sociologie à l'Université de Strasbourg

Cédric Terzi

Sociologue, Chercheur au Centre d'étude des mouvements sociaux (EHESS)

Notes

[1] Son précepte est devenu proverbial : « La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres ».

[2] C’est plus tard que cela deviendra la « limite », la « frontière ». Voir, à ce propos, Roger-Pol Droit et Monique Atlan, Le sens des limites, éditions L’Observatoire, 2021.

[3] Paul-Louis Landsberg, Réflexions sur l’engagement personnel, éditions Allia, 2021, p.17.

[4] Lindsay & Boyle, « The conceptual penis as a social construct », Cogent Social Sciences (2017), vol. 3.

[5] Voir Alain Cottereau, « “Esprit public” et capacité de juger. La stabilisation d’un espace public en France aux lendemains de la Révolution », in A. Cottereau et P. Ladrière (dir.), Pouvoir et légitimité. Figures de l’espace public, éditions de l’EHESS, 1992, p. 239-272.

[6] Paul-Louis Landsberg, Réflexions, op. cit., p. 16.

[7] Paul-Louis Landsberg, Réflexions sur l’engagement personnel, éditions Allia, 2021, p.16.

[8] Voir Ruwen Ogien, « Que reste-t-il de la liberté d’offenser ? », in Mon dîner chez les cannibales, Paris, Grasset, 2016, pp. 69-73. Charles Girard, « Pourquoi a-t-on le droit d’offenser ? », La vie des idées, 8 décembre 2020.