Littérature

Instrument de plaisir – sur L’amour la mer de Pascal Quignard

Écrivain

Et si la vraie provocation était celle du bonheur ? Il n’est plus très sûr que ce soit là une idée neuve, mais c’est en tout cas une tentation – littéraire – qui peut nous emporter loin, à l’opposé de certains anéantissements promis pour le futur… Pascal Quignard se risque à ce drôle de défi dans L’amour la mer, faux récit historique qui revisite un XVIIe siècle de pur fantasme et donne à lire, en même temps qu’un traité de l’être-au-monde, une sorte de saga fiévreuse, romanesque et sensuelle.

Il y a bien des années déjà (écrire cette expression donne comme un frisson), j’avais rendu visite à Pascal Quignard, dans sa maison du 19e arrondissement, à Paris. C’était l’hiver, un très beau jour de soleil froid, et c’était pour un entretien qui se fit en partie dans sa cuisine, je crois. Je ne sais plus pour lequel des tomes de la série intitulée Dernier royaume je faisais cette visite, mais je me souviens de la conversation et du verre de vin rouge que buvait l’écrivain, à la manière d’une liqueur précieuse, comme du poste à cassettes vintage (me semble-t-il) avec lequel il me fit écouter de la musique… baroque, cela va de soi. Du moins la mémoire corrige-t-elle ainsi les faits, comme ces assistants de conduite électroniques qui veulent à tout prix ajuster la trajectoire de votre voiture au tracé réglementaire de la route, et paraissent pour cela donner des petits coups de volant à votre place.

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Qu’on me pardonne l’évocation d’un tel souvenir, qui semblera peut-être trop personnel, simplement anecdotique, mais me reste étrangement présent. Nous avions parlé des vanités sociales et de leur possible maîtrise (où Quignard avait excellé comme personne, du temps de sa splendeur éditoriale), de musique donc et de peinture, de Jean Fautrier, de ce que cela pouvait représenter de marcher longtemps à la lisière de Paris, et surtout de ce que signifie la composition d’un livre.

Il faudrait que je retrouve, dans le désordre et la dispersion des traces conservées (peut-être même existe-t-il encore une cassette « audio », quelque part), ce que disait exactement cet homme disert au regard perçant, spécialement bleu, presque effrayant. J’avais été frappé en tout cas par ce qu’il définissait comme un art indispensable de l’élagage littéraire, bien au-delà du cliché de la coupe nécessaire pour qu’un livre trouve sa bonne taille, et tombe juste, tel un vêtement d’évidence.

Il y avait là, plutôt, l’idée d’un tout (je n’ose parler d’un absolu) dont le texte – et on peut


Fabrice Gabriel

Écrivain, Critique littéraire

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