Chez soi et hors de soi – sur Presque étranger pourtant de Thilo Krause
Le brouhaha d’une rentrée littéraire, fut-elle d’hiver, cache toujours des notes plus fines et plus durables, des livres éloignés de l’actualité, présents autrement. Presque étranger pourtant est de ceux-là. Il émane de Thilo Krause, un écrivain né en ex-Allemagne de l’Est en 1977. Inconnu en France, Thilo Krause est un scientifique qui a une formation en ingénierie économique. Il est à la fois chercheur et poète, un état civil rare, qui intrigue et ravit. Presque étranger pourtant est son premier récit.
Le livre nous transporte au cœur du cœur de l’Europe, dans la région où l’Elbe prend sa source, non loin de Dresde, ville natale de l’écrivain (le titre original du récit est Elbwärts, « Vers l’Elbe »). Son double, le narrateur, est revenu là où lui aussi a pris sa source, dans un village qu’il ne nomme pas. Il évoque simplement « le village de mon enfance ». Il ne précise pas non plus le nom de la Ville-qui-n’en-est-pas-une, la cité voisine. Ces deux imprécisions sont remarquables dans un récit dont les descriptions de la nature sont d’une précision stupéfiante. Elles contribuent à son étrangeté, son mystère – tout n’est pas expliqué.

Le narrateur est revenu en père de famille avec sa femme, Christina, et leur fille, appelée La Petite. L’enfant non plus n’est pas nommée, comme si le narrateur soulignait le lien entre son enfance passée et celle-là, à venir. Le désir de transmission et le besoin d’enracinement sont les deux boussoles que l’auteur-narrateur a suivies pour revenir au pays. Où atterrir ? se demande-t-il. Là, sur la terre dont il est fait, où il découvre aussi des sentiments violents, une culpabilité qui persiste, inchangée, quand il retrouve son ami d’enfance, Vito. L’homme a perdu une jambe au cours d’une excursion risquée que les deux garçons avaient organisée dans la forêt escarpée qui entoure le village.
Le temps de l’enfance et celui de l’âge adulte se mêlent dans ce Presque étranger pourtant. Le passé composé, le passé simple, l’imparfa