L’inconscient musical – sur A Quiet Place de Leonard Bernstein et Stephen Wadsworth
Sous les dorures du Palais Garnier, à distinguer derrière une gaze blanche des lumières crues, et à entendre l’éclat fragmenté des premières mesures, on pressent toute la promesse ironique du titre : nous ne serons certainement pas, pendant l’heure et demie que dure A Quiet Place, dans un endroit calme. C’est la promesse d’une complexité qui finalement s’avère limpide : toute l’œuvre de Leonard Bernstein et Stephen Wadsworth se loge dans de multiples écarts, entre le collectif et l’individu, la langue et le sens, la musique populaire et la musique savante, des écarts à la fois inconfortables et formidablement stimulants.
Sur la scène, le rideau se révèle écran sur lequel on projette d’abord une séquence filmée. Dans une voiture américaine une femme au visage numérisé fonce à vive allure ; le rouge de sa robe tranche avec le noir et blanc stylisé du film. Elle n’évite pas un véhicule qui arrive en face, enchaîne plusieurs tonneaux. Le corps gît sur le bitume, tandis que s’élèvent les voix de passants curieux et horrifiés.

Le rideau se lève sur la grande salle d’un funérarium, où des voix entrecoupées commentent l’existence et la fin de Dinah, épouse de Sam, mère de Junior et Dede, deux enfants partis depuis longtemps, et qui doivent arriver d’un instant à l’autre. Sam était le prénom du père de Leonard Bernstein, il était aussi avec Dinah, un des personnages principaux d’une précédente œuvre, Trouble in Tahiti, écrite en 1952 alors qu’il était en voyage de noces. Près de trente ans après – A Quiet Place est créé à Houston en 1983 – il réinvestit avec son librettiste Stephen Wadsworth ces figures fondatrices, et les replonge dans le bain stagnant des névroses et des traumas : suicide, inceste, infanticide, refoulement.
Dans ce bain le Polonais Krzysztof Warlikowski apparaît comme un poisson dans l’eau. L’opéra de Bernstein lui va parfaitement, lui qui sait mieux que personne rendre visibles, y compris dans la grosse machinerie de l’opéra, les passions qui su