Littérature

L’étrangeté de survivre – sur Dissipatio H.G. de Guido Morselli

Écrivain

À l’origine de Dissipatio H.G., il y a une tentative de suicide, avec un Browning, dans une grotte. Le narrateur y renonce. Il en ressort, et c’est le reste du genre humain qui s’est volatilisé. Dissipatio H.G., c’est le dernier roman de Guido Morselli avant son propre suicide, en 1973. Une nouvelle traduction de cette apocalypse vient de paraître. On y suit le narrateur dans ses pérégrinations, tantôt mentales, tantôt physiques, en ville et à la montagne, propices aux réflexions sur l’étrangeté extrême du temps présent et aux souvenirs du temps d’avant.

Disons-le d’emblée. Je ne suis pas un grand amateur des dystopies, même si je reste fasciné par la puissance de quelques classiques, 1984 et Le Meilleur des mondes bien sûr, Nous autres de Zamiatine voire Les Bains de Maiakovski, plusieurs romans de Jack London. Mais j’aime la littérature, j’aime la littérature italienne, j’aime les livres qui ne ressemblent à rien, c’est à dire à rien d’autre qu’eux-mêmes, qui vous intriguent et qui vont à contre-courant. J’ai donc demandé à voir quand on m’a présenté Dissipatio H.G. Et j’ai vu.

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Guido Morselli reste méconnu. Il s’est suicidé à soixante ans, en 1973, sans avoir publié aucun de ses huit romans, bardé de lettres de refus parfois prestigieuses et bien argumentées comme celle de Calvino, mais des lettres de refus. Dissipatio H.G. constitue sa dernière tentative. On y voit s’opérer à l’extrême la puissance du décalage et du détachement. Quand le livre est enfin publié, post mortem, il sera vite traduit en français : Le communiste et Rome sans pape chez Gallimard à la fin des années 70, puis dix ans plus tard Dissipatio H.G. chez Denoël parce que les deux premiers n’avaient pas eu l’écho escompté.

Le titre ne pose pas la dissipation comme divertissement mais bien davantage comme disparition. Un peu après la moitié du livre, il est même explicité, venu du latin de l’Antiquité tardive qui servira de support à l’effondrement de l’empire romain. En fait, le roman envisage la fin du monde ou plutôt du genre humain (Humani Generis). H.G. ce sont donc les initiales de tout le monde, quand Ulysse était personne. Une nuit, le 2 juin à deux heures, l’humanité se volatilise. Le narrateur est le seul survivant et le témoin de cet événement. Le ressort en est bien cette « évaporation », entendue parfois comme sublimation, et conçue comme « un prodige inattendu ». Il alterne, comme des sautes d’humeur, entre une ascension au ciel sous le signe de la légèreté et une dissolution qui a tout d’un anéantissement. De là, on peut co


Bernard Chambaz

Écrivain, Poète

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Anthropocène