Littérature

L’inépuisable – sur Les Sources de Marie-Hélène Lafon

Critique

La prix Renaudot 2020 plonge à nouveau dans la Santoire, cette rivière du Massif central qui irrigue ses romans mais dans laquelle on ne se baigne jamais, eu égard à la substance tellurique de ses personnages. Dans Les Sources, une patronne de ferme pose peu à peu des mots sur les violences conjugales dont elle est victime – avec l’aide poétique de l’autrice, qui pourrait être sa fille.

On ne sait pas à quoi il ressemble mais, très vite, on a envie qu’il crève. Ou plus exactement, on a envie que l’héroïne prenne ce qui lui tombe sous la main et en finisse, n’importe quoi, un fer à repasser, une masse dans la grange, un fil de fer pour étrangler, comme dans ce film d’Almodovar où une femme tue son mari macho avec un os de jambon.

publicité

Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? était le titre. La femme des Sources se le demande aussi : pourquoi s’est-elle mariée avec cet homme, et puis pourquoi ensuite n’est-elle pas partie avec les enfants ? Elle en a trois depuis l’âge de vingt-six ans, deux filles, un garçon.

Le récit commence les « samedi 10 et dimanche 11 juin 1967 ». Un peu plus loin, dans une deuxième partie intitulée « Dimanche 19 mai 1974 », l’homme n’est pas mort et il se morfond : « Il avait fallu que ça tombe sur lui, une femme molle et nulle, nulle en tout. » Giscard d’Estaing vient d’être élu président.

Elle, qui n’a pas de nom (lui s’appelle Pierre), n’est pas partie parce que ça ne se fait pas, parce que sa mère lui dit qu’elle doit tenir son rang, patronne de ferme, ce n’est pas rien : « trois enfants, trois prénoms, trente-trois hectares, trente ans ». Le personnage du mari n’a encore rien dit, rien fait, on n’a rien vu, c’est un chapeau sur un banc comme Bouvard et Pécuchet (première phrase : « Il dort sur le banc ») et pourtant on le hait affreusement, puisqu’on ne le connaît qu’à travers la répugnance qu’il inflige à l’héroïne : « elle se dégoûte, il la dégoûte, il est pire qu’une bête, les bêtes ne sont pas méchantes, les bêtes ne parlent pas pour dire des mots qui sont pires que les coups. »

Jusqu’à ce que s’énonce ce reproche, on n’a qu’une idée très vague (et d’autant plus inquiétante) du mal que cet homme cause à cette femme. On sait qu’« il ne faut pas faire de bruit quand il dort sur le banc », que quelque chose « est arrivé dès le début, aussitôt après le mariage », que les sœurs de l’héroïne préfèrent ne plus venir à


Éric Loret

Critique, Journaliste

Rayonnages

LivresLittérature