Littérature

L’objet du déni bordelais – sur Humeur noire d’Anne-Marie Garat

Écrivain

Lorsqu’Anne-Marie Garat découvrit au musée d’Aquitaine l’exposition consacrée à la traite négrière, elle tomba en arrêt devant certains cartels, scandaleux et équivoques. De cette colère est né son ultime livre, Humeur noire, sur le déni colonial de sa ville natale. Réédité en poche aujourd’hui, il fait entendre la puissance vitale de sa langue et de son engagement, un an après qu’elle nous a quittés.

Sidérante d’énergie sur la page, où la puissance océanique de sa langue était capable de soulever des montagnes d’informations, comme dans la vie, où elle aura fait preuve d’un engagement aussi constant que généreux au nom de l’art, Anne-Marie Garat a écrit Humeur noire sans préméditation aucune et sans avoir la moindre raison de penser que ce livre d’une liberté d’autant plus magistrale qu’il s’appuie sur une érudition impressionnante pourrait bien être le tout dernier qu’elle écrirait, en tout cas qu’elle publierait de son vivant, quelques mois avant sa mort, le 26 juillet 2022 à l’âge de 75 ans, des suite d’un cancer brutal.

Humeur noire en devient testamentaire, alors même qu’il constitue un pas de côté dans une œuvre romanesque foisonnante dont l’un des sommets reste la trilogie entamée avec le volumineux Dans la main du diable en 2006, dans lequel elle aura réussi la prouesse de nous rendre au goût du feuilleton romanesque échevelé sans rien renier des exigences de la modernité, s’arrachant par le haut à « l’ère du soupçon » à une époque où tant de romanciers jetaient l’éponge (mais l’on n’oublie pas les merveilleux Dans la pente du toit, paru en 1998, et La nuit atlantique, en 2020).

C’est peu de dire que relire Humeur noire à l’occasion de sa parution en poche, un an après sa mort, alors que la première lecture avait eu lieu un an avant, est une expérience saisissante. On sait bien que, d’une lecture à l’autre, les livres vivent leur vie, dans le secret de nos bibliothèques, et parfois se recomposent au point de se métamorphoser.

Mais le phénomène prend ici une dimension supplémentaire, quand ce récit nécessaire entremêle les heures les plus sombres de l’histoire bordelaise et l’autobiographie d’une enfant des quartiers ouvriers de la cité girondine : la saine colère qui a présidé à son écriture donne au texte une qualité de présence tout à fait stupéfiante. Au-delà de l’émotion qu’elle peut générer, c’est aussi cette qualité de présence, en vérité, qui éme


Bertrand Leclair

Écrivain, Critique littéraire

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