Littérature

Devenir immortel et puis mourir ? – sur L’Être plus de Stéphanie Solinas

Sociologue

Le nouveau livre de l’artiste et autrice Stéphanie Solinas se présente à la fois comme un road trip dans l’Ouest américain et comme une enquête où les spiritualités côtoient les sciences. Vivre toujours, devenir cyborg, aller sur Mars : ce qui semble nous éloigner de la nature humaine n’offrirait-il pas en vérité autant de clés « pour Devenir soi-même » ?

«Elle écrit : Stewart Brand, convaincue que vous êtes un personnage crucial pour comprendre l’état d’esprit que ce territoire spécifique apporte au monde, j’aimerais beaucoup vous rencontrer.

Des silences.

Une réponse.

Deux mots : Thanks. Can’t. [Merci. Je peux pas.] »

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« Elle », c’est la « figure de pérégrine » dont l’ouvrage restitue l’itinéraire. Lui, Stewart Brand, qu’on ne rencontrera pas, demeurera donc un nom, un emblème, celui du point de rencontre entre la contre-culture des années soixante et la cyberculture. Brand a filmé la première démonstration de l’ordinateur, de la machine telle qu’on la connaît aujourd’hui ; il a donné le LSD aux gens de Stanford et l’informatique aux hippies. L’« état d’esprit que ce territoire spécifique apporte au monde », enfin, est ce qu’il s’agit de clarifier tout au long du livre, dont la lecture n’épuise jamais un questionnement : dans cette région du monde, entre la Californie, l’Arizona, le Nouveau-Mexique, pourquoi diable une telle parenté entre croyances magiques et technologies de pointe ?

Les douze chapitres ne répondent pas à cette question ; ils décrivent plutôt douze modulations autour d’un thème. Tour-à-tour, la narratrice – désignée par « elle » – s’entretient ainsi avec le directeur du laboratoire d’intelligence artificielle de Facebook, avec la fondatrice d’une entreprise de cryogénisation, avec un prêtre cherokee, avec un magicien, un crypto-prophète, un planétologue, une chamane… Chacun des ces protagonistes se veut l’expression de formes de religiosité différentes, dont on finit par se demander si elles accusent bien un même « état d’esprit ».

Reste que, tous ensemble, ces interlocuteurs forment une galerie de portraits comme le formeraient des photographies, même disparates, réunies en une seule exposition. Ainsi, le retropunk du festival Burning Man, le cyborg ou l’homme-méduse partagent les chapitres d’un même ouvrage, sans que leur rencontre n’ait le caractère fortuit de celle d’une machine à cou


[1] Dans L’Éthique hacker et l’esprit de l’ère de l’information.

[2] Voir ici le début de « Stände, classes et religion » qu’on trouvera dans la Sociologie de la religion éditée chez Flammarion.

[3] Dans Toutes les intelligences du monde, paru en septembre dernier, James Bridle raconte les grandes difficultés qu’éprouvent de plus en plus de spécialistes à comprendre par quel enchaînement certains de nos réseaux de neurones produisent leurs résultats.

[4] Arendt reprend une question posée par les éditeurs de The Great ldeas Today en prévision d’un « Symposium sur l’espace ».

Benjamin Tainturier

Sociologue, Doctorant au médialab de SciencesPo

Notes

[1] Dans L’Éthique hacker et l’esprit de l’ère de l’information.

[2] Voir ici le début de « Stände, classes et religion » qu’on trouvera dans la Sociologie de la religion éditée chez Flammarion.

[3] Dans Toutes les intelligences du monde, paru en septembre dernier, James Bridle raconte les grandes difficultés qu’éprouvent de plus en plus de spécialistes à comprendre par quel enchaînement certains de nos réseaux de neurones produisent leurs résultats.

[4] Arendt reprend une question posée par les éditeurs de The Great ldeas Today en prévision d’un « Symposium sur l’espace ».