International

Israël-Palestine : comment libérer la parole ?

Sociologue

Non seulement parler nous est encore possible, mais parler nous est plus que jamais nécessaire. C’est en effet seulement depuis la parole publique que peut revenir à nous la possibilité de la distanciation individuelle et collective. Mais parler, et plus encore dénoncer, doivent obéir à certaines règles.

L’atrocité du conflit qui frappe le Proche-Orient depuis le 7 octobre dernier nous fait éprouver la difficulté à nous hisser, individuellement et collectivement, à la hauteur de vue dont nous aurions aimé être capables.

publicité

On ressent soudain comme une sorte d’incompétence, ne parvenant plus à faire preuve du degré de distanciation que nous savons pourtant être exigé, car c’est celui que réclame notre appartenance à un type de société humaine dans lequel ce que Norbert Elias appelait le « processus de civilisation » a été poussé très loin.

« Trop loin ? ». C’est ce que certains d’entre nous peuvent en venir à se demander à la vue et à l’écoute des témoignages et des images insoutenables qui nous parviennent depuis plus de trois semaines. Car ces auto-contraintes que nous nous imposons sans cesse ne nous empêchent-elles pas au final d’être « nous-mêmes » ? Ne nous privent-elles pas de dire les vérités qui mériteraient de l’être et d’avoir le courage de revendiquer la justice qui fait cruellement défaut ? De fait, on aimerait parfois, pour crier son indignation face aux meurtres et à ceux qui les jugent « logiques » ou « mérités », se donner le droit de régresser. On voudrait s’autoriser, pour exprimer sa colère contre les assassins et contre ceux qui ne les condamnent pas, à la leur jeter à la face, cette colère, tout crûment, et à leur signifier ce que l’on pense, dans les termes où cela nous vient spontanément à l’esprit.

Mais il ne faut pas. Non parce que cela est interdit par des lois, des règlements et des pouvoirs qui nous condamneraient si nous nous le permettions. Mais parce qu’il est en notre propre pouvoir de nous l’interdire à nous-mêmes, et que c’est dans cette auto-interdiction voulue et consentie – dans cette loi que nous nous imposons – que résident notre seule chance de rester fidèle au projet moderne et partant, notre seule dignité possible.

Ainsi, à l’heure actuelle, ce n’est pas tant contre des puissances extérieures à notre personne qu’il no


Cyril Lemieux

Sociologue, Directeur du Laboratoire interdisciplinaire d’études sur les réflexivités – Fonds Yan Thomas