Le nouveau monde – sur Que notre joie demeure de Kevin Lambert
Que notre joie demeure, récent prix Médicis et Décembre, s’ouvre sur une très longue scène de soirée mondaine : 22,4 % du livre pour être précis.

La première phrase chemine elle-même sur une page, décrivant un courant d’air qui, omniscience voyeuriste et rétroviseur à la fois sur un futur champ de ruines, nous faufile à travers des ascenseurs et corridors jusqu’à l’appartement où se déroule une fête, peuplée de « nouveaux adolescents qui, la cinquantaine avancée, boivent enlacés et complotent contre un monde qu’on aura tôt fait d’oublier en lisant le ton emporté d’un courriel écrit trop tard ».
On pense à Proust et à ses soirées au scalpel mais il faut attendre tout de même la page 209 pour que l’héroïne, Céline Wachowski (oui, comme les sœurs réalisatrices des Matrix) se mette à lire sérieusement La Recherche, après avoir plusieurs fois buté sur le début de Du côté de chez Swann : « Céline refuse que Proust puisse ne pas être son personnage, qu’il ait pu inventer quoi que ce soit, tout lui paraît trop vrai, elle a la sensation non pas de lire, mais de vivre ce qu’il raconte, peut-être de revivre, il lui semble qu’elle est le sujet de l’ouvrage, les souvenirs se mêlent aux siens et coulent au-dehors, teintent son quotidien ».
On se demande pourquoi le livre de Lambert est si bon. Il paraît que c’est contre les ultra-riches et sur la chute d’une « starchitect » progressiste qui devient, à cause d’un article sanglant dans le New Yorker, le symbole de la gentrification bobo-capitaliste. De là suit une chute spectaculaire où la psychologie des foules haineuses se conjugue au nombrilisme de Céline, car il s’agit de dénoncer son inconscience et pas de s’apitoyer, tout de même. Le livre est composé en quatre temps bien définis : la narration plus conventionnelle des malheurs de Céline en dix stations est encadrée par deux récits de soirées d’anniversaire-maelströms, dont la seconde s’achève sur une résurrection-résilience-implosion en une vingtaine de pages (« Il