Comment vieillir ensemble – sur Le Château des Rentiers d’Agnès Desarthe
Pour son premier cours au Collège de France, Roland Barthes avait choisi de se demander Comment vivre ensemble : à travers la figure du roman-immeuble, à la manière de Zola, ou des monastères, il cherchait la libre articulation entre la singularité capricieuse et des règles de vie commune. Chambre solitaire, grand hôtel, désert ou retraite sont pour lui autant de lieux pour interroger ou inventer cette idiorythmie qu’il appelle de ses vœux.

C’est dire que la littérature est à ses yeux institution de règles de vie et d’espaces communs, que le phalanstère de Fourier emblématise. Agnès Desarthe emboîte le pas à ce fantasme de vie commune dans Le Château des Rentiers, dans lequel elle imagine un phalanstère pour les personnes âgées, rassemblant autour d’elle expériences vécues et conseils d’architecte.
Si elle tente de mener à bien cette utopie concrète, c’est qu’elle voudrait reconduire l’expérience de ses grands-parents maternels, Tsila et Boris, ayant trouvé dans les tours des années 70 du 13e arrondissement, rue du Château-des-Rentiers, un espace de vie collective. Le projet de la narratrice est en somme de reconstituer cette utopie vécue dans l’enfance, de refonder cet espace commun. Pourtant de la tour des grands-parents, qui y trouvent le confort de la modernité après les désastres de la Shoah, à aujourd’hui, quelque chose s’est renversé dans la manière d’éprouver l’âge : le livre d’Agnès Desarthe nous fait ainsi éprouver une bascule dans le paradigme de la vieillesse.
« Depuis que j’ai commencé à concevoir ce projet en miroir de ce que j’avais connu chez mes grands-parents, je me dis que notre génération a vécu dans un confort tel que la vieillesse a cessé d’être un privilège – le privilège de ceux qui s’en sortis, qui ont échappé à la mort, dont la santé a permis qu’ils résistent à diverses épidémies. La vieillesse, pour nous, n’est que déchéance. Notre génération a tout à perdre en vieillissant. J’ai peur que mon phalanstère ne voie jamais le jour. »