De l’eau, de l’air et de la lumière – sur l’exposition « Le souffle de l’architecte »
En décembre s’est ouverte l’exposition « Bijoy Jain / Studio Mumbai Le souffle de l’architecte » à la Fondation Cartier pour l’art contemporain. Le nom de l’architecte indien, le nom de son atelier créé en 1995 dans la ville éponyme, le nom de la sensibilité qu’il entend partager dans un moment de silence, de vibration et de présence matérielle.
Le bâtiment de Jean Nouvel est depuis son origine vitrine d’une hospitalité bienveillante aux architectes (avec comme dernière exposition monographique de cette discipline celle consacrée à Junya Ishigami, « Freeing Architecture » en 2018), comme d’une écoute attentive des sensorialités discrètes (avec par exemple Le Grand « Orchestre des Animaux » en 2017).
Il sert ici non pas d’écrin, mais de terrain de jeu à Bijoy Jain qui y a disposé des objets hétéroclites voire mystérieux, et a invité deux pratiques artistiques à dialoguer avec cette composition : les céramiques de l’artiste turque et danoise Alev Ebüzziya Siesbye et les dessins de l’artiste chinoise Hu Liu. L’exposition s’inscrit dans la continuité des précédentes apparitions internationales du studio, parmi lesquelles « Work – Place » à la Biennale de Venise 2010, « Between the sun and the moon » au centre d’architecture bordelais arc en rêve en 2015, ou « Immediate landscapes » à la Biennale de Venise 2016.
L’élan qui meut le propos de l’architecte, à la croisée de l’artisanat, de l’architecture, de la pratique artistique, reste celui de la vertu du local, de l’expérimental, de l’attention aux éléments naturels, aux processus de fabrication. Parmi les maquettes de chaux, les panneaux de terre, les structures de bambou, entre les bols d’argile et les dessins au graphite, s’installe une atmosphère d’émulation vibrante, celle du travail silencieux de la main. Alors que l’exposition, sans cartels et à la médiation volontairement évasive, revendique ce secret comme une invitation à l’enquête, à la déambulation et à la narration par les sens, les thèmes qu’elle frôle ou qu’elle embrasse se relient à des postures documentées qui animent avec enthousiasme l’architecture contemporaine.
Et si l’architecte se défend bien d’appartenir à un courant particulier, comme le régionalisme critique auquel on peut l’associer, ou même à la soutenabilité qui n’est qu’un effet de sa pratique, s’il est une tâche difficile de retrouver un héritage manifeste de son approche, le travail de Bijoy Jain n’est jamais seulement un exercice solitaire, renfermé : il se nourrit du monde et le monde le nourrit. C’est une autre connaissance qui l’anime : celle du travail par la main, et celle de la ville gorgée de vie, de ressources, de savoir-faire. C’est alors toute une constellation de réflexions et de références que nous pouvons explorer depuis cette exposition qui parle d’écarts, de matières, de pratiques, et d’éléments.
Qu’est-ce que la bonne distance
Sur un socle de basalte à la circonférence à peine dégrossie, une petite sphère de terre est posée. Elle a été pigmentée d’une teinte nocturne, et un enchevêtrement de fils de coton semble la maintenir, leur éclat blanc apaisé du bleu qui y déteint. Autour d’elle et depuis la pierre s’élève une fine structure de tiges de bambou qui l’enchâsse. Ses assemblages attachés n’ont pu être noués que par d’habiles mains de fées tant la délicatesse s’y dispute avec la précision. Trois ordres d’objets réunis, mis en tension. C’est ainsi que toute l’exposition est construite : entre gravité et apesanteur, l’artisanat et le rituel traditionnel, la conversation entre les matières, ce qu’il faut toucher pour en estimer le poids et ce qu’un souffle pourrait faire basculer. Un peu comme une installation de Beuys, les objets et les matières occupent l’espace de la Fondation Cartier, avec du chaos dans l’ordre et de l’ordre dans le chaos. Une profusion et une diversité qui racontent celles qui animent le Studio Mumbai.
Bijoy Jain a disposé des objets, des matériaux, des œuvres, des maquettes, comme autant de possibles, non pas pour les regarder seulement mais aussi pour les mettre au travail, les faire dialoguer. Ils sont le plus souvent d’un statut ambigu, entre le matériau, l’objet et l’œuvre : tels sont les socles que l’on prend pour des assises, les assises pour des socles, et lorsqu’il est possible de s’y asseoir, on se retrouve au cœur de cette composition joyeuse, orientés vers une autre pièce, à observer d’un autre regard. Il reste toutefois un certain rangement dans cette disposition d’objets : tantôt introvertis, tantôt tournés vers l’extérieur, parfois éparpillés. Dans les salles de verre ils reconstruisent encore différemment les patios et les coursives de l’atelier indien.
Au sous-sol c’est presque une tombe aux tons de terre que l’on pénètre, de celles qui accompagnent le repos d’objets chers à leur hôte. On recrée un espace composé, un espace d’exposition. Mais comme un chantier en cours ou comme sur certaines des œuvres exposées, on a laissé au sol les traces de craie du cordeau qui a servi à placer la cinquantaine de sculptures de pierres recouvertes de kaolin. Partout les objets et les œuvres se répondent de manière harmonique, ils cherchent à s’unir à l’espace, comme si cette chorale émettait un chant sourd qui le fait résonner. Les entités disposées tissent une corde relationnelle entre elles, l’espace, et nous, elles écrivent un contrat qui nous lie, puisque l’objet « stabilise nos relations, il ralentit le temps de nos révolutions[1] ».
Ici les objets ont été modelés et rassemblés d’un même soin, c’est une cosmologie de l’humilité et de l’affection qui est présentée. Il y a une certaine facétie de l’architecte de les avoir disposés ainsi. Il faut jouer avec dans l’espace pour leur redonner vie. Une approche circonflexe, qui tourne autour, qui ne se concentre pas sur le projet mais sur ce que révèle l’objet. D’ailleurs, certaines pièces sont cachées, elles ne se découvrent qu’en déambulant entre les salles et dans le jardin, en passant plusieurs fois devant, ou dessous : un petit personnage suspendu, une congrégation de visages de grès, une lance pourtant immense. Bijoy Jain s’est amusé à les placer comme un enfant qui n’aurait pas rangé sa chambre, une invitation à dériver dans l’espace et le temps.
Comme le préconisait l’architecte finlandais Alvar Aalto qui a suivi son propre processus expérimental avec la matière pour construire sa maison à Muuratsalo il y a soixante-dix ans, « il faut continuer à croire à l’importance essentielle du jeu pour bâtir une société au service des êtres humains, ces grands enfants[2]. » C’est aussi le sens qu’on peut trouver de la suspension de panneaux de terre sur lesquels s’efface par son propre pigment d’oxyde ferreux orange une interprétation du jeu de plateau des « chèvres et des tigres », le Wagh Bakri. Relativement comparable au jeu de dames ou au go, ce jeu stratégique d’origine népalaise, inscrit jusque dans le sol des temples indiens depuis au moins le 12e siècle, est une dynamique du temps, de l’occupation de l’espace, de sa contrainte, où l’on saute par-dessus les pièces pour les dévorer. À de nombreux égards, une métaphore de toute l’exposition donc. Il faut s’y perdre, s’y retrouver piégé, enjamber les objets, en absorber l’aura. Souvent, c’est l’œuvre qui conduit le corps, qui trace la limite, comme la ligne de pierre qui nous laisse à distance, à la bonne distance, des tableaux de Hu Liu.
La distance : c’est la notion qui semble avoir été initiatrice de l’exposition à en croire le catalogue, et l’appréciation du commissaire Hervé Chandès relatée dans une conversation entre Bijoy Jain et le graphiste Taku Satoh[3]. Elle émergerait d’une lecture de Blaise Pascal, qui prônait le bon équilibre des sens et des intelligibilités, une certaine tempérance donc. Par exemple : « trop de bruit nous assourdit ; trop de lumière éblouit, trop de distance et trop de proximité empêche la vue ; trop de longueur et trop de brièveté du discours l’obscurcit ; trop de vérité nous étonne[4]. »
De fait, la composition d’œuvres produit cet effet d’équilibre, aussi efficace pour qualifier les différentes distances sensorielles que nécessite chaque œuvre. Il faut s’éloigner d’une structure de bambou pour en saisir la complexité, puis s’en rapprocher pour apprécier la finesse des nœuds d’assemblage. Un panneau de terre demande à être frôlé pour en saisir les derniers effluves de petrichor, le bois d’un siège taillé dans la masse appelle à être caressé pour en juger le poids, la douceur de la laque d’urushi, la rondeur du volume.
Cette juste distance, c’est aussi celle d’une nécessaire inscription locale, de travailler avec des savoir-faire situés, des ressources proches[5]. Et c’est celle des objets qu’on laisse à proximité, à portée de main, pour se rassurer, pour les utiliser rapidement, comme le fait l’architecte lorsqu’il travaille. Or donc, une autre pensée pertinente pour questionner cette proximité eût pu être celle de Heidegger : « l’à-portée-de-la-main de l’usage quotidien a le caractère de la proximité […] qui n’est point fixée par la mesure de distances[6] », après quoi il poursuit que cette disposition ne vaut que dans le cas d’un emploi, d’une utilisation de l’outil et de l’objet. Puisque ceux-ci sont utilisés comme tels au sein du studio Mumbai, leur disposition à la seule observation dans un autre contexte leur a fait perdre une part d’agentivité, d’utilité.
En d’autres termes, Bijoy Jain en recréant une atmosphère d’atelier en esthétise l’usage et en diminue en partie l’énergie, l’assagit de l’émulation indienne. Ou encore, cette approche de la proximité remet en cause une distance fondamentale, celle des 7000 kilomètres qui séparent Mumbai de Paris. « Que se passe-t-il alors que, par la suppression des grandes distances, tout nous est également proche, également lointain ? Quelle est cette uniformité, dans laquelle les choses ne sont ni près ni loin, où tout est pour ainsi dire sans distance[7] ? » Le transport des objets les déterritorialise, non seulement physiquement mais aussi de façon significative : ils ont changé de statut.
Et sans cartels au moment de la visite, cette distance est une séparation, elle ne nous déplace pas complètement en Inde : par exemple la symbolique des tazia, les structures votives de bambou, reste un temps détachée de leur usage rituel, avant que nous en comprenions la portée. Ils sont alors pendant ce temps des objets flottant entre plusieurs états. Serions-nous trop loin de la culture indienne pour en apprécier la description ? Par ailleurs, en important les sensations, l’exposition les détache de leur source, comme en témoigne l’odeur prégnante de la bouse de vache qu’émet le sol de la hutte. Même si elle est d’origine naturelle, elle nous apparaît alors artificielle. Comme le résume l’anthropologue des odeurs Constance Classen sur ces sensations, elles racontent « des choses qui ne sont pas là, des présences qui sont absentes », et nous perturbent en construisant « un signe sans référent, une fumée sans feu, une pure image olfactive[8]. » C’est l’écueil de vouloir déplacer une atmosphère : cette opération demande de la prudence, et un recul critique assumé.
Alors, comment comprendre cette mise à distance, ici presque troublante ? En réalité, elle se résout en considérant encore une fois l’exposition comme une enquête, une invitation à recréer du sens. Un sens situé, réel, qu’il est tout de même possible d’atteindre en retraçant les pistes, en glanant les indices. Ils se trouvent pour beaucoup dans le catalogue d’exposition et le film The sense of tuning du duo franco-italien Bêka & Lemoine, cinéastes et architectes, une déambulation au contact de Bijoy Jain et du studio Mumbai, qui raconte enfin le sens du déplacement des objets. Enfin on y voit la diversité des tâches et la diversité des mains qui les accomplissent. Enfin on comprend le sens du socle de plâtre inscrit dans le sol de la Fondation : il figure un banc de granit de l’atelier, et les dessins qui l’ornent symbolisent un bâoli, ces réservoirs d’eau dans les puits à degrés qui constituent les principaux espaces publics de Mumbai.
Il faut reconnaître que cette intention de silence permet par-là plusieurs interprétations, plusieurs moyens de discussions avec les œuvres. L’hétérogénéité des objets qui nous a mis au travail en déambulant, nous entraîne aussi à relier, à tisser, à tendre et à détendre, car en un sens c’est nous qui les qualifions d’œuvres au moment où nous les observons. C’est seulement immergés dans leur contexte d’origine que les objets cessent de flotter, quittent ce purgatoire : ils ne sont plus que des œuvres exposées, mais des objets utiles. Il reste bien des traces de leur usage, leur appropriation, leur confection, il faut se pencher pour les sentir. Les photographies et le film documentent leur situation, et font alors à leur niveau œuvre d’anthropologie, une anthropologie qui nécessite le mouvement, la connaissance du monde en apprenant toujours en processus, et la description donc[9], fût-ce par l’image.
Nous retrouvons le contact de l’eau qui restait aussi mystérieux bien que répété au fil de l’exposition. Et par son statut ambigu, ni attachée à une histoire de l’art cadrée, ni à un héritage architectural conventionnel, ni à une pratique scientifique rigoureuse, l’exposition peut assumer cette orientation énigmatique : nous n’avons pas besoin de tout savoir, ces objets ne seront pas tous nos outils. On peut recréer un sens encore autre, on peut savoir et ne pas savoir, deviner, anticiper. Au lieu d’y chercher un ordre et un sens exacts, le souffle de l’architecte incite à accepter le chaos, le déséquilibre, le mouvement qui est aussi d’ordre taxologique et sémiotique.
Ce que la matière nous dit
Un bloc de grès trouvé, puis découpé en prisme octogonal. On lui ôte sur sa base deux parallélépipèdes qui s’entrecroisent, et on obtient quatre pieds triangulaires. On creuse une assise plane et un dos incurvé, on dessine une inflexion d’accoudoirs, et d’un pigment fait de chaux, de cinabre et de rouge cochenille on marque les arêtes extérieures de ce socle indéplaçable. C’est maintenant une assise, où le burin a à peine adouci la texture pour la rendre grumeleuse, une pierre qui accroche, ne laisse pas glisser, une pierre qui parle sous les doigts. Le dos de ce fauteuil est trop bas pour s’y allonger, son assise trop près du sol pour travailler. Il a été conçu pour la conversation, il nous invite à nous pencher et tout en restant assis prêts à se lever.
En offrant à qui la visite de prendre le temps de l’assise, l’exposition crée un rapport sensoriel particulier à ces fauteuils. Ils y sont les principaux vecteurs de la qualité tactile, du sens de l’équilibre. Cette kinesthésie est mise à l’épreuve tout au long du parcours, entre pesanteur et suspension. Tout, autour de nous, vient du sol, en provient, s’y réinscrit littéralement ou tente de s’en élever. Certaines maquettes sont des structures, d’autres sont excavées comme des moules, inscrits et inscrivant, le creusé et l’érigé. Les matières se présentent sincèrement, dans leurs qualités plurielles de délicatesse et de rudesse, d’épaisseur et d’opacité franche. Plâtres, grès, terres crues et cuites, soies, calcaires, bitumes, feuilles d’or ou bouses, basaltes, cotons, chaux, bambous, les laques, les argiles, le graphite, matériaux bruts. Une matériauthèque vivante, utile.
L’approche du studio Mumbai suit celle d’une architecture qui s’attache aux qualités sensorielles de l’expérience, au plus proche du matériau : un travail d’artisanat. Quelque chose se passe entre le geste de l’architecte, la réalisation artisanale, la qualité sensorielle vécue et l’habitation de l’espace, soit-elle temporaire. Cette architecture privilégie une signification incarnée, qui passe par l’expérience phénoménologique. On peut la relier par exemple aux enseignements de l’architecte danois Steen Eiler Rasmussen qui dans son ouvrage de 1959 Découvrir l’architecture[10] s’intéressait longuement aux qualités des matériaux, leur plasticité, leur rugosité, leur dureté, leur chaleur, et faisait aussi bien participer l’expérience d’un fauteuil de noyer anglais de 1700 que celle des poteries de l’Amérique précolombienne[11] à l’expérience et la construction de l’architecture.
C’est une qualité de synesthésie, une relation entre nos sens, qui est invoquée et qui rassemble ces figures. Et parmi les sensorialités magnifiées, c’est peut-être l’hapticité qui les préoccupe le plus. L’hapticité, c’est toucher le monde et le laisser nous atteindre, nous sentir touchés. Cette acception rappelle que le toucher est sens à la fois perceptif et exécutif : le sens du toucher non seulement est en contact, mais provoque le contact. La perception haptique ne s’arrête pas au toucher, et encore moins au seul toucher de la main, c’est un sens de l’identité, de la conscience de soi en interaction avec son environnement. L’anthropologue Tim Ingold expose ainsi que la vision est un sens sédentaire, alors que le toucher est un « aller-vers ». « L’engagement haptique est proche et concret. C’est l’engagement d’un corps attentif au travail avec les matériaux et avec la terre, qui “se coud” aux textures du monde en prenant la voie d’une participation sensorielle[12]. »
L’engagement haptique dont il est question sert aussi bien dans l’appréciation de la matérialité que dans son façonnage, c’est une qualité qui lui donne vie. À tout moment en parcourant l’exposition « Le souffle de l’architecte » on ressent cette vibration de la matière. Une aspiration fondamentale pour l’architecte Bijoy Jain. « Les matériaux prennent vie lorsque nous entrons en contact avec eux. Lorsque vous façonnez la terre, il y a un échange de langage entre les matériaux. Si vous observez Giacometti ou Brâncuși, il y a un langage dans la manière dont ils manipulaient les choses. Il y a quelque chose d’inné dans la façon dont les matériaux vous incitent à interagir avec eux. C’est commun à toutes les cultures. La géographie est différente, mais en fin de compte, c’est de contact humain qu’il s’agit[13]. »
Et effectivement comme le pressent l’architecte indien, ces sculpteurs avaient à cœur de faire vivre la matière, de l’écouter. Il faut comprendre le matériau pour espérer collaborer avec lui. « On ne peut pas faire ce que l’on veut, mais ce que le matériau permet de faire. On ne peut pas faire avec du marbre ce que l’on ferait en bois, ni avec du bois ce que l’on ferait en pierre… Chaque matériau a sa vie propre, et l’on ne peut pas impunément détruire une matière vivante pour en faire une chose muette et dénuée de sens. C’est-à-dire qu’il ne faut pas essayer de faire parler les matériaux dans notre langue, nous devons collaborer avec eux pour partager leur propre langage[14]. »
Ainsi les forces appliquées aux matières dans l’exposition restent fluides, elles sont parfois à peine plus violentes que l’effet du temps, de l’eau ou du feu. Les œuvres qui viennent toutes du sol peuvent être remodelées, puis s’y dissoudre et retourner à l’état de matière. C’est dans leur cycle de vie, et leur choix le permet. Et comme Louis Kahn qui demandait à la brique ce qu’elle veut, ce qu’elle peut faire, si elle est heureuse[15], il faut négocier avec le matériau et avec la gravité, comme le fait Alev Ebüzziya Siesbye avec les bols d’argile. Si on l’écoute comme elle le fait, l’argile veut s’élever, l’argile veut être le lierre. Cela nous rappelle aussi à reconsidérer le matériau et l’objet comme des entités agentives, c’est-à-dire qui ont une signification environnementale processuelle, et des influences multiples sur les êtres vivants.
Cette matérialité politique, qu’appelait notamment Bruno Latour[16], peut être complétée par la théorie politique de l’écologie de Jane Bennett qui entend « mettre en évidence le rôle actif des matériaux non humains dans la vie publique[17]. »La matérialité vibrante que défend Bennett intègre tous les éléments de la chaîne matérielle dont le produit, aujourd’hui standardisé, a longtemps été compris comme seul signe d’activité, pour autant qu’elle lui fût reconnue.
En redistribuant les chaînes causales, nous retrouvons les outils d’une responsabilité éclairée des acteurs impliqués. Ces acteurs s’étendent en milieu processuel autour de chaque maillon considéré, ainsi par exemple pour les briques de terre cuite que le studio expose, nous pouvons en comprendre l’utilité et la complexité de mise en œuvre, mais auparavant nous pouvons l’associer non seulement à l’artisan qui la moule et la chauffe, mais aussi à toutes ses étapes de conception et de transformation, son milieu d’extraction et les acteurs qu’elle influence étant terre, l’écosystème auquel elle participe et qui évolue au long de sa vie.
Quel est le geste
Un banc de bambou aux laques blanches et rouges. Ses pieds sont solides mais graciles, des tiges plus fines encore et bien droites forment l’assise, les accoudoirs et le dos sont un assemblage bombé, et un enchevêtrement de contreventements et de fûts arqués soutiennent l’ensemble. Unique moyen d’assemblage de ce squelette en tension : des fils de soie fine lentement tressés et solidement attachés en un ligotage méticuleux. Et pas un craquement au moment où je m’assois, le banc offrant une assise très confortable, entre tranquillité et puissance, que le bombement de la barre de dos renforce en une sensation d’instabilité similaire à celle du fauteuil de pierre.
Les fauteuils du studio Mumbai sont des études, des expérimentations réunissant plusieurs savoir-faire partagés pour explorer les qualités de la matière. En ce sens, les expositions du studio révèlent bien moins les produits de l’architecture que ses conditions de création. Elles déplacent de façon manifeste les conventions contemporaines de la fabrique de l’architecture, aujourd’hui résumées le plus souvent en un poste informatique. Au cœur de l’activité mumbaikare, la construction commence à la communauté, qui la fabrique et la lie. Tout se passe comme si le moment de confection devait rester un travail partagé, un travail manuel, archaïque, pour en garantir la qualité : la profondeur de l’expérience, l’expression sensorielle et haptique en particulier, et même l’inscription au monde en un sens, tiennent grâce à une intuition indicible, de la main à la main. Les gestes et ses langages de la main peuvent se passer de mots, et l’outil qu’elle tient devient une extension et une spécialisation[18].
Chaque geste peut être un rituel, chaque corps de métier a sa place, et tous se mélangent sans se mélanger. Chaque travail a sa posture, son rythme, son monde. Chaque matériau prend vie et donne vie à sa confection, illustrant parfaitement l’aphorisme rabelaisien : « les beaux bâtisseurs de pierres mortes ne sont pas écrits dans mon livre de vie ; je ne bâtis que pierres vives, ce sont hommes[19]. » Une pierre taillée, une maquette imparfaite, une structure construite pour l’expérimentation, sont les outils nécessaires dont les architectes, les charpentiers, les maçons, les menuisiers du studio ont besoin de s’entourer pour travailler. L’exposition les met donc à disposition comme autant de matériaux capables d’initier une créativité fertile par leur seule présence.
Mais initier signifie à la fois commencer et transmettre. Le verbe d’action peut même prendre une part mystique, imprégnée de souffle. Et comme on l’a vu, cette transmission n’est pas totalement activée par le silence des objets dans l’exposition. Ainsi disposés, en dehors de l’atelier, ils perdent en partie cette magie, ils sont au repos, on peut se demander s’ils peuvent vraiment nous servir à nous. Et contrairement à l’exposition « Work – Place », il n’y a pas ici d’outils de l’artisanat exposés, malgré la fascination de Jain pour ces objets spécifiques. C’est en creux que le souffle de l’architecte partage des façons de fabriquer, des façons de faire, une autre approche des objets et des œuvres, leur raison anthropologique qui se retrouve jusque dans les détails.
Les matériaux portent un potentiel d’usage, un potentiel poétique, c’est la création qui est exposée. On modèle, on tisse, on coule, on dégarnit, on assemble, puis on pose, et on déplace, et on recommence. L’œuvre a certes changé de statut mais se présente comme un artefact naturel, sans artifice, un modelage entre matériau et objet, et même ce qui la porte ou ce qui la cale, comme les coins de granit qui bloquent la sphère de terre font partie de l’œuvre.
Pour cette sensibilité, le geste du faire et l’engagement au monde, au sens praxique, restent primordiaux : ils s’expriment dans l’œuvre finie, par un travail sur la matière ou l’atmosphère, mais aussi bien dès la conception, par un arpentage sensible, la collecte de matériaux et leur assemblage, le façonnage en maquette, la participation au chantier. « Cela signifie que les formes que les hommes construisent, dans leur imagination ou dans la réalité, surgissent au cours même de leurs activités, dans les contextes spécifiques de leur engagement pratique avec leurs environnements[20]. » Ce qui importe est de faire, d’expérimenter, de tester, de travailler. Et qu’on dessine ou que l’on construise, le mouvement général est le même. L’important n’est pas tellement l’œuvre mais sa réalisation, et ce qu’elle produit.
En d’autres termes, Bijoy Jain reste un bricoleur : « il se définit seulement par son instrumentalité, autrement dit et pour employer le langage même du bricoleur, parce que les éléments sont recueillis ou conservés en vertu du principe que “ça peut toujours servir”[21] » et « avec des moyens artisanaux, il confectionne un objet matériel qui est en même temps objet de connaissance[22]. » Ainsi se construit la pratique du studio, entre le penser et le faire, où l’atelier est aussi une exposition, et inversement. Le processus de fabrication reste organique au studio Mumbai, sans idée préconçue sur la fin et même sans fin en soi, c’est un processus de croissance qui reste toujours liminaire, qui déconstruit la cristallisation de l’objet fini, et telle se comprend aussi la vie, encore avec Ingold, comme un « processus continu[23] ».
C’est la raison pour laquelle Bijoy Jain tient beaucoup à la notion de praxis : elle porte à la fois en elle cette qualité toujours itérative pour la construction du monde comme pour son observation, et aussi une compréhension ontologique à plusieurs échelles, qui lie intrinsèquement le corps et l’esprit et exprime la fluidité du monde à être modelé directement. D’ailleurs, comme avec l’utilisation de la manière, dans son acception plurielle de manier, comme méthode d’exécution, ou de dextérité physique et intellectuelle culturellement humaine d’où émerge l’esthétique, les mots de Bijoy Jain sont toujours polyvalents[24]. Ils sont traités comme des matériaux qui deviennent outils, ils sont remodelés.
C’est aussi le cas de son usage de l’autonomie, la self-reliance, qui se rapporte en un sens à une orientation personnelle et collective, la pratique architecturale du studio Mumbai se déchargeant d’un héritage moderne mortifère ou inadapté, et encourageant par ailleurs une économie de moyens concrète. Et évidemment aussi pour l’Inde, un autre et sûrement le premier sens de cette notion a une portée sociale et politique, d’autogestion et d’autolimitation, telle que l’ont diffusée des penseurs comme Rabrindranah Tagore, cher à Bijoy Jain. L’architecte est tout à fait conscient de ce que signifie son geste, comment il s’inscrit à une condition territoriale, climatique, culturelle, ou comment il résiste à une condition sociale et politique.
En somme, ce que réunissent les pratiques architecturales du studio Mumbai, c’est l’assemblage, à la fois littéral et métaphorique, que revendique une expressivité intentionnelle de la structure et de la matière, et qui prend de surcroît une teinte manifeste. C’est pour cette raison qu’on peut la rapprocher d’une pratique tectonique. Lorsqu’il reprend en 1983 ce terme de ses origines sanskrites puis grecques liées à la charpenterie, le critique Kenneth Frampton soutient que de la matière et son assemblage se diffuse une certaine poésie qui s’exprime dans toutes les cultures et à toutes les époques.
« La tectonique nous apparaît aujourd’hui comme un moyen potentiel de distiller un jeu entre la matière, l’artisanat et la gravité, afin d’obtenir un élément qui est en fait une condensation de l’ensemble de la structure[25]. » Et cette orientation n’est pas qu’esthétique, elle porte bien sous le courant du régionalisme critique une résistance, à la fois à une architecture de l’hyperconsommation des ressources, destructrice des milieux, et à une nostalgie trop obsolète et inadéquate du vernaculaire prémoderne. C’est en cela que nous pouvons inscrire la pratique du studio Mumbai dans « l’arrière-garde critique »[26] qu’appelle le régionalisme critique.
De fait, entretenir un lien sensible de la récolte du matériau à sa mise en œuvre semble une manière légitime de garder un sens à sa transformation, et à sa propre action, comme acte politique se défendant contre l’uniformisation, la reproductibilité de masse, la négation du lieu. Ainsi, parce qu’elle offre à garder sensibles les actes fondamentaux de l’architecture, sa matière et sa mise en œuvre, parce qu’elle reste sensuelle sous le pied et sous la main, c’est aussi un message de l’ethos, qui va de l’éthique existentielle jusqu’au politique, que porte la pratique du studio Mumbai. En explorant ces pratiques et leurs racines, nous comprenons mieux comment en privilégiant une posture artisanale l’architecte s’extrait de la modernité, ainsi il nous est donné d’entendre ce qui se dit par la main et sous la main.
L’objet créé revendique son imperfection, il rappelle qu’il n’est jamais figé contrairement à l’œuvre. Il ne prétend pas, à part peut-être pour les tableaux de Hu Liu, à la virtuosité. Il raconte aussi des erreurs, le propre de l’artisan : « l’artisan est l’emblème de tous ceux qui ont besoin de la possibilité d’hésiter… de faire des erreurs[27] ». Mieux, cette conviction est selon Jacques Rancière l’orientation qui peut sauver l’architecture : « il s’agit de guérir l’architecture de sa perfection, d’en faire un art imparfait qui se dérobe à la fois à la terre ferme et aux finalités déterminées pour se transformer en un processus sans fin[28]. » Le philosophe des politiques de l’esthétique renverse avec cette intuition l’héritage classique des manières de faire l’architecture. Et comme il relie cet idéal de perfection à une séparation toujours plus grande des ordres et des pouvoirs, l’architecte devenant parfois un donneur d’ordre hors-sol, nous comprenons que des pratiques comme celle du studio Mumbai où l’architecte engage ses mains contribuent un peu à aplanir la distinction des classes, sujet encore sensible en Inde.
En travaillant par le processus partagé, en effaçant la nécessité de la fin, on participe à supprimer l’aliénation moderne du travail. « La construction de l’avenir suppose que l’art des constructeurs soit soumis à ce qui est le principe du jeu : l’abolition de la séparation entre les moyens d’une activité et sa fin, soit, en définitive, l’abolition de la division du travail. Cette abolition est le cœur de la révolution esthétique[29]. »
Ce que le souffle inspire
Onze fûts de bambou brut, à peine mouchetés d’un bleu profond, assemblés en tenon et mortaise, forment un cadre de fauteuil, qui ne porte que par la tension des fils de soie en un filet diaphane et régulier. Il a été tissé patiemment, il s’enroule sur la ceinture de la chaise, dont les éléments placés à des hauteurs différentes garantissent le volume en parabole bombée de l’assise. Encore une fois, jamais sur ce siège on n’est tout à fait au repos, toujours participant de la physique de l’ensemble, comme sur un petit hamac suspendu, toujours en mouvement. Une architecture sensible à l’expression des sens, et d’un sens de l’intuition.
Et de fait tous les sens participent à l’exposition le souffle de l’architecte. D’un battement sur une cloche on fait vibrer la salle, d’un frottement sur le sol empreint de bouse de vache on en exhale le musc, d’un froissement on ressent la tension d’un fil, d’un rapprochement on goûte la lumière dorée d’un nœud de soie teinté, ou la profondeur sombre des tableaux de Hu Liu qui demandent le temps et un lent mouvement et se refusent à la photogénie. Les sens, pour se mettre en action, appellent au mouvement, celui-là même initié jusqu’au creux des fauteuils, qui suit un flux naturel, proche de celui de l’eau ou du vent. Encore une fois, cette architecture rejoint le vœu de Rancière puisqu’elle « devient un art du corps qui transforme la pensée en mouvement et donne à l’espace les rythmes du temps. Et cette métamorphose forge à son tour une idée nouvelle de l’architecture, qui la lie au mouvement des corps[30]. »
Comme s’il fallait rester à l’affût, en tout cas à l’écoute sensible de ce qui nous entoure. L’exposition se veut bien une expérience, une invitation à l’observation, à la contemplation, au spectacle du monde qu’aussi nous transformons. « Pour moi, l’eau, l’air et la lumière sont les trois matériaux primordiaux dans mon travail. C’est la base de la fabrication de tout, c’est ce dont le corps humain a besoin. Et le soleil et la lune sont au cœur de cette idée. […] Pour moi, ce qui est fondamental dans la poursuite de l’architecture, c’est qu’elle ait la capacité de respirer[31]. » Cette attention aux éléments naturels peut s’exprimer concrètement dans l’architecture qui en devient le vaisseau, une sensibilité retrouvée que d’autres architectes comme le japonais Hiroshi Sambuichi partagent aujourd’hui : « dans une architecture idéale, en regardant sa forme, on sentirait les matériaux mouvants du lieu, que sont le vent, l’eau et le soleil[32]. »
Qu’une telle attention se soucie des éléments discrets remplit la promesse d’une approche par le souffle, au rythme tantôt de la fragilité tantôt de la puissance de l’air et de l’eau. Partout ces éléments semblent engager le geste de Bijoy Jain qui en répète l’importance vitale. Ils gardent leur part archaïque, une condition primitive, et des ressources à respecter. Et de la même façon que l’eau pour le cinéaste Andrei Tarkovski, bien qu’elle soit omniprésente dans ses films, ne porte pas de charge symbolique, elle construit la pratique de l’architecte par sa seule présence sensible et sensorielle, son rythme saisonnier, ses fluctuations maritimes. Mais le souffle lui, le souffle transporte plusieurs sens.
Le souffle est d’abord celui expiré par le rythme de l’activité. Bijoy Jain, ancien nageur professionnel, en sait quelque chose. Le souffle raconte l’atmosphère du travail, de l’atelier, de l’effort, « créer au son du souffle[33] ». C’est une pratique que l’exercice comme le yoga aide à maîtriser. Cela implique le corps, le cœur, et l’esprit, pour lequel la répétition quotidienne prend alors le sens d’un rituel. Une manière concrète et physique de nourrir son soi, d’y chercher un équilibre harmonique comme le témoigne le film The sense of tuning.
Évidemment, difficile aussi de passer à côté de l’acception qui lie le souffle à l’inspiration créative, mais ce n’est jamais pour Jain l’expression d’une maîtrise personnelle, bien plutôt il s’agit d’une force extérieure et partagée aux humains et aux lieux, qui vient par la pratique et l’attention. Il se réfère volontiers au genius loci, cette métaphore de l’antiquité romaine révélée par l’architecte norvégien Christian Norberg-Schulz pour exprimer que la figure d’un esprit gardien accompagne aussi l’architecture, la ville et le paysage[34], une invocation proche de la puja indienne en quelque sorte.
Dès l’antiquité grecque, le pneuma, désignait le souffle du vent qui a la valeur de l’annonciation d’une fortune ou d’une prospérité, en même temps que le souffle humain lié à la respiration, et le souffle de vie qui est directement divin[35]. Et l’art a bien saisi cette importance du souffle, comme Brâncuși qui en cherchait l’expression : « l’art doit transmettre d’un coup, soudainement, le choc de la vie, la sensation d’un souffle[36] ». Ou encore, comme le propose l’écrivain Salman Rushdie, lui aussi originaire de Mumbai, il s’agit par l’art d’approcher la puissance de médiation entre le matériel et le spirituel, en « “ingurgitant” les deux mondes, nous offrant quelque chose de nouveau, quelque chose qui pourrait même s’approcher d’une définition séculière de la transcendance[37]. »
Mais le souffle est aussi silence, c’est l’absence des mots à la visite de l’exposition, une transmission alors limitée de savoir-faire et d’énergie créatrice lorsqu’il n’en reste que des traces. Les objets en communauté chuchotent entre eux mais il faut rester longtemps pour en entendre le souffle, ils parlent un langage presque inaudible. Dans une certaine mesure, il nous est laissé de saisir que cette langue vient d’ailleurs, c’est un conclave, une conspiration. Et enfin, suivant les traces d’une philosophie qui relie par l’air l’ontologique au politique comme le fait Luce Irigaray, on en retrouve par le souffle la charge essentielle qui rappelle les conditions nécessaires de l’habiter. « Aucun autre élément ne porte avec lui, ou ne se laisse traverser par, lumière et ombre, voix ou silence. Aucun autre élément n’est à ce point l’ouvert même – sans nécessité d’ouverture ou réouverture pour qui n’aurait pas oublié sa nature. Aucun autre élément n’est aussi léger, libre, et sur le mode “fondamental” d’un “il y a” permanent disponible[38]. »
Cette dimension n’a d’ailleurs pas non plus échappé à Tim Ingold, qui résume en postface de sa Brève histoire des lignes, comme dans une ouverture rétrospective, les potentiels réflexifs à considérer les lignes qui se lisent dans l’atmosphère. « En respirant l’air autour de nous, nous percevons aussi dans l’air ; sans lui, nous suffoquerions, et nous serions frappés d’insensibilité[39]. » En définitive, si l’exposition le souffle de l’architecte garde une part de secret sur le monde qu’elle invite, elle sait recréer une atmosphère féconde de réflexions qui célèbrent l’exécution manuelle, elle active une attention alternative aux éléments de l’architecture et du monde, même elle nous engage à en transformer les manières et à en ouvrir la sensibilité. Une inspiration à l’engagement physique et spirituel donc.
L’exposition Le souffle de l’architecte est à voir à la Fondation Cartier pour l’art contemporain jusqu’au 21 avril 2024.