Éducation

Fin de la longue histoire des directeurs d’école primaire ?

Historien

Par un simple amendement impromptu, adopté sans la moindre concertation, l’Assemblée Nationale a fait disparaître comme d’un coup de baguette magique les directrices et directeurs d’écoles élémentaires ! Ainsi se poursuit la mise en tutelle de l’école communale par le collège. Voici donc l’« École de la confiance » au débotté.

Est-ce le commencement de la fin ? On peut le supposer en prenant connaissance des conséquences d’un amendement présenté au moment de la discussion de la “loi pour une école de la confiance” qui vient d’être votée : la création d’« établissements publics des savoirs fondamentaux ». Une longue marche historique dont les acteurs peuvent être fiers irait ainsi vers sa fin.

Pendant longtemps, le directeur d’école a été « le » maître de l’école communale, et les autres instituteurs ont été ses “adjoints”. Un premier tournant a eu lieu il y a juste un siècle. La circulaire du 15 janvier 1908 crée officiellement le « conseil des maîtres » dans un but d’ « unité et d’harmonie » tout en continuant à accorder au directeur un pouvoir important .

On notera l’insistance à mettre en évidence (déjà !) l’idée que le métier d’enseignant ne doit pas se pratiquer de façon solitaire : « L’Ecole est une, quel que soit le nombre de ses maîtres, et tout enseignement est une collaboration. Il n’est pas de conception plus fausse que celle qui maintiendrait le directeur et ses adjoints dans un isolement mutuel, le premier concentrant en sa personne toute la vie administrative et pédagogique de l’école, les seconds réduits à une obéissance étroite et bornant leur activité à enseigner suivant des méthodes et des principes acceptés sans discussion et sans foi, et imposés d’autorité ».

La circulaire de 1908 met pourtant en évidence le pouvoir qui doit rester dans les mains des directeurs. Le texte exclut des questions qui doivent être soumises au Conseil des maîtres tout ce qui relève du champ administratif : les relations entre l’école et les autorités locales, qu’elles soient « municipales ou académiques » ; les rapports avec les familles ; tout ce qui touche à «  l’entretien des bâtiments » ; et enfin « l’ordre général de l’établissement ». Restent donc les questions pédagogiques, qui peuvent être discutées au sein du Conseil des maîtres.

Tout cela va rester sensiblement en l’état jusqu’au début de la cinquième République qui va voir un ébranlement très important de l’ensemble du dispositif de l’enseignement primaire (pré-élémentaire compris). En 1963, le « collège d’enseignement secondaire » est créé, qui a vocation d’accueillir tous les élèves depuis l’âge de 11-12 ans jusqu’à l’âge de 15-16 ans. Le primaire perd son couronnement de « fin d’études ». Il se tourne alors, de fait, vers un autre horizon : le pré-élémentaire. De 1963 à 1977, les classes élémentaires perdent un million d’élèves en raison de la disparition des classes de fin d’études. En revanche, dans le même temps, le pré-élémentaire gagne un million d’élèves et double son effectif. Il y a eu alors une envolée de la création d’écoles maternelles (dirigées presque exclusivement par des directrices), mais au nombre de classes limitées.

C’est le contraire qui a tendance à se passer durant la même période pour ce qui concerne l’élémentaire. Un grand mouvement de mixité des écoles est en effet lancé dès le début des années 1960, ce qui permet notamment de créer nombre d’écoles à cinq cours (cinq classes) en réunissant dans une même école les effectifs jusqu’alors dispersés de l’école de filles et de celle de garçons. Même si un nombre important d’écoles élémentaires reste encore en–dessous du seuil de cinq classes (ou cours), le centre de gravité de l’organisation scolaire de l’élémentaire s’est déplacé vers le « haut » (et, alors qu’avant la mixité des écoles, il y avait autant de directrices d’école que de directeurs d’école, ce n’est plus le cas : les écoles devenues mixtes ont généralement à leur tête des directeurs, alors même pourtant que la part des hommes dans l’enseignement élémentaire a diminué… ).

On ne devrait pas s’étonner outre mesure que les projets concernant la direction d’école et les directeurs d’école se succèdent juste après la nouvelle mouture du collège, le « collège unique » institué par la réforme Haby (en 1975-1976). En 1977 puis en 1978, le RPR (l’ancêtre de l’UMP) tente par deux fois (mais sans succès) de faire adopter une proposition de loi tendant à créer un « grade » de directeur d’école (création demandée par le jeune « Syndicat national autonome de directeurs d’école » et « l’Association des directeurs d’école, chefs d’établissement ). Le « grade » définit une qualification, irrévocable. Il n’en est pas de même de l’ « emploi » qui caractérise une « fonction » (une « fonction » est révocable, sous certaines conditions).

En 1987, sous le gouvernement Chirac, la création des « maîtres-directeurs » sous l’égide du ministre de l’Education nationale de René Monory ne correspond toujours pas à un « grade »  (mais à un « emploi », une « fonction »). Bien que certaines de ses propositions initiales qui allaient très loin dans le renforcement du pouvoir des directeurs transformés en « maîtres-directeurs » aient été vite abandonnées (à savoir l’évaluation des « adjoints », ainsi que la mention « représentants du service public d’éducation nationale » qui indisposait particulièrement les inspecteurs), le projet de décret suscite l’opposition déterminée d’une grande majorité d’instituteurs. En particulier en raison de libellés tels que le « maître-directeur assure la continuité du service public en toute circonstance » (jugé attentatoire au droit de grève) ou l’ajout de « il s’assure de leur application » après la mention traditionnelle du « il veille à la diffusion auprès des maîtres de l’école des instructions et programmes officiels ».

Le décret est finalement signé par Jacques Chirac le 2 février 1987. Mais la gauche revient au pouvoir en 1988 ; et le nouveau ministre de l’Education nationale Lionel Jospin fait adopter un nouveau décret qui abroge et remplace celui de René Monory. Exit les « maîtres-directeurs ». Retour des « directeurs » et de leurs « adjoints ». Réécriture du texte dans le sens de la « collégialité ». Le nouveau texte « prend en compte la tradition de confiance qui a toujours existé entre les directeurs d’école et les instituteurs ». Effacement de tout libellé de nature à limiter le droit de grève. Mais les nouveaux « directeurs » (à l’instar de ce qui avait été prévu pour les « maîtres-directeurs» ) devront bénéficier désormais d’une formation avant leur prise de fonction et non plus après.

Tout était-il réglé au mieux et définitivement ? Sans doute pas ; et personne ne l’a d’ailleurs prétendu à l’époque. Ce ne pouvait être (là, comme ailleurs) la « fin de l’histoire ». La question est restée sensible ; et il est apparu qu’elle l’était de plus en plus si l’on en juge en particulier par différentes enquêtes ou rapports qui se sont multipliés ces derniers temps, et la difficulté de pourvoir « aisément » tous les postes.

L’« Etablissement public des savoirs fondamentaux » est dirigé par un principal de collège, seul chef de l’établissement.

Suprise surprise. Alors qu’elle n’était pas prévue dans le projet initial de loi pour « l’Ecole de la confiance » déposé par le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer, une réforme profonde de l’état des lieux a été proposée par un amendement impromptu et voté sans coup férir (sans qu’il y ait eu donc, comme c’est l’usage, d’étude d’impact préalable et d’avis du conseil d’Etat ; et a fortiori concertation avec les syndicats intéressés) : la création d’ « établissements publics des savoirs fondamentaux » (EPSF)

L’ « Etablissement public des savoirs fondamentaux » est constitué des classes d’un collège et d’une ou plusieurs écoles du secteur de recrutement du collège. Dans le débat à l’Assemblée, la rapporteure de la commission a précisé que ce pourrait être plusieurs grosses écoles (ce n’est donc pas a priori limité aux écoles rurales, comme il avait été prétendu initialement).

Le regroupement des écoles dans un EPSF est décidé par le préfet et les collectivités locales après avis  de “l’autorité de l’Etat compétente en matière d’éducation”, par arrêté préfectoral. Il suffit que l’Etat et les collectivités locales le souhaitent pour que l’EPSF puisse être créé.

L’ « EPSF » est dirigé par un principal de collège, seul chef de l’établissement. Ce principal exerce les fonctions de principal de collège et de directeur d’école. Il est le seul directeur d’école de l’établissement. Il y a un ou plusieurs « chefs d’établissement adjoints » dont un dirige les professeurs des écoles. Ce directeur-adjoint en charge des professeurs des écoles ne peut pas être un directeur d’école. Car c’est un chef d’établissement, par conséquent un personnel de direction, reçu au concours de personnel de direction.

Que deviennent les directeurs d’école ? Comme le souligne Le Café pédagogique du 15 février dernier, « le texte ne le dit pas car en fait ils n’ont aucune place dans l’EPSF. Les écoles n’existent plus administrativement. Il y a un nouvel établissement. Celui-ci a un directeur d’école(s) qui est aussi le principal du collège. Il a un adjoint en charge du 1er degré. Et c’est tout. On peut toujours imaginer que dans chaque site il y ait un professeur des écoles “référent”. On peut même imaginer qu’on lui donne l’appellation de “directeur d’école”. Mais il n’aura plus les missions d’animation et les responsabilités administratives des directeurs d’école dans un EPSF. Parce que son école aura disparue comme unité administrative. Et que pour ces questions il y a un vrai directeur d’école (le principal), donnant des ordres à un adjoint, lui même supérieur hiérarchique des professeurs des écoles. »

Deux éléments importants seront devenus « article de loi » par simple amendement : il n’y aura plus de directeurs d’école « primus inter pares » dans les nouveaux “établissements publics des savoirs fondamentaux”; et le mouvement enclenché il y a un demi-siècle par l’absorption d’une partie de ce qui relevait initialement du primaire dans le collège va se poursuivre par la mise en tutelle de l’école communale par le collège. Excusez du peu.  Par un simple amendement impromptu. L’« Ecole de la confiance » au débotté.


Claude Lelièvre

Historien, Professeur honoraire d’histoire de l’éducation à la Faculté des Sciences humaines et sociales, Sorbonne - Paris V